La CPI ouvre le dossier des massacres du Darfour

06/04/2022 mis à jour: 10:01
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Le conflit du Darfour a fait 300 000 morts et 2,5 millions de déplacés, selon l’ONU / Photo : D. R.

Selon les procureurs de la CPI, le chef de milice, soutenu par les forces soudanaises, Ali Muhammad Ali Abd Al Rahman, 72 ans, a mené des attaques contre des villages dans la zone de Wadi Salih au Darfour en août 2003. Au cours de ces attaques, au moins 100 villageois ont été assassinés, des femmes et des filles ont été violées et les membres du groupe ethnique prédominant Four ont été transférés de force et persécutés.

Un ex-chef de milice a plaidé «non- coupable» hier de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité lors de l’ouverture de son procès devant la Cour pénale internationale (CPI) pour des atrocités commises au Darfour, théâtre d’un bain de sang il y a près de 20 ans.

Ancien chef de la milice janjawid, force supplétive du gouvernement soudanais, il est la première personne à être jugée devant la CPI, qui siège à La Haye, aux Pays-Bas, pour les atrocités commises lors de ce conflit.

Ce premier procès sur les crimes au Darfour s’ouvre au moment où la cour, créée en 2002 pour juger des individus pour des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ou des actes de génocide, enquête actuellement sur les exactions commises dans un autre conflit, celui qui sévit en Ukraine depuis plus d’un mois.

Le procureur général de la CPI, Karim Khan, qui mène l’enquête en Ukraine, était devant les magistrats hier pour l’ouverture du procès d’Ali Muhammad Ali Abd Al Rahman, 72 ans, qu’il accuse d’avoir été un «participant conscient et volontaire aux crimes» commis au Darfour.

«Je plaide non coupable de tous les chefs d’accusation, je suis innocent de toutes ces charges, je ne suis pas coupable de quelque charge que ce soit», a répondu M. Ali Abd-Al Rahman, collaborateur de l’ex-président soudanais Omar El Béchir.

Au moins 45 personnes sont mortes la semaine ayant précédé l’ouverture de ce procès, dans de nouveaux affrontements tribaux dans cette région de l’ouest du Soudan régulièrement endeuillée par des violences, selon les services de sécurité locaux.

Egalement connu sous son nom de guerre d’Ali Kosheib, Ali Abd Al Rahman est accusé de 31 chefs de crimes de guerre et contre l’humanité, commis en 2003-2004 au Darfour. L’audience, diffusée à la télévision d’Etat au Darfour, a notamment été suivie dans le camp de Kalma, un des plus grands camps de déplacés du Darfour.

«J’espère qu’il aura ce qu’il mérite», a déclaré, à l’AFP, Mohamed Issa, qui vivait dans la région de Mukjar au Darfour central, un des endroits où M. Abd Al Rahman et ses forces auraient commis des atrocités. L’ex-chef de milice et ses forces ont tué son père et son frère et incendié leur maison dans sa ville natale, a affirmé M. Issa.

«Aucun d’eux n’est revenu»

Le conflit au Darfour a éclaté lorsque des membres de minorités ethniques ont pris les armes contre le régime de Khartoum, dominé par la majorité arabe. Khartoum a répondu avec les Janjawids, une force issue des tribus nomades de la région.

Le bilan humain du conflit est estimé à 300 000 morts et 2,5 millions de déplacés, selon les Nations unies. «J’ai été surpris d’apprendre que Kosheib a nié les accusations d’avoir tué notre peuple», a déclaré un autre résident du camp de Kalma, Adam Musa. «Je l’ai vu emmener des hommes de notre village et aucun d’eux n’est revenu», a-t-il ajouté.

M. Abd Al Rahman «était fier du pouvoir qu’il pensait exercer», a déclaré hier devant les magistrats le procureur de la CPI, Karim Khan. «Il y a pléthore d’éléments de preuves émanant de sources différentes démontrant que l’accusé a tué», et ordonné et participé à des crimes, «des témoins l’ont vu, entendu, reconnu», a-t-il poursuivi.

«Colonel des colonels»

La CPI avait émis en avril 2007 un mandat d’arrêt contre M. Abd Al Rahman, qui avait fui en République centrafricaine en février 2020, lorsque le nouveau gouvernement soudanais avait annoncé son intention de coopérer avec les enquêteurs de la juridiction.

Il s’est finalement rendu en juin 2020 à la CPI après 13 ans de fuite, tout en niant les charges à son encontre. Selon les procureurs de la CPI, le chef de milice, soutenu par les forces soudanaises, a mené des attaques contre des villages dans la zone de Wadi Salih au Darfour en août 2003.

Au cours de ces attaques, au moins 100 villageois ont été assassinés, des femmes et des filles ont été violées et les membres du groupe ethnique prédominant Four ont été transférés de force et persécutés.

Surnommé «colonel des colonels», il est également accusé d’avoir mobilisé, recruté, armé et approvisionné les milices janjawids sous son commandement.

Omar El Béchir, qui a dirigé le Soudan d’une main de fer pendant trois décennies avant d’être destitué en avril 2019 après des mois de manifestations, ainsi que deux autres dirigeants sont réclamés depuis plus de dix ans par la CPI pour «génocide» et «crimes contre l’humanité» lors du conflit au Darfour.

«Nous attendons avec impatience qu’El Béchir et Ahmed Haroun (un des autres dirigeants en fuite) soient jugés», a déclaré Adam Musa depuis le camp de Kalma.

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