Par le Professeur Chems Eddine Chitour
«La personnalité créatrice doit penser et juger par elle-même car le progrès moral de la société dépend exclusivement de son indépendance. Sinon la société est inexorablement vouée à l’échec, comme l’être humain privé de la possibilité de communiquer.» Albert Einstein
Résumé
L’Algérie est indépendante depuis 62 ans ! Un âge de raison ! Un devoir d’inventaire s’impose pour mesurer le chemin parcouru, reconnaître les erreurs et lancer une réflexion sur le futur en tenant compte des contraintes objectives, de la nécessité d’un aggiornamento pour pouvoir avoir une visibilité dans un monde de plus en plus ensauvagé à la fois sur le plan économique où les faibles périssent de différentes manières ( conflits de toutes sortes, avec un soubassement de famine) mais aussi pratiquement il semble qu’il n’y ait plus de barrière que tout est permis, l’éthique étant absente à l’international.
Ainsi le monde est devenu profondément anxiogène. Le nouvel ordre économique plus juste auquel avait appelé le président Boumediène à la tribune des Nations unies il y a quarante ans n’est toujours pas en place. Au contraire, la lutte est pour l’Occident d’imposer le statu quo. Malgré les efforts des Brics pour un monde multipolaire. Il vient que l’Occident est plus arrogant que jamais. Un monde plus juste est, pour le moment, encore une utopie de plus en plus lointaine.
Par ailleurs, ce qui arrive aujourd’hui à Ghaza est une tache à la face des nations, ce qu’Israël a fait relève d’une Shoah continue. En clair, c’est la guerre dans toutes ses dimensions, économiques, religieuses (l’islam est devenu le Satan de l’Occident) mais aussi scientifiques, technologiques, cybernétiques et, enfin, militaires.
Si on y ajoute la poussée de l’extrême droite en Europe, les pays sont en compétition, c’est à celui qui sera le plus intolérant. Haro sur les mélanodermes, les Arabes, les Maghrébins et par dessus tout l’Islam.
En France, des alliances contre nature se font jour. On voit le CRIF, choisir leur camp, à savoir voter pour la droite extrême adoubant un OVNI qui a jailli du néant et qui promet l’enfer aux Français «qui ne sont pas de souche» en matamore et avec la haine de soi il veut rompre les subtils équilibres de la société française qui a mis des dizaines d’années à sédimenter et à rassembler près de 19 millions d’étrangers devenus Français par la grâce d’une République et des lois qui avaient un fort pouvoir d’intégration.
Dans ce cadre même avec ce répit, car ce n’est que partie remise, la France sera gouvernée tout ou tard par l’extrême droite malgré le sursaut du Front de Gauche qui va s’épuiser pendant ces trois ans et sera définitivement démonétisé ouvrant un boulevard à tous les Bardella ; on est en droit de se demander quel avenir pour la France et pour l’Algérie si des pyromanes promettent le chaos aux relations houleuses qui ont tout de même «tenues» 62 ans.
Bref rétrospective des quinquennats précédents
«Les pays coloniaux conquièrent leur indépendance, là est l’épopée. L’indépendance conquise, ici commence la tragédie.» Cette phrase du grand poète antillais Aimé Césaire résume, à elle seule, les errements des jeunes pays à l’indépendance. Chaque pays a sa façon, a traversé les décennies avec plus ou moins de réussite. L’Algérie n’échappe pas à cette loi d’airain.
Cependant, indépendamment de la dimension politique, si nous devons retenir dans ces 62 ans d’existence de l’Algérie indépendante, c’est la période 1965-78, avec une vision et une planification, avait permis à l’Algérie de se battre avec très peu de moyens, de rares élites qui n’avaient que leur compétence et le feu sacré de voir son pays réussir. Ce fut sans conteste, si on est de bonne foi, un exemple de combat modèle. J’en avais rendu compte dans plusieurs de mes contributions, notamment dans le texte: «Si Boumediène revenait parmi nous.»
Pour l’histoire, il faut savoir que de 1965 à 1978, l’Algérie a eu en tout et pour tout près de 22 milliards de dollars de rente pétrolière et nous étions dépendants du pétrole pour une faible part. Ce qui nous reste de l’industrie pétrolière, nous le devons à cette période.
