Le monde n’a jamais été dans une meilleure position pour mettre fin à la pandémie. Nous n’y sommes pas encore, mais la fin est à portée de main. Nous pouvons tous voir la ligne d’arrivée, nous sommes en passe de gagner, mais ce serait vraiment le plus mauvais moment pour s’arrêter de courir. C’est le moment de redoubler d’efforts et de nous assurer de franchir la ligne d’arrivée et de récolter les fruits de notre labeur.»
Ces mots, prononcés mi-septembre par Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ont eu tôt fait d’être analysés comme signifiant que la pandémie de Covid-19 touchait à sa fin.
Ils étaient certes porteurs d’espoir, mais la ligne d’arrivée peine quand même à poindre à l’horizon. De la même manière, lorsque le virologue allemand Christian Drosten a déclaré fin décembre que, selon lui, la pandémie était terminée et que l’on entrait désormais dans sa phase endémique, il y avait sans doute des franches nuances à apporter à cette assertion un peu définitive.
Des questions qui restent encore sans réponse
Sur le plan épidémiologique, le terme «endémie» est inadapté pour parler de Covid, car il continue de survenir par vagues épidémiques, vagues qui sont d’ailleurs de plus en plus nombreuses et rapprochées. Depuis 2022, nous vivons une sorte de chronicisation de la pandémie. Nous sommes peut-être entrés dans un état de «perma-pandémie», tout comme nous sommes dans une situation de «permacrise» économique depuis près d’un demi-siècle.
La Covid continue de tuer, quatre à cinq fois plus que la grippe saisonnière, une autre grande faucheuse de la population âgée. Le SARS-CoV-2 envoie toujours de nombreuses personnes à l’hôpital, désormais en tension de manière quasi permanente.
Le virus laisse toujours, aussi, les patients avec des séquelles parfois très invalidantes et dramatiques pour leur qualité de vie. Des interrogations se font jour quant aux conséquences à moyen et à long termes des infections sur nos organismes : font-elles le lit d’affections chroniques ou de maladies dégénératives ? Nous rendent-elles plus vulnérables face à d’autres infections virales ? Nous ne le savons pas encore. Nous ne sommes, en outre, pas à l’abri de l’émergence de variants échappant aux vaccins, devenant plus contagieux et/ou plus virulents.
L’urgence ne peut pas être perpétuelle
Et si nos regards sont pointés vers les Etats-Unis aujourd’hui, la Chine peut-être demain, c’est parce que nous redoutons que les événements qui s’y passent actuellement ne se répercutent partout sur la planète.
Force est de reconnaître que nous ne sommes plus dans la situation de mars 2020 et que nous avons passé le plus aigu de la crise. Nous voudrions faire mieux, mais nous ne pouvons pas rester en permanence dans une situation d’urgence absolue. D’ailleurs, d’une certaine façon, le seul pays qui avait voulu persister dans cet état était la Chine, qui pensait maintenir sa stratégie radicale de zéro Covid avec ses tests quasi généralisés quotidiens, ses confinements et ses quarantaines.
Cette politique a finalement volé en éclats en décembre dernier, en raison de l’hypertransmissibilité des nouveaux variants, de l’épuisement et la colère de la population, et de son coût devenu exorbitant. Afin de nous expliquer et que nos propos ne soient pas lus comme minimisant une réalité qui n’a rien de légère, nous pourrions faire une analogie avec l’évolution d’un patient atteint d’une maladie chronique. Dans les premiers temps, il s’agit de poser un diagnostic et un plan de soin. C’est quelque chose de long et laborieux qui commence souvent avec un traitement d’attaque, généralement lors de la découverte d’une complication aiguë et destiné à frapper fort. C’est aussi une période durant laquelle le malade se familiarise avec son affection, l’accepte, apprend à en connaître les symptômes et les moyens de les soulager ou, mieux, de les prévenir. Puis arrive une phase où la maladie est un peu mieux maîtrisée sans être pour autant moins grave et sans que cela n’exclue de nouvelles crises ponctuelles, désormais mieux gérées parce que l’arsenal des outils pour les endiguer est connu et éprouvé. Le patient peut aussi espérer que les progrès de la recherche médicale lui feront connaître des avancées qui le soulageront encore mieux un jour prochain.
Covid long et autoconfinement
C’est peut-être à ce stade que nous en sommes aujourd’hui avec la Covid. Depuis le début de la crise, nous avons collectivement beaucoup appris. Nous savons comment réduire les risques d’infection –réaliser l’importance de la transmission par aérosols a été un très grand pas, même s’il nous reste encore à en tirer toutes les leçons.
Nous savons également comment réduire les risques de formes graves grâce à la vaccination et aux antiviraux lorsqu’ils sont judicieusement prescrits. Mais le hic, c’est que nous sommes collectivement trop souvent de «mauvais malades». Nous n’avons pas encore suffisamment compris que la lutte contre cette pandémie ne se jouait pas dans les seuls hôpitaux. Nous n’avons pas toujours réalisé que la Covid, ce sont aussi des milliers de personnes vulnérables forcées de continuer à se confiner pour se protéger, des millions de personnes épuisées par des formes longues.
