La solution a deux états : Illusion ou réalité ( 1re partie )

28/09/2024 mis à jour: 15:38
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La guerre génocidaire en cours dans l’enclave de Ghaza a actualisé la solution de deux Etats, un Etat israélien évoluant aux côtés de l’Etat palestinien indépendant et viable ayant pour capitale Al Qods (Jérusalem-Est). La liste des gouvernements reconnaissant l’Etat palestinien n’a cessé de s’allonger au fil des guerres israélo-arabes. 

Au 28 mai 2024, l’Etat palestinien est reconnu par 147 Etats sur 193 que comptent les Nations unies. Trois Etats européens, notamment la Norvège, l’Irlande et l’Espagne, viennent de reconnaître la Palestine. Il y a aussi 21 organisations internationales qui reconnaissent le statut étatique à la Palestine. La France, curieusement l’amie des Arabes, n’a pas jugé utile de reconnaître l’Etat palestinien. C’est une constance de la position française de dire qu’on reconnaîtra la Palestine en temps utile, au moment opportun. 

La France temporise au risque de manquer une chance historique pour faire bouger les lignes. Ce momentum ne sera pas de sitôt. La France sous le Président Macron a tout simplement aligné sa politique extérieure sur celle des Etats-Unis. L’influence française dans le monde, notamment dans son pré-carré africain, ne pouvait que se rétrécir. Israël via le Maroc est en train d’occuper le vide géostratégique. Ce mini-Etat, sur de lui-même et dominateur, joue désormais dans la cour des grands. 


Plus problématique encore, les cheikh arabes n’ont pas jugé utile d’exercer de pression sur la France ou les Etats-Unis pour la reconnaissance de l’Etat palestinien. L’achat des équipements militaires et sécuritaires de portée stratégique est plus avantageux qu’un soutien indéfectible à la cause palestinienne. La technologie militaire de la dernière génération est un gage sécuritaire, interne et régional. Les dirigeants des pays arabes, qui ont normalisé leurs relations avec Israël, pensaient que la question palestinienne était «définitivement enterrée» dans le nouvel ordre sécuritaire régional. 

Les Palestiniens ne joueraient ainsi plus aux «troubles-fête» à l’ouverture à «l’occidentalisation» opérée avant d’avoir procédé au préalable, comme dirait Mohammed Arkoun,  à un examen critique en profondeur du modèle islamique lui-même. La guerre les a dissuadés à suspendre au moins temporairement leurs relations. Bien au contraire, leurs relations commerciales et sécuritaires ont continué à s’intensifier. Le carnage des Palestiniens a atteint entre temps un degré d’atrocités et sauvagerie inédit. L’Algérie fidèle à sa tradition demeure l’un des rares pays de la région à soutenir inconditionnellement la cause palestinienne. Le président de la République a affirmé que «ce que subit le peuple palestinien, notamment dans la bande de Ghaza, par l’occupation israélienne, depuis plus de six mois, est une guerre de génocide». Le soutien à la cause palestinienne est plus fort au Maghreb qu’au Proche et Moyen Orient.


Israël ne conçoit pas le territoire comme un simple espace géographique mais comme un pouvoir stratégique (Michel Foucault). L’Etat hébreu parvient à agrandir son espace vital après chaque guerre ou conflit armé avec ses voisins (voire ci-dessous les cartes). Une stratégie socio-spatiale de conquête est mise méthodiquement en mouvement avant même la mise en branle du processus de nettoyage ethnique des palestiniens dans les années 1940 (Ilan Pappé). L’expansion territoriale est consubstantielle au mouvement sioniste, toutes tendances confondues. Le processus de spoliation est mis en branle avant même l’institutionnalisation de l’Etat juif, un Etat unique dans la typologie des Etats modernes. Cette donnée structurelle, organique, systématique doit être analysée dans un autre paradigme en se conformant à la rigueur des sciences sociales et humaines au même titre que les autres systèmes politiques (Rachid Tlemçani). 


La conquête militaire

Historiquement, la terreur a été de tout temps l’instrument privilégié dans la conquête coloniale. «Enlèvement, exécutions sommaires, assassinats purs et simples, torture et agressions sexuelles produisent Metrus atrox, une «peur terrible» (Benjamin Brower). La conquête militaire est une suite ininterrompue de meurtres de masses qui ont indistinctement visé les populations civiles. La conquête militaire française en Algérie a décimé un tiers de la population totale, entrainant un véritable «désastre démographique» (Hosni Kitouni). Israël a expulsé manu militari plus de 750 000 Palestiniens de leurs terres et domiciles entre 1947-1949. Plus de 400 villes et villages sont détruitset plus de 80 massacres commis. Comme enjeu crucial, il fallait à tout prix vider la Palestine centrale de ses populations pour installer les nouveaux arrivants en Terre promise. «Le droit souverain de tuer n’est soumis à aucune règle dans les colonies» (Achille Mbembe). 


