La chronique littéraire / Littérature et patrimoine

27/04/2024 mis à jour: 10:48
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Le patrimoine vivant est sans nul doute au-delà des sites et monuments hérités du passé, des objets et des œuvres, celui le plus précieux, conservé dans les cœurs et les esprits, il trouve en la création littéraire et en l’agencement textuel un champ propice à son évocation et à sa conservation.

En effet, lui-même dépositaire d’un héritage transmis de génération en génération, doué d’une vision créative et de capacités d’écriture, l’écrivain trouve dans la littérature un moyen non seulement d’évoquer et d’exprimer cet héritage, mais aussi de l’actualiser, de l’enrichir, de le préserver et de le défendre. 

Au travers de la création littéraire, le patrimoine se manifeste et perdure, il peut même être retrouvé après avoir été considéré perdu et reprendre vie, c’est le cas, notamment,  des contes et des poèmes de tradition orale de Kabylie. Mouloud Mammeri, qu’il est tout indiqué d’évoquer pour sa contribution exceptionnelle à la préservation patrimoniale de la culture, de la langue et de l’identité amazighes de notre pays, en ce mois coïncidant avec le Printemps berbère, aura ainsi, entre autres, non seulement fait revivre la figure patrimoniale du poète errant  Si Mohand Ou Mhand, mais aussi sauvegardé ses Isefra à travers leur réunion, leur édition et leur traduction. 

Mais au-delà du cas de Mouloud Mammeri, toute la littérature produite dans notre pays s’avère aussi de manière, certes moins affirmée, un paradigme patrimonial, du fait de son ancrage social et de sa représentativité de notre conscience collective, y compris, me semble-t-il, dans les cas d’altérité ou de remise en question, la liberté individuelle, toujours bienvenue, jouant aussi son rôle de contraste ou même d’aiguillon. A ce titre, l’espace romanesque ou poétique est porteur de notre mémoire. 

De nombreux auteurs inscrivent leurs œuvres dans une temporalité historique et une spatialité territoriale nécessairement en lien avec le patrimoine. Certains en font même une démarche réfléchie exclusive, à l’instar de l’écrivaine Gouga Radia pour le patrimoine constantinois ou, de manière plus générale, de la poétesse Alima Abdhat pour la région chaouie, de l’écrivain Lazhari Labter pour Laghouat et de l’immense et attachant Himoud Brahimi pour Alger. Nous pourrions aussi revenir aux fondements de la littérature algérienne, pour remarquer que les prises de parole se font à partir de lieux patrimoniaux, on peut citer, à cet égard,

 Tlemcen pour Dib ou Constantine pour Haddad. Haddad qui, comme pour échapper au Quai aux fleurs parisien, installe son roman Je t’offrirai une gazelle dans notre Sahara, si profondément algérien, avec d’ailleurs la mise en avant d’un élément patrimonial emblématique en la gazelle, cette petite antilope qu’on retrouve jusque sur nos billets de banque. 

Des billets qui, d’ailleurs, ne manquent pas d’illustrer notre patrimoine du Mausolée royal de Maurétanie aux foggaras du Touat. De même «nos vraies richesses», pour faire un clin d’œil au roman de Kaouther Adimi, contribuent à faire connaître tous les aspects patrimoniaux dont est porteur notre pays, non seulement pour le lecteur algérien, mais aussi pour celui étranger, car chaque livre donne à lire notre algérianité. Cela est d’autant plus important à une époque où la portée symbolique, exacerbée par le développement inouï des technologies de communication et les changements des modes de diffusion, de réception et d’influence des messages, a pris une importance accrue dont les éléments patrimoniaux constituent un vecteur du fait de leur rattachement à l’histoire, à la culture et au récit identitaire. 

Autant de dimensions qui constituent le socle de notre littérature nationale qui, née pendant la période coloniale, remettra en cause la négation, le déni et la falsification de ces mêmes dimensions par le colonialisme qui non seulement occupa le pays mais aussi le spolia de son patrimoine (y compris en procédant au pillage de ses ressources patrimoniales, comme peut l’illustrer le pillage de la bibliothèque de l’Emir Abdelkader). 

Source d’inspiration infinie, notre patrimoine constitue aussi un réservoir inépuisable de sujets littéraires, soit sous forme de patrimoine immatériel, nous en citerons les mythes, contes et légendes, qui par leur caractère de «récit» sont favorisés par leur déroulement linéaire se rapprochent des formes littéraires et s’y assimilent aisément, ainsi que les coutumes, les chants, les danses, la gastronomie, les  jeux, les rituels, les cérémonies et les savoir-faire, soit sous forme de patrimoine matériel que nous retrouvons au sein même des œuvres. Même les photos n’y échapperaient pas, des photos particulières pour Rachid Mokhtari qui vient de publier son nouveau livre justement intitulé Photos de famille.

 C’est pourquoi il est important que la culture la plus large, j’allais dire la moins stérile, sous-tende la production de nos œuvres littéraires, car au-delà de l’héritage dont on peut se prévaloir, il s’agit aussi, pour reprendre un mot de Malraux, de conquérir la culture. La culture, au sens le moins élitiste, doit supporter la qualité de notre littérature, c’est à ce prix que les aspects patrimoniaux, déjà documentés dans les cadres académiques, scientifiques et médiatiques, pourraient être servis, valorisés et sublimés par la production littéraire. Tout  ce patrimoine, souvent en friche, dans toutes les régions du pays, s’avère une sève de choix pour irriguer l’imaginaire littéraire et consacrer par la littérature notre legs patrimonial. 

A ce titre, le roman historique a indéniablement un rôle à jouer, mais aussi le roman de mœurs, la poésie et les beaux livres à l’exemple de la collection Art et Histoire ou plus récemment celle de Zaki Bouzid. Mais si la littérature s’avère donc un champ intellectuel propice à l’expression et à la préservation patrimoniale, elle peut aussi s’avérer, elle-même, une littérature patrimoniale. 

Ainsi livres, extraits, citations et même un titre isolé, comme La terre et le sang, peuvent s’affirmer comme objets patrimoniaux, de par leur valeur intrinsèque, de leur portée historique, sociale ou symbolique, de la place qu’ils peuvent occuper dans la mémoire collective et dans leur contribution à l’identité culturelle d’un pays, il en est ainsi, par exemple, de Don Quichotte de Miguel de Cervantès pour l’Espagne, il en devrait être de même pour L’Ane d’or d’Apulée de Madaure pour notre pays.      
 

Par Ahmed Benzelikha

 

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