L’autre bataille d’Alger : La résistance des Algériens à l’expédition de Charles Quint contre Alger en octobre 1541

24/05/2022 mis à jour: 23:57
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Je viens d’achever la relecture d’un livre édité en 2013 par Les Belles Lettres de la collection Regards et extrait de l’ouvrage Histoire des Frères Barberousse (1837). 

 

Ce livre, ou plutôt cette étude, comme mentionné par son auteur Jean Michel de Venture de Paradis dans le préambule, se réfère à des récits rapportés par les historiens occidentaux du XVIe siècle sur cette expédition se limitant, selon lui, à des généralités vagues non étayées de documents écrits ne permettant pas de relater de façon objective et complète cet épisode de l’histoire dont l’influence a causé le plus de tort à la chrétienté durant trois siècles. 
 

Aussi, et pour établir la réalité des faits inhérents à cette expédition, le même auteur avait procédé à un rapprochement des témoignages des chefs de guerre qui avaient participé aux combats, à un manuscrit arabe du Mahkmé d’Alger et d’autres sources ayant un lien avec cette expédition. 
 

Qui est l’auteur de cet ouvrage ? 
 

Jean Michel de Venture de Paradis naquit en 1739 à Marseille. Fils de diplomate, il suivit des cours à l’Ecole des langues à Paris et exerça des fonctions de diplomate en Syrie, en Egypte, en Tunisie et en Algérie. Il décéda en 1799 à Nazareth (Palestine) 
Quid de Charles Quint, du contexte historique et des objectifs de son expédition contre Alger ? 
 

Charles Quint était empereur d’Allemagne, d’Espagne, de Sicile, de Naples de Bourgogne, d’Amérique du Sud et du Saint Empire. 
 

Cette expédition qui avait reçu la caution morale de plusieurs cours européennes et la bénédiction du Pape Paul III visait à contrer l’expansion des Ottomans sur les côtes d’Afrique du Nord. 
 

Encouragé par son succès avec la prise de Tunis en 1535, Charles Le Quint mobilisa tous les moyens pour récidiver son expédition contre Alger en 1541. Le péril turc n’était pas moindre à l’époque ; Suleyman le Magnifique, après sa victoire à Mohács (Hongrie) en 1526, parvient jusqu’à Vienne devant laquelle il mit le siège. Le danger devint d’autant grand que les Turcs s’allièrent à la France (Traité des Capitulations 1536). Le conflit s’étendit alors en Méditerranée expliquant la prise de Tunis et l’expédition avortée contre Alger. 
 

Des historiens invoquèrent d’autres raisons politiques qui incitèrent l’Empereur à hâter la campagne contre Alger parmi lesquelles ils citèrent les fréquentes incursions des corsaires algériens sur les côtes espagnoles, les actes de piraterie contre les bateaux occidentaux, les prises d’otages et les rançons exigées contre leur libération. 
L’Empereur était convaincu par ailleurs, soutenaient d’autres historiens, que cette expédition était de nature à détourner les Turcs de la Hongrie où il ne pouvait pas les battre en les attirant sur un terrain qui lui serait plus favorable. 
 

Les préparatifs de l’expédition 
 

L’armada imposante composée de plusieurs centaines de bâtiments et transportant une armée de 36 230 hommes, selon des historiens occidentaux, et 70 000 hommes, d’après le manuscrit algérien Mahkmé, se regroupa à l’île de Majorque. 


Après l’ultime audience accordée l’Empereur par le Pape Paul III à Lucques (Italie) qui lui conféra le pouvoir et le devoir de défendre la chrétienté contre les infidèles, celui-ci embarqua avec sa flotte en rade dans le golf de la Spézia (Italie) pour rallier le reste de son armée rassemblée à l’île de Majorque.
L’ordre de lever l’ancre fut aussitôt donné à toute la flotte pour gagner la côte nord-africaine. 
 

