La valorisation des eaux salines pour l’agriculture : Des régions arides et hyper-arides

09/10/2024 mis à jour: 02:23
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Photo : D. R.

Par le Dr M. Bouchentouf

Ingénieur-Docteur en Agronomie

Ma contribution consiste à rappeler l’importance de la valorisation et de l’utilisation avec prudence des eaux minéralisées dans les régions arides et hyper-arides. Il faut savoir que leurs aptitudes à l’irrigation est déterminée non seulement par la quantité totale de sel présente mais également par le type de sel.

Il est important de mettre en valeur ces eaux chargées par rapport à la tolérance aux sels pour une gamme de cultures annuelles et pérennes qui pourraient être une solution, et ce, pour une meilleure rentabilité et efficacité.
Il est intéressant de rappeler le Colloque international organisé par l’Organisation arabe pour le développement agricole (OADA) en 1986 à Baghdad, en Irak, sur la mise en valeur des terres alcalines et salines.

J’ai eu l’honneur de représenter le ministère de l’Agriculture et de la Pêche d’Algérie en ma qualité de directeur de l’agriculture de la wilaya d’El Oued à l’époque, et j’ai participé activement à cet événement technique et scientifique important avec une conférence et la capitalisation de l’expérience pour une valorisation des savoirs des chercheurs et développeurs d’un grand nombre de pays présents et concernés.

Des cultures ont été expérimentées et conduites sur des sols salins irrigués avec des eaux fortement minéralisées. Les observations ont permis d’établir un classement des cultures en fonction de leur tolérance aux concentrations salines des solutions du sol.

Par exemple, pour les cultures maraîchères, les cultures comme le fraisier et le haricot supportent mal les concentrations faibles comprises en moyenne entre 1 et 2 g de chlorures totaux par litre d’eau. 

Les cultures comme la fève, le melon, le petit pois, la courgette, la courge, la salade, la patate douce ont une tolérance moyenne. Cela veut dire qu’elles peuvent s’adapter à des concentrations salines de 3 à 5 g de chlorure totaux par litre d’eau.

Les cultures comme la pomme de terre, le piment, le poivron, la tomate, le chou, le chou-fleur, la carotte, le navet, l’aubergine, l’artichaut, la carde, l’épinard, la blette, le maïs ont une résistance élevée, supportant des concentrations salines comprises entre 6 et 8 g de chlorure totaux par litre d’eau.
Nous avons les cultures de poireau, de betterave rouge, d’asperge, d’oignon, d’ail, de radis, de pastèque qui sont très résistantes aux sels et tolérantes à des concentrations salines comprises entre 9 et 11 g de chlorures totaux par litre d’eau.

Pour les arbres fruitiers, le palmier dattier supporte des teneurs en sels élevées pour un grand nombre de variétés. Sauf pour le cas de la variété Deglet Nour, le rendement et la qualité des dattes diminuent avec une eau d’irrigation à 5 g de résidu sec. Par contre, l’olivier est assez résistant, entre 3 à 5 g de résidu sec dans la solution du sol en surface, et un peu en profondeur. Les agrumes, notamment l’oranger et le citronnier sont, au contraire, très sensibles.

Nous pouvons classer ainsi par ordre décroissant de tolérance aux sels, les arbres fruitiers à savoir le palmier dattier, le grenadier, le figuier, l’olivier, l’oranger, le citronnier, le pomélo et l’abricotier.

Pour les cultures fourragères, industrielles, oléagineuses et céréalières, nous trouvons dans le classement par ordre décroissant de tolérance aux sels, le mélilot, la betterave fourragère, la luzerne, le sorgho fourrager, le colza, le cotonnier, le tournesol, le blé, l’avoine, l’orge, le sorgho grain, le maïs et d’autres cultures. 

Les variétés jouent un rôle important dans le comportement et la résistance aux concentrations de sels.
Quant aux essences forestières, nous avons un classement par ordre décroissant de tolérance aux sels, l’exemple d’un nombre d’espèces du genre Tamarix, connu sous le nom de Tamaris. Il s’avère que ses essences à l’âge adulte, peuvent supporter des eaux minéralisées avec une teneur en chlorure (CI) correspondant à 10 g de chlorure de sodium (CINa/litre).

