La population sinistrée du nord de la Syrie abandonnée à son triste sort : Aide internationale et enjeux politiques

09/02/2023 mis à jour: 03:00
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Un malheur n’arrive jamais seul : enclavées, coupées du monde, les populations syriennes du nord du pays entrées en rébellion contre le pouvoir central du président Bachar Al Assad, qui les accuse d’être sous la férule des djihadistes islamistes, crient à la face du monde leur colère pour la solidarité internationale qui n’arrive pas dans les régions sinistrées d’Alep, de Ladikiya, Homat, Idleb et Tartous. Le séisme de forte amplitude, qui a durement frappé la région du nord de la Syrie voisine de la Turquie, a fait plus de 2600 morts, selon le dernier bilan communiqué hier par les Casques blancs, les secouristes syriens des zones rebelles. Un décompte macabre éligible à la hausse compte tenu de l’ampleur des dégâts et de la lenteur des secours due à l’absence totale de moyens d’intervention pour sauver le maximum de personnes ensevelies sous les décombres. Plus le temps passe, plus les chances de retrouver des survivants s’amenuisent.

Tout au long de ces 12 années de guerre, la région peuplée d’environ quatre millions d’habitants n’avait que le point de passage menant vers la Turquie voisine pour assurer l’approvisionnement de la population locale. Le séisme, qui a frappé concomitament la Turquie et la partie nord de la Syrie, a rendu impraticable cette unique voie de désenclavement, et quasiment de nul effet l’acheminement de l’aide vers les régions sinistrées. Même l’aide acheminée auparavant de la Turquie fait défaut ; ce pays ayant fort à faire pour faire face à la situation interne apocalyptique, générée par le séisme de lundi dernier qui a fait, selon les chiffres communiqués hier par le président Recep Tayyip Erdogan, plus de 8574 morts et 50 000 blessés secourus. Piégés, à l’instar du reste de la population, dans ce champ de ruines d’où se dégagent l’odeur mortuaire des corps des victimes en décomposition encore ensevelis sous les décombres, les Casques blancs, estimés à quelque 3300 bénévoles, ont brisé hier le silence, demandant «à la communauté internationale d’assumer ses responsabilités à l’égard des victimes civiles». «Il faut que des équipes internationales de sauvetage entrent dans nos régions», a déclaré à l’AFP le porte-parole des Casques blancs, Mohamed Al Chebli, qui a lancé un cri de détresse reflétant l’état d’impuissance et le sentiment d’abandon de la population de la part de la communauté internationale. «Nos équipes sont épuisées, mais nous continuons à travailler», ajoute le responsable des secouristes, qui alerte particulièrement sur la situation sanitaire alarmante dans laquelle se trouvent les infrastructures médicales de la région, débordées par l’afflux des blessés. Les structures de maternité endommagées par le séisme sont une grande source de préoccupation dans cette région sinistrée. La vie des enfants et des mamans arrivées au terme de leurs grossesses est sérieusement menacée, alertent les responsables locaux.

L’Agence des Nations Unies pour la santé sexuelle et reproductive (UNFPA) s’est engagée mardi à «soutenir les populations de Turquie et de Syrie touchées par les tremblements de terre, notamment les femmes enceintes qui devraient accoucher dans les semaines à venir dans ces conditions difficiles», a déclaré Natalia Kanem, directrice exécutive de l’UNFPA.

La population syrienne, victime collatérale

Si l’aide humanitaire de l’Union européenne va de soi en ce qui concerne la Turquie, membre de l’Otan, la Syrie, pour des raisons politiques connues, a eu droit manifestement à un traitement à part. L’Union européenne s’est trouvée devant le dilemme suivant : comment faire la part des choses entre le devoir humanitaire et la crainte que le présidant syrien Bachar Al Assad, ennemi juré des Occidentaux et dont le pays est sous le coup de sanctions internationales depuis l’éclatement de la guerre en Syrie en 2011, en tire un bénéfice politique, et que l’aide mobilisée au profit de la population du nord de la Syrie sinistrée ne soit détournée par les djihadistes islamistes. Le peuple syrien n’est qu’une victime collatérale des représailles exercées par l’UE contre le régime de Bachar Al Assad. L’UE a attendu que le gouvernement syrien sollicite officiellement l’aide européenne pour réagir et s’exprimer sur la question, au moment où des voix s’élèvent, partout, pour s’interroger sur le peu d’empressement affiché par les pays occidentaux pour venir en aide aux populations syriennes sinistrées. Ce n’est qu’hier, trois jours après le séisme, que l’UE a rompu le silence. «Ce matin (hier, ndlr), nous avons reçu une demande d’aide du gouvernement syrien par le biais du mécanisme de protection civile. Nous partageons cette demande avec les Etats membres de l’UE et nous les encourageons à apporter l’aide demandée», a déclaré le responsable, chargé de la gestion des crises. «Il est également important de s’assurer, je tiens à le souligner, que cette aide va aux personnes qui en ont besoin, et qu’elle n’est pas détournée. C’est quelque chose que nous allons surveiller», a averti Janez Lernarcic. La Syrie a besoin «d’assistance pour le sauvetage des personnes bloquées sous les décombres, mais aussi de médicaments et équipements médicaux et d’aide alimentaire d’urgence», a détaillé le commissaire européen lors d’une conférence de presse. En tout état de cause ce cafouillage diplomatico-humanitaire, sur fond d’enjeux géopolitiques, confirme, pour le moins, une chose : que l’aide humanitaire internationale n’est pas toujours, comme on le prétend, aussi neutre et apolitique, loin de toutes considérations de religions, de races et de couleur de la peau. 

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