C’était l’automne. Le temps était capricieux. Le ciel pluvieux et la mer démontée.
Placé sous le commandement de chefs expérimentés choisis par l’Empereur lui-même dont le célèbre conquistador Hernán (Fernando) Cortez conquérant du Mexique, l’amiral Antoine Doria célèbre pour ses batailles navales victorieuses en Méditerranée, Virginius-Urbino d’Anguillara, l’un des conquérants de Tunis, le comte d’Alcaudette, gouverneur d’Oran qui figurait parmi les valeureux guerriers d’Espagne en Afrique etc, ce corps expéditionnaire, composé de plusieurs contingents (Espagnols, Allemands, Italiens Chevaliers de Malte etc.) rejoindra les côtes d’Alger le 21 octobre 1541 .
 

La mer était calme. Aucun indice perceptible d’une tempête prochaine. 
Le débarquement de l’armée chrétienne devrait donc se dérouler dans de bonnes conditions, et l’assaut contre cette ville citadelle, réputée être un bastion guerrier devrait se dérouler, comme prévu par les stratèges de cette armée.
L’organisation de la défense d’Alger
 

L’auteur de cet ouvrage fournit des informations intéressantes sur les préparatifs de la défense d’Alger par ses habitants sous la férule de Hassan Agha.
 

Hassan Agha était le Gouverneur (roi) d’Alger au moment de l’expédition de Charles Quint en l’absence de Barberousse appelé à d’autres missions en Méditerranée. 
 

Hassan Agha était le roi le plus droit et le plus juste qu’Alger ait connu durant cette période, rapportaient les historiens, notamment Diego Huego, ancien captif espagnol d’Alger auteur d’un ouvrage sur cette période . 
 

Hassan Khodja était informé, selon le même auteur, des préparatifs de l’expédition de Charles Quint contre Alger grâce aux bateaux de la marine algérienne naviguant en Méditerranée occidentale.
 

Pour rappeler le contexte historique qui prévalait à cette époque, il y a lieu de signaler que les Espagnols étaient maîtres d’Oran, Béjaïa, Bône et de la Goulette (Tunisie). 
Débarquement de l’Armée de Charles Quint
 

Trois jours après avoir jeté l’ancre dans la baie d’Alger et par un temps clément, les troupes avaient entamé leur débarquement sur la plage d’El Hamma (les Sablettes). 
Les chroniqueurs occidentaux rapportèrent qu’un grand nombre d’Algériens armés, rassemblés sur le rivage, tentèrent de s’opposer à ce débarquement mais ils furent dispersés par les tirs des canons des navires de guerre de l’armée de Charles Quint stationnés en rade.
 

L’auteur de cet ouvrage signale, par ailleurs, que les défenseurs d’Alger étaient des Arabes, des Kabyles, des Maures, des bédouins, des Morisques, des renégats, des Turcs etc.
En fait, les habitants d’Alger, toutes races, ethnies et religions confondues, s’étaient mobilisés pour repousser les agresseurs, et ce, grâce au génie militaire de Hassan Agha qui les avaient ralliés à cette cause sacrée aussitôt qu’il avait eu vent de cette expédition, comme indiqué plus haut.
 

A ce propos, l’historien Henri Grammont rapportait une légende locale qui racontait l’exploit réalisé par les Mozabites qui s’étaient illustrés lors de l’expédition de Charles Quint contre Alger. 
 

En effet, ces derniers s’étaient déguisés en femmes et s’étaient présentés aux soldats chrétiens qui occupaient les sommets des collines dominant la ville d’Alger ; en se découvrant aux soldats chrétiens, ils en firent un carnage. 
 

En ce temps, Alger comptait, selon l’historien espagnol, Diego Hoedo, 60 000 habitants. 
L’armée chrétienne, qui débarqua sur la côte algérienne, se déploya aussitôt pour prendre position sur les monts et collines dominant la ville d’Alger malgré la résistance acharnée des milliers de cavaliers et des fantassins venus des régions environnantes, des troupes régulières et les milices cantonnée à l’intérieur de la citadelle d’Alger, à leur tête Hassen Agha qui sortirent pour combattre les envahisseurs. 
Forts de leur nombre et de leur puissance de feu, l’armée chrétienne s’empara des hauteurs surplombant la ville. 
 

