La montagne de «Da» Egil : Souvenirs d’un bénévole norvégien à Ouacif

08/03/2022 mis à jour: 12:36
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L’auteur norvégien, Egil Magne Hovdenaks, signant son ouvrage à Ouacif

L’Algérie, qui durant son combat héroïque contre 132 ans de colonisation meurtrière, a vu des hommes et des femmes épris de justice et de liberté soutenir le sursaut révolutionnaire, ce maillon de solidarité n’a pas été rompu après l’indépendance, mais au contraire Alger s’est transformé en un véritable réceptacle d’un magnifique mouvement dédié à la construction et à la remise sur pied de ce que la colonisation française a réduit à néant. 

Parmi les témoins de cette période charnière, le Norvégien Egil Magne Hovdenak, symbole du développement communautaire, un acteur de premier plan dont le destin lui a permis de traverser des mers et des terres pour contribuer ainsi à la marche de l’histoire vers la dignité et le progrès. 

Des chroniques de la longue nuit coloniale et celles des jours de l’indépendance sont immortalisées dans le livre qu’il a titré A mes Amis de la montagne édité chez Daliman, traduit par sa compatriote Hélène Celdran et préfacé par l’écrivaine anthropologue Tassadit Yacine.

 Et c’est par un vendredi pluvieux que la filiation de la bonté s’est manifestée à travers le retour d’Are Hovdenak, le fils de Egil Magne, sur les traces de son enfance revisitant à l’occasion des sites repères d’une longue tradition d’entraide et de progrès. Un accueil des plus chaleureux lui a été réservé par la population, la daïra et les municipalités de Ouacif et de Aït Toudert. Gratifié de tous les honneurs par l’Association du salon du livre amazigh de Ouacif, Knut Langeland, l’ambassadeur de Norvège en Algérie, et Are Hovedenak ont arborés fièrement le burnous blanc, symbole de pureté et de bravoure. Une occasion pour l’ambassadeur de Norvège et son épouse de saisir cette opportunité pour sceller cet esprit d’amitié amorcé dans les années soixante par Egil et les Quakers. 

Ce jour mémorable honorant de son vivant tout le parcours du bénévole norvégien, la petite bibliothèque municipale Muhya de Ouacif n’a pas pu contenir tous les citoyens venus nombreux témoigner des qualités intrinsèques de Da Egil, des photos, des récits émouvants, des lettres et autant de matériaux que les Rabah Benzaïm, Aït Mohamed Ouamer, Djillali Arab et tant d’autres ont dévoilé le temps d’une rencontre intimiste et chaleureuse un pan entier de la vie ouacifienne des Hovdenak. 

Le programme matinal s’est achevé par la vente-dédicace du livre A mes amis de la montagne dont les quarante-trois exemplaires ont été vendus, Dalila Nadjem, directrice des éditions Dalimen, qui ne s’attendait pas à un tel engouement pour la lecture, a promis d’autres livraison aux citoyens de Ouacifs et en attendant la nourriture de l’esprit, les hôtes de Laraba Ath Ouacif ont été conviés au plat du partage le couscous. Le retour de l’enfant de Ouacif au «bercail» a été ponctué de la visite des lieux repères, l’émotion était à son comble lors de la visite à Zouvga de la maison où il a vécu, Are n’a pas pu contenir tout le flot de souvenirs qui l’a submergé, des instants immortalisés par des séances-photos ainsi les lumineuse stations narrées dans l’ouvrage autobiographique «A mes amis de la montagne» se sont invitées tout au long de la visite de la délégation norvégienne. 
 

Ouacif ou le village d’adoption 
 

Et c’est à Ouacif que se sont installés Egil Hovdenak et ses compagnons de l’association Quakers, une ONG soutenue financièrement par l’agence norvégienne de développement ou l’ex-Norad, même le prestigieux comité Nobel a mis la main à la poche pour assister la dynamique de l’édification des infrastructures dans le milieu rural. 
 

Il est question tout d’abord de rendre hommage au regretté Mohamed Cherif Sahli, l’ancien représentant du FLN dans les pays scandinaves, qui a mobilisé durant la guerre de Libération nationale tout un réseau de sympathie pour l’indépendance de l’Algérie et dans le prolongement s’est traduit intensivement à travers l’adhésion et l’implication des amis de l’Algérie dans la reconstruction du pays. 

Ce processus de coopération avalisé tout d’abord par les autorités algériennes a vu la participation effective des citoyens des villages de Ath Abbes, Waavderhman, At tsidiathman, Zaknoun, Zouvga, Zahloun, Takidount, Tikichiurt, Tiroual et Tigoumounine. Egil, qui débarqua avec sa femme Turid et ses deux enfants Epsen et Are, finalisa son projet de réhabilitation des écoles, des centres de soins, et ce, avec le concours des maçons, des manœuvres et d’autres agents polyvalents. La mairie de Ouacif ne lésinait pas sur les moyens, notamment à travers la mobilisation des camions pour le chargement de matériaux de construction. L’achèvement du château d’eau au niveau des villages d’At tsidiathman, d’At Abbas et de Tikichourt, le raccordement de ces localités au réseau d’alimentation en eau potable ont mis fin à la pénible corvée d’eau à laquelle s’adonnaient quotidiennement les femmes de ces zones enclavées. 
 