Il en est ainsi, du tissu pétrochimique actuel des complexes de GNL, et de la capacité de l’ordre de 22 milliards de tonnes (de 1980à 2023 à peine 5 millions de tonnes ont été ajoutés dans un contexte de moyens plus importants et d’expertise de cadres en quantités ! Après la période Boumediene, plusieurs présidents et gouvernements se sont ensuite succédés et ont d’une façon ou d’une autre détricoté le tissu industriel au nom du de la libre entreprise et du marché.
La période des présidents Chadli, la parenthèse tragique du président Boudiaf qui aurait pu lancer l’Algérie dans la modernité a été stoppée nette. Ce sera la sombre décennie noire. Le quinquennat du président Zeroual nous amène en 1999. Le président Bouteflika a commencé sous de bons auspices notamment en amenant une paix par la fin de la tentation du califat.
De plus une rente insolente a permis d’engranger pour la période 1999-2019 près de 1000 milliards de dollars Le néolibéralisme est passé ensuite, faisant de l’Algérie un bazar. Une manne insolente 1999-2019 de 1000 milliards n’a pas permis de construire du pérenne si ce n’est le développement du système éducatif dans sa dimension quantitative.
L’Algérie du quinquennat actuel
C’est dans une conjoncture de remise en cause du 5e mandat du président Bouteflika le peuple se souleva. Ce sera la révolution du 22 février 1999 (hirak) qui déboucha sur des élections le 12 décembre 1999 qui aboutir à l’élection du président Tebboune qui n’eut pas la tâche facile. Nous allons brièvement rapporter les actions réalisées par le gouvernement, et ce qui devrait être réalisé, de notre point de vue, dans le prochain quinquennat. Où en sommes-nous actuellement dans ce siècle de tous les dangers ?
En effet, l’Algérie est à quelques mois d’une échéance cruciale. Il est important qu’elle ait en tête les défis qu’elle aura à affronter dans le prochain quinquennat. S’il faut se féliciter de certaines actions positives, qu’il faudra bonifier, il n’en demeure pas moins que des actions prévues n’ont pas pu être concrétisées.
Il est bon de rafraîchir la mémoire afin que nul n’oublie. Les espérances promises par le hirak, chacun de nous les revendique mais la réalité de la gestion du pays a nécessité de sérier les priorités des priorités. Il fallait stabiliser le pays et dans le même temps relancer la machine industrielle en panne depuis quarante ans.
Qu’on le sache, l’année 2020 a été difficile, et la rente pétrolière a été la plus faible de la décennie de 20 milliards de dollars alors que les dépenses, même comprimées, dépassaient les 40 milliards de dollars. De plus, nous avons vécu pendant près de 20 mois les affres du Covid-19 et qui, avec le dévouement de tous, a permis de réduire la mortalité.
Il fallait assurer l’intendance, et dans le même temps garantir la sécurité alimentaire .Tout était à faire parce qu’il fallait faire ramener la confiance en assurant avant tout l’approvisionnement multiforme des citoyennes et citoyens, faire fonctionner le système éducatif avec 12,5 millions d’élèves, la santé...
Au-delà du fait que globalement les pénuries structurelles ou provoquées ont été jugulées. De même, les institutions ont fonctionné; ce sera le cas de l’Éducation où plus de 10 millions d’élèves on rejoint l’école ou le lycée. Chaque année, le nombre de bacheliers devient important; environ 300 000 diplômés dont un nombre de filles plus important avec un bémol; le baccalauréat mathématiques est le parent pauvre moins de 3% à comparer avec la moyenne mondiale de 20%.
Dans le même ordre, des chantiers importants ont été ouverts visant à donner les moyens à l’Algérie d’arriver à une relative indépendance technologique et alimentaire. Dans cet ordre, la mise en chantier de 3000 MW solaire est une performance à mettre à l’actif du ministère de l’Energie et de Sonelgaz, dont les compétences techniques sont à signaler.
Les chantiers du prochain quinquennat
En fait, un nouveau monde est en train de se dessiner, et l’Algérie a du s’adapter sans oublier ses fondamentaux d’un Etat social s’adapter. Il fallait refaire démarrer «la machine». Pour la première fois depuis plus de quarante ans, une volonté nette de développement de l’autosuffisance est affirmée. Elle rejoint l’ambition du président Boumediene dans les années 1970 avec les dizaines de sociétés qui ont été créées et dont il ne reste que les deux grandes, Sonatrach et Sonelgaz.
Nous nous retrouvons avec la nécessité de penser plus que jamais au développement durable pour laisser un viatique aux générations futures. C’est dans ce cadre que le ministère de la Transition énergétique et des Energies renouvelables a été créé pour faire l’état des lieux de la production et de la consommation d’énergie qui augmente d’une façon importante et de faire des propositions de rationalisation de la consommation d’énergie.
