En droit du travail plus sans doute qu’en aucune autre branche du droit, le «spirituel» doit l’emporter sur le «matériel», et l’inspiration humanitaire doit primer sur la réglementation étroite et technique, car la finalité de ce droit réside dans l’homme. André Brun et H. Galland. Traité de droit du travail 2e éd. Paris Sirey 1978.
Les contraintes de la vie en société imposent aux individus qui vivent ensemble d’établir un système de règles qui leur permet d’organiser leurs relations et d’assurer leur sécurité. L’adage latin Ubi societas, ibi ius (là où il y a une société, il y a du droit) corrobore cette exigence de règles dans le giron de la communauté.
Ces règles, qui contribuent à édifier le socle social et à donner un sens à la vie en communauté, bannissent en même temps tout comportement répréhensible et nuisible au groupe. Ainsi, tout manquement aux règles en vigueur est considéré comme une atteinte à la collectivité et par voie de conséquence entraîne des sanctions proportionnelles à la gravité du comportement incriminé. Les règles de vie collective ne datent pas d’aujourd’hui, elles existaient même dans les sociétés primitives, du moins, sous forme de coutumes contraignantes. Les membres de la collectivité, sous peine d’être frappés d’ostracisme, doivent obéir à certaines règles de conduite, règles qui énoncent ce qui est permis et ce qui est défendu.
A l’instar de la société humaine, l’entreprise en sa qualité d’employeur est également soumise à des règles de conduite communément appelées règles de discipline, règles nécessaires pour permettre la cohésion des différents groupes socioprofessionnels qui la composent, règles édictées pour éviter des dysfonctionnements, règles obligatoires pour asseoir une communauté professionnelle, loin de toute action arbitraire. Et par là même créer les conditions idoines pour la réussite du projet collectif, celui de sa pérennité. Aussi, l’inobservation ou la transgression d’une disposition du règlement intérieur, élaboré en la matière, est-elle une faute professionnelle et, de ce fait, une sanction justifiée prise contre un tel comportement non conforme du salarié, et ne peut que conforter le management dans son rôle d’assurer et de maintenir une justice sur les lieux de travail, a contrario, de l’impunité qui ne peut que découler d’une démotivation du personnel, voire une détérioration des valeurs de l’entreprise.
Le pouvoir disciplinaire de l’employeur remplit la même fonction que celle dévolue au droit pénal, réprimer toute violation aux règles de la collectivité. Néanmoins, son champ d’application est encadré et délimité par certaines restrictions citées par la loi du 24 avril 1990 relative aux relations de travail. Malheureusement, exercé à l’extrême, «le droit de punir» de l’employeur peut générer le licenciement disciplinaire, ce qui implique une cessation de la relation de travail, ou en d’autres termes une perte d’emploi, aux conséquences préjudiciables tant financières que psychologiques pour le salarié touché par cette mesure.
A la différence du licenciement pour compression d’effectifs, qui intervient pour des raisons économiques, le licenciement à caractère disciplinaire repose sur le salarié et son comportement, et a pour cause la survenance d’une faute grave professionnelle ou pénale. Mais quels que puissent être les actes ou faits répertoriés expressément comme fautes disciplinaires, l’idéal est d’anticiper et les prévenir pour éviter de les sanctionner, à défaut, prendre les devants pour essayer de les réduire et ainsi préserver et affermir durablement la relation humaine employeur/ salariés, qui demeure, bon gré mal gré, une symbiose nécessaire et indispensable à l’effet de contribuer à mener à bonne fin les objectifs de l’entreprise.
Pour ce faire, il faut aller au-delà de l’aspect juridique et réglementaire, qui consiste à appréhender les règles de conduite établies sur les lieux de travail, sous l’angle étroit et technique de la qualification des fautes professionnelles, des sanctions qui y découlent et la procédure de traitement appropriée, de manière à envisager une signification plus aérée et dynamique qui réside dans une approche intelligente de la gestion de la discipline, dans un contexte d’un droit du travail en constante évolution et sous pression d’une économie libérale en pleine crise. En vérité, dans sa finalité essentielle, la gestion de la discipline dans les relations de travail n’a pas seulement pour objet de réprimer les entorses à la réglementation et corrélativement instaurer l’ordre et la discipline, mais aussi et surtout à créer une culture de communication entre l’employeur et les salariés, qui est de nature, dans son expression opérationnelle, à augmenter les résultats de l’entreprise.
Or, les fautes disciplinaires qui perturbent le climat professionnel et «le bon fonctionnement de l’entreprise» résultent souvent d’une carence en communication entre l’employeur et les salariés, en raison notamment de l’incompréhension qui entoure le devoir d’informer qui échoit à l’employeur en pareille circonstance. Cette difficulté tient principalement à ce que l’information véhiculée en matière disciplinaire n’est pas accompagnée par une dimension humaine incarnée par la communication, qui offre l’avantage, en plus de créer et de développer la relation entre l’employeur et les salariés, de mieux saisir les enjeux de la discipline dans la vie de l’entreprise. Nonobstant leur différence quant au but poursuivi, l’information et la communication doivent être pensées ensemble et agir de concert.