La déclaration de Balfour 


Face aux persécutions antisémites et aux pogromes en Europe de l’Est et ailleurs, le mouvement sioniste, toutes tendances confondues, avait pour objectif le transfert de population de la diaspora en Palestine. Cette terre ancestrale appartenant de droit divin à Eretz Israël, selon le discours sioniste, était «une terre vide pour un peuple sans terre». Pour Theodore Herzl, fondateur et principal personnage du sionisme, un Etat juif souverain était l’objectif fondamental du mouvement. La bible est considérée, dans la pensée sioniste, comme un livre d’histoire. Tout israélien croit que le peuple juif existe depuis qu’il a reçu la Torah. Historiquement, la diaspora juive ne naquit pas de l’expulsion des hébreux de Palestine, mais de conversions successives en Afrique du Nord, en Europe du Sud et au Proche-Orient (Shlomo Sand). Theodore Herzl, le fondateur du sionisme, n’a-t-il pas proposé en 1903, avant la publication de la Déclaration de Balfour, l’établissement d’une implantation juive au Kenya, connu sous le nom de projet Ouganda ?


Le 2 novembre 1917, le gouvernement mandataire de la Palestine, dans un court texte de 67 mots, appelé «Déclaration de Balfour», décide unilatéralement d’octroyer «un foyer national au peuple juif». La Déclaration est la lettre envoyée par le ministre britannique des affaires étrangères, Arthur Balfour, au baron Lionel Walter Rothschild, financier du mouvement sioniste. La lettre précise que «les droits civils et religieux» seront respectés, mais il ne sera jamais question des droits politiques des Palestiniens. Les indigènes sont ici désignés en tant que «communautés non juives», ils n’obtiennent pas, contrairement aux juifs, de reconnaissance politique. 

La Déclaration est un des documents diplomatiques les plus importants de l’histoire moderne du Moyen-Orient. Ce document constitue une grande avancée pour le sionisme politique qui obtient une garantie juridique internationale qui lui servira de faire-valoir à légitimer la création de l’Etat hébreu (Lisa Romeo).Winston Churchill, Secrétaire d’Etat aux colonies, avait averti dans son Livre blanc de 1922 que la Palestine en entier ne devrait pas, contrairement aux revendications des sionistes, être convertie en un foyer national juif. Une correspondance entre un homme politique et un banquier, qui n’a aucune force de loi, est considérée comme le texte constitutif de l’Etat juif ! C’est difficile à croire, mais c’est vrai, une simple lettre a contribué à mettre en branle une dynamique conflictuelle qui n’a pas cessé de bouleverser le MENA et les autres régions géopolitiques.


La Partition du 29 Novembre 1947

Après la défaite de l’Empire ottoman, la Société des nations (ancêtre de l’Organisation des Nations unies) confie en 1920 au Royaume-Uni un mandat sur la Palestine. La décision de partage de la Palestine trouve sa première expression dans plusieurs propositions au cours de la période 1920-1948. La proposition de création d’un Etat fédéral ne fut pas acceptée. Curieusement plusieurs groupes, juifs et palestiniens, sont en train aujourd’hui d’examiner cette proposition comme solution pour l’après-Ghaza. Le Conseil de sécurité adopta finalement la proposition de deux Etats bien qu’on était conscient qu’elle ne réglerait pas le problème.  La résolution du 29 novembre 1947 est adoptée par un vote au nombre inférieur au deux tiers exigé réglementairement. L’assemblée générale des Nations unies était constituée seulement de 59 Etats, le reste du monde, le Tiers-Monde, absent, était sous domination coloniale européenne. La Grande-Bretagne qui a intrigué avant même l’attribution du mandat de la Palestine s’était finalement abstenue tandis que la France avait voté pour le partage.


La partition avait créé unilatéralement un Etat juif sur une superficie de 56%, un État arabe, 42% et la ville d’Al Gods, 2%.  La population totale de Palestine était composée pour deux tiers d’Arabes et un tiers de juifs. Le plan fut accepté avec empressement par l’Agence juive mais rejeté par les Etats arabes avec indignation sans présenter d’alternative crédible et pratique. 

Le plan de partage de 1947 est établi de telle sorte que son application entravera la libre circulation des populations. Le partage constitue une importante étape dans le  «vol de l’histoire» des Palestiniens pour ne pas citer le titre de l’ouvrage de Jack Goody. Cette partition à laquelle les Palestiniens n’ont pas pris part est l’imposture la plus scandaleuse du XXe siècle. Dès le début, le jeu était pipé, «El rakba mailya», comme dirait le dicton populaire algérien. La résolution 242 a activé cette tromperie en lui fabricant un consensus international. Il n’est plus aujourd’hui question de se référer à la résolution de 1947 mais à celle de 1967. 

Le conflit israélo-palestinien n’est pas contextualisé comme la condamnation sans équivoque de l’attaque du 7 octobre 2023 par les groupes armés palestiniens sous la houlette de Hamas l’illustre fort bien aujourd’hui, Un nouveau McCartysme, comme souligne Salam Kawakibi, en décrivant cette hystérie collective. Certes, «From the river to the see», le slogan phare du mouvement palestinien des années 1960 et 1970, a donné un grand espoir à «la rue arabe». Toutefois, la déconstruction du fait colonial et du sionisme ne peut pas être un instrument de propagande populaire. Une analyse rigoureuse sans complaisance idéologique s’impose aujourd’hui plus qu’hier. (A suivre)

 

 

Dr Rachid Tlemçani ,  Professeur des universités Alger



 

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