C’est un fait, l’Algérie ne peut continuer à consommer de cette façon avec 1 milliard de mètres cubes par semaine ! Il y a nécessité de mise en place d’un modèle énergétique flexible pour arriver à 50% d’énergie renouvelable d’ici 2035. Ainsi pour la première fois dans l’histoire de l’Algérie 3000 MW d’énergie solaire ont été lancés par Sonelgaz (2000 MW) et la société Schems qui a lancé les 1000 MW. Les premiers kWh solaire sont prévus début 2025.
Le quinquennat actuel avec le président Tebboune a donné une espérance au développement du pays rappelant les chantiers de l’ère Boumediène dont la devise, chaque dollar de la rente devrait servir à la création de richesse.
C’est ainsi que le développement de l’énergie avec les nationalisations du pétrole et du gaz naturel, la transsaharienne, le barrage vert, les 1000 villages construits pour compenser les 10000 villages qui ont été brûlés par le napalm furent lancés mais par la suite abandonnés après sa disparition Mutatis mutandis, le président Tebbounne a décidé du lancement de chantiers structurants les chantiers de Gara Djebilet, (un projet dont on rêvait dans les années 70) le projet phosphate et des engrais, transsaharienne électrique, port central de Hammadia, véritable hum pour l’entrée vers le continent africain.
Les aciéries de Béchar Djendjen qui nous permettront d produire de l’acier qui est la matrice de tout développement d’une industrie lourde. Enfin, les mises des métaux Pb Zinc seront mises en production. Sans oublier l’agro-industrie autant de chantiers à faire aboutir absolument.
La mise en œuvre d’un chantier porteur de développement que celui de la Transsaharienne électrique permettra de donner une réelle dimension au transport. Avec la production progressive de l’électricité solaire. L’énergie sera à 50% renouvelable à la fin de la décennie.
Le Brassage de la population sera favorisée par une transaharienne électrique Imaginons un parcours Tam- Alger 2000 km ; un Train 160 km/h mettra douze heures. C’est toute une vision nouvelle du Sud qui sera mise en place par la circulation des voyageurs avec des trains électriques (énergie électrique photovoltaïque).
Cela permettra aussi de créer des villes nouvelles avec la disponibilité de l’eau et de l’électricité ; le programme de sécurité alimentaire recevra une accélération avec la disponibilité du transport ferroviaire électrique.
Nous irons de plus vers la locomotion électrique et l’Algérie ambitionne de produire 1 million de voitures et d’engins de transports (bus, camions) d’ici la fin de la décennie. Elle lancera aussi la production d’hydrogène vert. Pour cela, elle devra développer des partenariats solides et pérennes avec la Chine, l’Allemagne et l’Italie
Le système éducatif devrait être amélioré
En fait, un nouveau monde est en train de se dessiner, celui de la technologie. L’Algérie se bat pour une transition multidimensionnelle pour faire émerger l’Algérie nouvelle sachant que le meilleur investissement est celui réalisé dans le développement humain.
Si du point de vue quantitatif beaucoup de réalisations ont été faites à l’actif du système éducatif, force est constater que malgré un budget qui dépasse les 20% du budget de l’Etat, la massification due à la démographie n’a pas aidé à l’émergence d’un niveau élevé du baccalauréat.
Il serait indiqué de revoir comment améliorer l’aspect quantitatif en terme de moyens par la mutualisation des moyens et même des compétences, partant du principe que le Système éducatif est un continuum qui va de l’école à l’université et ceci entre les 3 sous secteurs (éducation, enseignement supérieur, formation professionnelle).
Cependant, notre grave déficit dans le domaine des mathématiques (2% de bacheliers mathématiques doit trouver des solutions, il est urgent fondamentalement le baccalauréat en créant en portant le chiffre de 2% de bacheliers à au moins 20% à la fin du prochain quinquennat. Cela nous permettra à cette échéance de produire au moins 50 000 ingénieurs (contre quelques milliers actuellement).
La création des deux écoles de mathématiques et d’intelligence artificielle à Sidi Abdallah est une rupture que nous saluons car elle consacre dans ce XXIe siècle de tous les dangers la prééminence de la connaissance.