L’Empereur installa son quartier général dans une fortification dominant la ville citadelle. 
Cette fortification, toujours existante, est désignée par les historiens de la colonisation française sous l’azppellation de Fort L’Empereur et par les autochtones Ksar Boulila (château d’une nuit) du fait que l’Empereur n’y séjourna qu’une courte période après la débâcle de son expédition provoquée par la résistance des habitants de la cité sous la férule de son roi et d’une tempête majeure qui décima sa flotte stationnée dans la baie d’Alger. 
 

Assaillies, affaiblies et démoralisées par les assauts incessants des défenseurs d’Alger et le déchaînement des éléments de la nature, les troupes chrétiennes finirent par reconnaître leur défaite. L’Empereur se résolut à renoncer à son aventure après avoir perdu une grande partie de sa flotte engloutie par une mer déchaînée et la moitié de ses troupes noyées tués ou faites prisonnières.
 

Des négociations engagées entre les défenseurs d’Alger et l’Empereur Charles Quint
Des négociations furent engagées entre les défenseurs d’ Alger, représentés par le chef de la résistance, Hassan AGHA, et les envahisseurs commandés par l’Empereur Charles Quint aboutirent à la signature d’un accord de cessation des combats entre les deux nations, comme le rapporte l’auteur de l’ouvrage suscité. 
 

L’échec de Charles Quint pour la prise d’Alger dissuadera toute autre tentative d’occupation de la ville citadelle pendant des siècles, affirmera le même auteur.
La Nation Algérienne existait avant la colonisation française de 1830 à 1962 
Un traité de paix fut signé un en 1628 entre le Dey d’Alger et le roi de France pour garantir la sécurité des bateaux français naviguant en Méditerranée occidentale.
 

L’historien Benjamin Stora a écrit dans son ouvrage Histoire de l’Algérie de 1830 à 1988 édité par Casbah - Alger en 2004 que «bien avant la conquête française, la régence d’Alger répondait à tous les critères d’un Etat souverain, souveraineté reconnue par la plupart des Etats européens et les Etats-Unis qui avaient accrédité auprès du dey d’Alger des agents diplomatiques permanents».
 

Le même auteur rapporte, par ailleurs, dans l’ouvrage précité que les relations entre l’Algérie et la France avant l’intervention française de juillet 1830 étaient excellentes, comme le confirme le Moniteur de Juin 1793 qui écrivait ceci : «Tandis que l’Europe se coalise contre la France libre, une puissance africaine (Régence d’Alger), plus loyale et fidèle, reconnaît la République et lui jure amitié.»
 

De son côté, Mostefa Lacheraf, l’éminent historien et homme politique algérien, avait écrit dans son ouvrage de référence L’Algérie, Nation et Société, édité par la SNED en 1983 que la nation-Etat ou nation-communauté ou simple patrie solidairement agissante et par cela même nationale, «quelque chose existait qui a permis à l’Algérie de s’opposer au cours de 140 ans à une grande puissance impérialiste et à la forcer, en définitive, à capituler».
 

Un ouvrage publié en 1891 par Louis RINN sur l’insurrection de 1871 en Algérie et réédité en 2013 par Art’Kange Editons, et le ministère de la Culture cite en introduction, le capitaine Villet , excellent observateur des milieux algériens, chef du bureau arabe de la subdivision de Constantine qui écrivait lors de l’insurrection de 1871 en Algérie que «le sentiment national dont il serait une fâcheuse illusion de croire qu’il avait disparu suffisait à expliquer la révolte».
 

Qui a dit que la nation et l’Etat algérien n’existait pas avant l’occupation française de 1830 à 1962 ? 

 

Par Zitouni Amara , Cadre à la retraite

 

 

Bibliographie 


1/ Jean Michel de Venture de Paradis. Réédité en 2013 par les Belles Lettres Algérie 
2/ Ouvrage édité par l’Assemblé Populaire Communale (APC) d’Alger en 2004 sous le titre « la ville d’Alger – la protégée de Dieu » 
3 / Histoire contemporaine de l’Algérie - 1830 -1988 - Benjamin STORA. Édition Casbah 2004 
4 / Louis RIIN – Histoire de de l’insurrection de 1871 en Algérie publié en 1891 par la Librairie Adolphe Jourdan et réédité par Art’Kange éditions et le ministère de de la culture en 2013
5/ Ouvrage de Mostafa LACHERAF « Algérie Nation et Société » édité par la SNED en 1983 

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