Il y a d’autres arbres du genres eucalyptus, le Salsola, le Peuplier d’Euphrate, le Laurier rose, l’Haloxylon avec plusieurs espèces qui ont montré leurs résistances sur des sols salins sableux avec des eaux d’irrigation renfermant jusqu’à 7 g de chlorures par litre (Cl exprimé en NaCl). 
Les eaux salines sont excessivement récurrentes et doivent être utilisées avec beaucoup de prudence sur des sols perméables ou facilement drainables.
Pour les eaux moins salées et largement utilisables, des règles doivent être respecter à savoir :
- au niveau de la fréquence des arrosages pour stabiliser les solutions du sol ;
- le maintien de la concentration saline des solutions du sol au niveau de celle des eaux d’irrigation, ;
- des arrosages abondants au début de l’hiver pour lessiver les sels sursalés pendant la saison chaude ;
- la suppression des cultures d’été afin de ne pas abuser des irrigations pendant la période où l’évaporation est intense ;
- la réalisation de cultures tardives ou précoces ; abondamment fumées tant au point de vue organique que minéral (azote) pour augmenter la résistance aux sels des cultures 
- et la dernière règle à ne pas négliger, celle de la pratique de la jachère hivernale travaillée.
En tant qu’agriculteur, je considère le sol avant tout comme un support pour les cultures et un réservoir d’eau et d’éléments minéraux.
En tant que chercheurs de solutions, nous devons bien maîtriser les caractéristiques des sols des régions arides et hyper-arides car les recherches et les riches expériences montrent  que ce sont d’elles que dépendent beaucoup plus les problèmes en matière d’irrigation, de productivité des sols et des cultures.

Il est essentiel de rappeler que la récupération et la réutilisation des eaux de drainage sont une initiative louable et le drainage agricole représente un secteur important pour les bénéfices apportés, l’économie agricole et l’impact environnemental.
Je profite de cette contribution pour rappeler la vocation de la plaine qui entourait la Grande Sebkha de Misserghin, située à 15 km au sud-ouest d’Oran.
Un état des lieux ou diagnostic, que j’avais fait sur mon initiative en ma qualité de directeur de l’agriculture et de la pêche à Oran, pour le développement d’une culture du terroir dédiée à la culture de l’artichaut qui supporte des concentrations salines en réinventant l’artichautière qui existait au temps de la colonisation.

Une présentation du projet a été faite aux autorités locales de la wilaya de l’époque dans les années 1988. Plusieurs variétés d’artichauts de qualité, produites sur ses champs, étaient exportées vers la France. Cette mise en culture constitue une barrière pour l’avancée de la Sebkha sur les terres agricoles fertiles, notamment les terres fertiles et les vergers agrumicoles qui sont plus sensibles à la salinité de l’eau.

Dans le cadre de la diversification des cultures dans les exploitations agricoles et la valorisation des eaux salines, il est intéressant de rappeler les essais d’introduction de la culture d’artichaut, qui ont été conduits dans les régions sahariennes au niveau des différentes fermes de démonstration de l’Institut technique de développement de l’agronomie saharienne (ITDAS).

L’introduction de cette culture a été menée au niveau de la ferme de démonstration d’El Arfiane, commune de Djamaa, qui dépendait à l’époque de la wilaya d’El Oued, dont j’étais le premier directeur de l’agriculture et de la pêche. Actuellement, cette ferme est rattachée à la nouvelle wilaya d’El M’ghair.
Le plus important, les résultats ont confirmé une bonne adaptation et précocité de la culture avec l’obtention de rendements tangibles variant entre 150 et 180 q/ha pour la variété hybride Concerto. C’est une culture qui constitue une alternative, compte tenu de sa tolérance aux sels.

En conclusion, une économie d’eau ne veut pas dire une exploitation ou surexploitation de cette ressource, ni une pratique raisonnée de l’irrigation. 
La résilience d’un terroir agricole, nouveau ou ancien, dépend de son plan d’aménagement intégré, de la bonification des sols, de les rendre productifs, de protéger et maintenir leur fertilité et leur santé, de la maîtrise des caractéristiques des sols, de la protection contre les vents et vents de sable, de la distribution de l’eau, du drainage des sols.

La minéralisation des solutions du sol varie beaucoup en fonction des irrigations, des horizons ou des différentes couches du sol et des saisons.
Une démarche scientifique contribuera à une meilleure maîtrise de l’hydrologie des régions arides et hyper-arides, en particulier les eaux souterraines, à la valorisation et l’utilisation des eaux salines pour l’agriculture.

Les aspects biologiques du problème, à savoir les réactions et les tolérances des différentes espèces végétales aux eaux salées, les effets que ces eaux exercent sur la vie végétale suivant le degré de concentration des ions qu’elles contiennent, restent à étudier avec des axes de recherche en profondeur tout en tenant compte des dérèglements climatiques.

Il existe des méthodes d’adoucissement des eaux contenant beaucoup de sels, en vue de les rendre propres à l’irrigation et à la consommation humaine.
D’où l’importance des travaux de recherche pluridisciplinaire d’équipes formées d’hydrogéologues, hydrologues, chimistes, botanistes, pédologues, agronomes, qui faciliteront le progrès. M. B.
 

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