Il est important de continuer sur la lancée en mettant en œuvre les six autres écoles (notamment de physique, de biotechnologie de médecine 2.0 d’économie quantitative de droit et enfin d’agronomie vétérinaire prévues initialement. Il peut s’avérer nécessaire graduellement de faire passer des réformes rendues nécessaires par la marche d’un monde qui ne fait pas de cadeaux aux pays faibles
Le vivre-ensemble pour un projet de société rassembleur
Devant les difficultés du monde actuel, les actions à mettre en œuvre pour améliorer la qualité de vie mais aussi l’éducation et la santé, comment faire émerger dans les faits la citoyenneté et l’idée de nation qui devrait être un plébiscite de tout les jours dans les faits ? Comment convaincre de la nécessité du bien commun dans un monde où il faut être de plus en plus performant pour évoluer ? il est nécessaire de mobiliser les forces vives du pays .
Pour cela un seul remède est le parler vrai et la justice. Le secret est de constamment montrer que les canaux du débat sont ouverts, la seule obligation est d’aimer son pays.
Il s’avère plus que jamais nécessaire de tout faire pour le vivre ensemble puis le faire ensemble car la grande erreur que nous devons assumer est d’avoir isoler chaque wilaya en lui permettant à travers son université d’abriter toutes les spécialités. Il vient que l’Algérien d’une wilaya donnée ne connaît pas son pays encore moins ses autres compatriotes, il voit le jour dans sa ville, va à l’école dans sa ville, va au lycée et à l’université au mieux dans sa wilaya.
Il a fallu s’inspirer du service national immense creuset de l’identité algérienne. Dans l’enseignement supérieur, une répartition harmonieuse des disciplines scientifiques nationales permettra le brassage des étudiantes et étudiants qui apprendront à se connaître. Il en est de même aussi de la culture qui doit inlassablement arriver à un brassage des régions.
Notre rapport au Monde
Un célèbre adage de Winston Churchill, homme d’Etat : « L’Angleterre n’a pas d’ami ou d’ennemi, elle n’a que des intérêts permanents.» Dans ce XXIe siècle de tous les dangers, nous devons connaître nos intérêts combien même la défense par principe des causes justes est inscrite dans l’ADN de la Révolution.
Cependant il est un autre challenge, celui de répondre d’une façon appropriée aux convulsions du monde. La parenthèse du gouvernement actuel en France jusqu’a la fin du quinquennat actuel devrait être mise en œuvre pour faire avancer le dossier des relations algéro-françaises dans le sens de nos intérêts futurs.
Peut être qu’un Institut de la mémoire financée par la France et qui permettrait de rapatrier graduellement au fur et à mesure nos mémoires dispersées seraient un premier pas qui ouvrirait ensuite l’étape des réparations multiformes.
De même l’Algérie a un devoir de responsabilité vis-à-vis des binationaux Algériens Français qui peuvent servir de passerelles malgré tout les nostalgiques du bon temps des colonies voire de l’empire , dans un siècle où les relations sont basées sur une multitude de facteurs dont l’aspect humain est important comme c’est le cas des relations algéro-françaises mais aussi peut être aussi avec les Algériens harki qui garderaient au fond de leur cœur l’amour de l’Algérie. Donnons leur la possibilité de faire leur repentance.
Si nous avons une relation particulière avec la France, il nous faut encore plus nous ouvrir sur l’universel en commençant par l’immense opportunité de rejoindre le train des Brics. Il serait indiqué de mettre en place un organisme pour suivre nos démarches mais aussi l’état d’avancement de ces pays dans le domaine de la science et de la technologie.
Conclusion
On le voit, l’Algérie devra plus que jamais compter sur ses enfants. Il y a un train à prendre, celui de la modernité, du développement scientifique et technologique.
Nous allons relever ce défi, en formant graduellement des dizaines de milliers d’ingénieurs si on veut rejoindre dans de bonnes condition le train des BRICS qui sera pour nous un immense accélérateur du développement et nous permettre de sortir enfin de l’emprise de l’Union européenne avec laquelle nous n’avons que des problèmes pour ne pas savoir plier l’échine...
Il s’agit des fondations d’une Algérie nouvelle qui aura fort à faire dans un environnement impitoyable où seul le savoir compte. Le chemin vers l’excellence est un itinéraire difficile mais c’est le prix à payer pour de bonnes défenses immunitaires.
Le monde a changé, les hommes passent mais l’Algérie millénaire et ses enfants sont toujours là. L’homme d’Etat pense aux prochaines générations et c’est tout à son honneur. Gloire à nos martyrs! Bonne fête de l’indépendance aux Algériennes et Algériens qui devraient retrouver le feu sacré des pionniers de l’indépendance.