En tout état de cause, la relation employeur/salariés ne peut exister que si l’information est alimentée par la communication, que là où il y a une fécondation mutuelle, et c’est cela que l’employeur doit rechercher. Pour dire vrai, l’aspect réglementaire lié à la discipline est inefficace et sera dénué de sa substance s’il n’est pas compris par ceux qu’il est censé gérer. Et quand bien même l’accès aux règles de discipline sur les lieux de travail par voie de transmission d’un écrit, e-mail, ou support matériel… bénéficierait d’une présomption qui ne peut pas être remise en cause, l’incompréhension est la pierre d’achoppement sur laquelle buttent fréquemment des salariés. Sinon, comment expliquer le comportement de certains, lorsque à titre d’exemple, ils s’absentent abusivement et d’une manière injustifiée, ou refusent sans motif valable d’exécuter des instructions professionnelles au risque de faire l’objet d’une décision de licenciement ?
Ainsi et pour parvenir à atteindre son objectif, celui d’étendre son autorité à l’ensemble des salariés et éviter toute interprétation floue et flottante de l’arsenal réglementaire inhérent à la gestion de la discipline, l’employeur doit ériger un pont de communication avec les salariés, afin de prêter attention aux signaux, si faibles soient-ils, en provenance de la communauté professionnelle qui annoncent potentiellement la gestation de malentendus et autres ambiguïtés.
Communiquer avec les salariés, c’est la capacité de comprendre la conduite des travailleurs en termes de respect du règlement intérieur, respect des collègues, respect des horaires de travail qui pourra impacter le travail en équipe. La communication employeur/salariés, c’est aussi dominer craintes et appréhensions pour aplanir si besoin est un désaccord ou un conflit larvé et rétablir sereinement la discipline. C’est également accepter les contradictions et les débats constructifs en faisant preuve de professionnalisme. C’est enfin ne pas se laisser duper par les idées reçues, en inventant des arrangements face à des situations inattendues. Le rapprochement entre l’employeur et les salariés est un facteur incontournable pour saisir la gravité des règles disciplinaires au sein de la communauté professionnelle. Ce faisant, pour aboutir, cette relation doit s’inscrire dans une action tangible avec des moyens concertés et la mise en place de certains dispositifs d’exécution qui, globalement, se focalisent sur :
Des réunions et rencontres :
Elles peuvent revêtir diverses formes (journées de sensibilisation, ateliers, séminaires). L’intérêt est de développer en permanence le contact avec le salarié pour lui rappeler ce que l’employeur est en droit d’attendre de lui, s’agissant de ses obligations rattachées au contrat de travail, la signification de son comportement au regard de ses collègues de travail, les sanctions encourues en cas de fautes et leurs répercussions sur sa carrière professionnelle.
D’un programme de formation :
La formation est l’espace de rencontres par excellence pour sceller la relation entre l’employeur et les salariés. L’acquisition des règles disciplinaires par l’écoute, les questions posées et les explications données permet aux salariés de comprendre l’intérêt d’aboutir avec l’employeur à une vision commune quant à la valeur de la discipline dans l’entreprise.
De l’implication de la proximité hiérarchique :
La gestion de l’aspect disciplinaire ne doit pas rester confinée à la seule fonction des ressources humaines. Il faut se défaire de cette idée désuète et convaincre la ligne hiérarchique à mettre en pratique une conduite positive et proactive dans la prise en charge du volet disciplinaire et du comportement du collectif sous sa responsabilité. Cette collaboration en matière de discipline offrira à de jeunes responsables l’opportunité d’améliorer leurs qualités personnelles (autorité, leadership, écoute…) pour exercer par la suite des fonctions de niveau managérial.
En droit du travail, le pouvoir disciplinaire de l’employeur est irréfutable tant il dispose de moyens nécessaires pour distinguer les intérêts de la collectivité et pour en imposer le respect de la discipline.
La discipline dans les relations de travail est indispensable pour la protection des salariés et le fonctionnement de l’entreprise, en quête de performances.
Elle joue des rôles primordiaux dans le milieu professionnel : Elle assure la fermeté quand il s’agit de gérer des comportements non conformes à la réglementation. Elle instaure l’égalité en soumettant les travailleurs à un même traitement dans des situations analogues.
Elle garantit les droits à la défense à tout travailleur fautif, comme elle est une sécurité contre les lubies et l’arbitraire éventuels de telle ou telle hiérarchie. Par ailleurs, la valeur formatrice de la discipline est indéniable, car elle nous enseigne sur la façon d’agir de l’humain avec ses semblables, avec sa hiérarchie sur ses émotions, ses motivations, son comportement par rapport aux tâches à accomplir et par rapport aux règles en vigueur (horaires de travail, sécurité…). Cependant, la gestion de la discipline, pour exercer efficacement son action, requiert la complicité de l’employeur avec les salariés.
En conciliant l’employeur et le salarié, la gestion de la discipline permet de dépasser l’application rigide et mécanique des règles qu’elle édicte, en mettant en évidence la portée de la communication, à surmonter les obstacles et fournir des informations claires, précises et compréhensibles. La communication est incontestablement un des grands challenges auxquels devront faire face l’employeur et les travailleurs.
Par Haïchour Aboud
Ex-DRH Direction de distribution de l’électricité et du gaz Ali Mendjeli
(Constantine)
Réf. :
- Le Droit du travail (Pierre-Dominique Ollier Collection U).
- El Watan du 19 03 2007 (supplément économie) interview de Tayeb Belloula, ancien bâtonnier et auteur du livre «Droit du travail» publié en 1994-Korichi Med Nasreddine : le pouvoir réglementaire et le droit
disciplinaire en entreprise.
- Séminaire (Association algérienne des ressources humaines les 23, 24 et 25 juin 2007. Hôtel El Aurassi, Alger).
Différents sites internet sur la communication