La génétique retrace 10 000 ans d’évolution de notre immunité

15/01/2023 mis à jour: 17:37
AFP
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C’est une révolution génétique qui remonte à l’âge du bronze en Europe : il y a 4500 ans, notre système immunitaire a commencé à muter pour mieux résister à une propagation de maladies infectieuses, au détriment de notre protection contre d’autres types de maladies. 

Une étude publiée hier retrace l’évolution des mutations génétiques au cours des 10 000 dernières années, à savoir depuis la période néolithique où les chasseurs-cueilleurs ont abandonné leur mode de vie nomade pour développer l’agriculture et l’élevage. Les scientifiques ont analysé l’ADN ancien de 2300 individus européens, retrouvés au cours de diverses fouilles archéologiques, et déjà stocké dans une base de données. Ils ont combiné ces échantillons à 500 génomes modernes et développé une méthode pour détecter et dater les variations génétiques survenues au fil du temps. Une approche fondée sur la paléogénomique, discipline qui a valu le prix Nobel de médecine 2022 au biologiste suédois Svante Pääbo. Sur les centaines de milliers de mutations extraites, ils en ont déniché certaines qui sont «avantageuses pour combattre les infections». Ces mutations-là sont localisées dans 89 gènes, explique à l’AFP Lluis Quintana-Murci, directeur de l’étude parue dans la revue Cells Genomics. A leur «grande surprise», les scientifiques ont découvert une fréquence accrue de ces 89 gènes, impliqués dans notre réponse immunitaire contre les pathogènes, ajoute ce professeur à l’Institut Pasteur et au Collège de France. A l’instar des gènes OAS agissant sur les fonctions anti-virales, ou du gène responsable des groupes sanguins ABO, précise l’Institut Pasteur dans un communiqué. 

Les peuples Yamna 

Ces mutations avantageuses pour notre survie se sont accentuées à travers les âges, grâce à une sélection «positive» d’adaptation de l’humain à l’environnement. Deuxième trouvaille : «Nous avons réussi à dater à partir de quand elles sont devenues avantageuses, à savoir dans les derniers 4500 ans, à partir de l’âge du bronze», s’enthousiasme le Pr Quintana-Murci. Une date concomitante avec «l’arrivée de la grande migration provenant des steppes d’Asie centrale, celle des peuples de culture Yamna qui auraient amené les langues indo-européennes et dont tous les Européens portent aujourd’hui des traces génétiques», raconte ce généticien des populations. Cette migration a entraîné une croissance importante de la population européenne et fourni un terrain favorable à une propagation des microbes pathogènes. L’étude écarte la piste de nouveaux pathogènes amenés par les peuples Yamna. La preuve  ? «Les mutations génétiques étaient déjà là avant cette migration, elles ‘traînaient’ mais elles étaient neutres parce qu’il n’y avait pas autant de maladies. C’est avec la croissance démographique qu’elles sont devenues avantageuses pour combattre les infections», développe l’auteur. 

«Prix à payer» 

Mais il y avait un «prix à payer». Tandis que notre protection contre les maladies infectieuses augmentait, ces mêmes mutations nous ont rendus «de plus en plus vulnérables» aux maladies auto-immunes, comme la maladie de Crohn, le lupus ou la polyarthrite rhumatoïde, ainsi qu’aux maladies inflammatoires. Des pathologies qui tuent beaucoup moins que les maladies infectieuses, ce qui expliquerait l’adaptation de notre immunité au danger le plus grave. «On savait que notre système était devenu moins résistant aux maladies auto-immunes et inflammatoires mais on ne savait pas que cela remontait aux débuts de l’âge du bronze», précise le Pr Quintana-Murci. Ce qui réfute l’hypothèse hygiéniste, selon laquelle c’est l’arrivée des vaccins et des antibiotiques au XXe siècle qui aurait favorisé le développement des maladies auto-immunes et inflammatoires, en contrepartie de la baisse de la prévalence des maladies infectieuses. Faute d’échantillons suffisants dans d’autres continents que l’Europe, les auteurs de l’étude n’ont pas pu savoir si cette évolution avait été la même partout dans le monde. Mais leur découverte pourrait ouvrir des pistes pour la recherche médicale, en développant des thérapies ciblées vers certains gènes.  

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