Nous n’avons pas pris conscience que les infections répétées sur le long terme pourront affecter durablement nos organismes. Pour reprendre notre analogie avec le patient atteint de maladie chronique, le diabétique ou l’hypertendu aimeraient bien revivre comme avant, boire et manger sans contrainte. De fait, beaucoup de personnes pensent encore que c’est possible, ce qui les conduit à ignorer les conséquences des infections et à mettre de côté les moyens, même simples, de prévention à leur disposition. Si pour le malade chronique, le «vivre avec» devenait un laisser-faire, alors il sait qu’il obérerait notablement sa qualité de vie et son espérance de vie.
Vivre avec, mais intelligemment
Aujourd’hui, si nous devons reconnaître que nous ne sommes pas dans la situation de 2020, il nous faut vraiment sortir du déni. La pandémie n’est pas terminée. Le virus ne va pas disparaître de la planète avant longtemps et nous allons devoir vivre avec encore un bon moment. L’enjeu, pour nos sociétés, va donc être d’apprendre à faire cela le plus intelligemment possible, sans cacher la poussière sous le tapis et en mettant en œuvre tout ce qui est possible pour réduire efficacement les risques, sans en créer de nouveaux et sans trop entraver nos libertés retrouvées.
Cela passera par:
- Une refonte de notre veille sanitaire. Ça, c’est pour la poussière que l’on voudrait cacher sous le tapis, comme en ce moment lorsque le monde a réduit de 90% sa capacité de séquençage et d’autant ses tests PCR. Prenons plutôt exemple sur les Britanniques avec leurs sondages hebdomadaires ou alors sur les Néerlandais avec leurs analyses quotidiennes des stations d’épuration.
- Des rappels vaccinaux tous les six mois pour toutes les personnes éligibles, avec une exigence auprès des laboratoires puisqu’ils profiteront d’une telle aubaine. Demandons-leur de financer l’évaluation rigoureuse et indépendante de la nécessité et des délais requis pour pratiquer ces rappels réguliers. Car reconnaissons que, pour le moment, c’est par précaution que l’on fait cette recommandation, mais qu’elle n’est pas basée sur des arguments scientifiques très solides.
- De véritables plans visant l’amélioration de la qualité de l’air intérieur. Elle passe par le renouvellement de l’air (ventilation et aération), mais aussi sa filtration (filtres à haute efficacité HEPA) et sa purification (lampes UVC).
L’objectif est de rendre à l’air intérieur une qualité microbiologique voisine de celle de l’air extérieur. Nous avons su rendre la qualité de l’eau de nos robinets et de nos chasses d’eau quasiment aussi pure, microbiologiquement, que celle de l’eau en bouteilles. Nous devrions arriver à rendre l’air que nous respirons dans nos habitations, écoles, transports publics, bars et restaurants aussi pur, microbiologiquement, que l’air de la rue. Car ce sont dans les lieux clos, bondés et mal ventilés que se produisent plus de 95% des contaminations par le coronavirus, le virus de la grippe, ou le virus respiratoire syncytial (VRS).
- Le port du masque dans les lieux clos – transports, magasins, etc. – au-delà d’une certaine circulation de ces virus respiratoires. Le nouveau comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires (Covars) en France ou le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies pourraient très bien nous aider à fixer les seuils à partir desquels nous serions obligés de les porter.
- L’accès à des traitements antiviraux efficaces pour les personnes les plus vulnérables. On sait que le Paxlovid réduit de près de 90% le risque d’hospitalisation et de décès s’il est prescrit suffisamment précocement. Il faut donc le réserver aux personnes à haut risque d’hospitalisation et de décès, à condition de continuer à pratiquer chez elles des tests PCR fréquents en cas de symptômes. D’autres antiviraux censés arriver sur le marché devraient être plus maniables. La recherche doit donc se poursuivre, comme pour toutes les maladies chroniques.
Cohabitation forcée
Le constat est sans appel: nous pouvons faire mieux. Et même, nous devons faire mieux.
Est-il acceptable que la Covid continue à provoquer autant de morts et handicaper autant de personnes, alors qu’une large proportion pourrait être aujourd’hui évitée?
La Covid s’est introduite dans nos vies sans qu’on l’ait vraiment invité. Colocataire indélicat, il a sacrément bouleversé nos habitudes pendant un certain temps. Pour l’empêcher d’être trop envahissant, il nous a fallu négocier avec lui une cohabitation dont on se serait tous bien passés.
Chez beaucoup de ceux qui ont feint ignorer sa présence, il s’est rappelé à eux, en pleine nuit ou en plein réveillon, sur la pelouse d’un stade de football ou au cœur d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Car il est sans gêne, toujours prêt à remonter sur scène. Il nous appartient désormais de ne pas lui laisser le premier rôle.