Cap sur l’éducation et l’apprentissage 
 

Cette belle aventure humaine, qui s’est invitée au cœur de la Kabylie, a été accueillie par les habitants des «tudar» de Larbaa n’ath Ouacif avec enthousiasme, le projet de développement communautaire dont l’éthique reposait sur la participation des villageois et le refus de toute forme de charité, cette noble action s’est illustrée à travers l’affectation d’une ancienne mosquée à Zouvga pour les besoins d’un espace d’apprentissage pour jeunes filles, le lieu qui était jonché de détritus a été transformé en l’espace de quelques jours en un centre de formation pour les jeunes filles. L’action a été épaulée par le Croissant-Rouge algérien de la wilaya de Tizi Ouzou qui a doté l’établissement de plusieurs machines à coudre. Par ailleurs, dans le village de Wabdherahmane, Turid l’épouse d’Evil Hovdenak a réussi à initier les adolescentes à la longue tradition norvégienne du tricot, celle des éternels motifs de Selburuse. 
 

Health for All, ou santé pour tous 
 

Au lendemain de l’indépendance, la commune de Ouacif comptait 30 000 habitants, dont les prestations sanitaires ont été assurées par un médecin et six soignantes, un modeste chiffre pour dire l’énorme déficit en matière de couverture sanitaire. L’initiative fraternelle, pilotée par les Quakers a été centrée sur l’axe sanitaire qui, à travers l’opération menée dès 1964 par le médecin néerlandais Bonnema, a contribué à mettre en état les cabinets médicaux des villages dont la plupart n’étaient pas raccordés au réseau de l’alimentation en eau potable, comme celui de Tizi ltnien. 

Un après avec le départ du médecin hollandais, un autre généraliste issu aussi de la lointaine Norvège est venu renforcer le staff médical, le docteur Solberg a rappelé dans ces réflexions contenues dans l’ouvrage dédié à la Kabylie les ravages de la grippe qui ont marqué l’hiver 1965, une situation que le docteur a réussi à surmonter avec la prise en charge de plus de 400 malades dans le seul village de Tirwal. Lors de leur séjour dans cette région du sud de la wilaya de Tizi Ouzou et malgré les conditions difficiles des habitants, les hôtes de Ouacif ont été marqués par l’hospitalité légendaire de la région sans oublier leur participation à des moments de joie et de liesse agrémentés par les sonorités de tbal et de ghaïta, la famille Hovdenak s’est même initiée à la danse kabyle et à partager le plat de la région par excellence, le couscous. 
 

Le développement communautaire a non seulement conforté les fellahs de la région dans la réussite de la culture ancestrale des oliviers et des figuiers, mais il leur a offert aussi les outils pour augmenter la production. Ces derniers ont été formés aussi à la culture du tournesol, une activité qui s’est étendue sur plus de 5000 m2, sans oublier également l’intégration d’autres filières dans le secteur de l’élevage de la volaille, de l’apiculture et de l’élevage bovin et ovin. 
 

Tolérance et vivre ensemble 
 

Le séjour de la famille de Magne Hovedenak témoigne de cette tradition séculaire de tolérance et de partage, des chroniques gratifiées de récits de bravoure, de faits anecdotique valorisant l’hospitalité légendaire des gens de la montagne, des moments rehaussés par les déclamations poétiques du moudjahid barde du village At sidi Athmane, Aït Tahar, alias Mohamed Benhanfi, qui lui s’est abreuvé de la source intarissable de sagesse que représentait le saint cheikh Mohand Oulhocine. L’élévation de l’âme et le summum de la fraternité et tant de valeurs d’humanisme ancrées dans la tradition séculaire ont été transcendés par le sage Benbessi du village Tikichourt dans un élan de dépouillement et de tolérance, ces propos d’une pureté mystique plaidant la coexistence dans la tombe avec son ami chrétien Diderich Lund : «M. Diderich, nous avons à peu près le même âge. J’aimerais bien que nous mourions le même jour. Nous pourrions partager la même tombe, avec une croix a une extrémité de la tombe et un croissant de lune a l’autre. Nous irions au paradis la main dans la main.» 

Egil Magne Hovedenak, qui a eu un coup de cœur pour les gens de cette région est, parti définitivement en 1969, son départ n’était qu’un au revoir puisqu’il est revenu en 1986 pour constater de visu la réussite scolaire des filles de Zaknoun, l’imposante station de pompage de Ath Abbas et la dynamique exploitation agricole de Djilali, qui a relevé le défi en triplant ces activités d’apiculture avec plus de cent ruches. Trois ans après, c’est toute la famille Hovedenak qui est revenue en 1989 à bord d’un camping-car pour revisiter ainsi une tranche de vie ou la résilience et l’altérité ont trouvé tous leur sens. Le sens que Are Hovdenak est venu perpétuer le premier vendredi du mois mars 2022 celui de la baraka et de la fraternité. 
 

Y. A. M. 
 

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