La chronique littéraire - La littérature rend-elle meilleur ?

24/02/2024 mis à jour: 04:00
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Ahmed Benzelikha

Par Ahmed Benzelikha

La question, au premier abord, peut sembler incongrue, dans un monde où la valeur et la qualité des êtres s’avère un détail dont il serait inutile de s’embarrasser. Pourtant, à y voir de plus près, être meilleur, d’abord, devrait être le projet de toute vie, y compris celle des peuples, ensuite, pour ce faire, la littérature en constituerait une voie royale.

A cet égard, chaque œuvre littéraire est un bréviaire, sinon un feu prométhéen, pour ceux dont le souci est de se rehausser, non point dans les hiérarchies illusoires, celles marchandes ou flatteuses, mais dans celles nobles et consciencieuses du mérite et de l’élévation, tant pour eux-mêmes que pour les sociétés auxquelles ils appartiennent.

C’est d’une rageuse chiquenaude, au détour d’un entretien, aux débuts des années 1990, sur les colonnes d’un titre de presse national, que le représentant d’un certain courant de pensée, fâché avec cette dernière et avec la vie, voua aux gémonies la littérature romanesque, laquelle s’avère une des plus belles expressions de l’accomplissement du projet de rendre l’homme plus humain et l’humain plus méritant de son humanité, en lui offrant, en chaque œuvre, la possibilité d’être meilleur.

Cette possibilité, qui se propose en chaque livre ouvert et en chaque page parcourue, n’a ni la simplicité de la recette ni le dogmatisme d’une doctrine, mais relève plutôt de la discussion amicale, presque intime, entre gens du même monde, celui des lettres, qui suppose celui de l’intelligence, y compris dans l’acception extensive de ce dernier terme, loin du matraquage médiatique, des assertions stériles des réseaux sociaux et, peut-être, des petits diables qui s’agitent en chaque être humain.

Cette «conversation» entre auteur et lecteur, autour, d’abord, des «choses de la vie» et là est le propos premier du roman, s’avère salutaire à plusieurs égards. En effet, elle est d’abord libre car librement consentie, d’une part et librement développée, d’autre part. Elle est, ensuite, responsable car elle nous impose des règles d’organisation, rattachées au récit (ou au non récit pour certains novateurs) et une exigence, celle de l’intelligibilité et, au-delà, celle de la réflexion qu’induit toute lecture profonde.

Liberté, responsabilité, intelligibilité et réflexion, autant de qualités visant non à faire du lecteur un parangon de sagesse ou de vertu, mais à mettre à sa disposition une capacité, une potentialité, au-delà du plaisir de lire une «belle histoire», de comprendre le monde, selon une grille fondée sur ces mêmes qualités, loin des discours cyniques ou hypocrites qui semblent mener celui d’aujourd’hui.

Comprendre le monde, c’est faire belle œuvre, quand ce qui nous anime n’est ni la haine, ni le ressentiment, ni l’intérêt, mais plutôt la bienveillance et l’intelligence, que les romans, dans la diversité de leurs innombrables sujets peuvent nous aider à trouver et à cultiver, grâce justement à cette multitude thématique, qui nous confère la latitude, non seulement de voir combien tout est relatif mais aussi de nous mettre, à travers chaque intrigue et chaque personnage, à la place des autres.

Ces autres, proches ou lointains, que nous méconnaissons par manque de… bienveillance et d’intelligence. Ainsi, les romans ne nous offrent pas un monde mais des mondes, qui nous libèrent de celui notre,  souvent étriqué. De nouveaux horizons de réflexion s’ouvrent alors à nous et nous pouvons même vivre d’autres vies, qui nous ramènent à la notre, plus forts et plus tolérants, plus ouverts mais aussi plus critiques, sinon plus exigeants de nous et des autres, tout en sachant, comme Térence (dont on gomme souvent la berbérité) que «(…) homme, rien de ce qui est humain ne (nous) est étranger».

Lire, c’est connaitre et savoir pour mieux vivre et agir. La littérature, quand elle est digne de ce nom, qui est certes faite de mots mais aussi et surtout d’idées et de pensées, ne conduit pas à la paresse intellectuelle, ni à l’oisiveté vicieuse, elle mène à la vivacité de l’esprit et à la vigueur des actions, et ,pour les plus jeunes, elle constitue une dimension particulière de l’apprentissage de la vie.

Omar de Mohammed Dib ou Fouroulou de Mouloud Feraoun, mais aussi, au-delà de ces modèles archétypaux, tous les personnages de la littérature algérienne, dans sa triple expression linguistique, sont les enfants curieux et volontaires que nous pouvons être quand nous ouvrons un livre, même pour, pensons-nous, nous délasser ou nous changer les idées.

Le monde livresque que nous créent nos écrivains algériens, nous aide à mieux penser notre algérianité, à nous replacer, à travers une trame romanesque, qui interroge, par exemple, les rapports sociaux ou familiaux ou qui s’ouvre sur l’universalité à travers l’imaginaire,  ou qui conteste la réalité politique ou qui revisite l’histoire en s’en faisant l’écho personnel ou qui, enfin, délire ou s’adonne au fantastique, soulignant la liberté de chacun vis-à-vis des si nombreuses normes.

Cette liberté de choix, dans les deux sens, confère à la littérature algérienne une belle occasion de faire que nous soyons tous meilleurs à travers elle, sauf, bien sur, ceux qui y sont réfractaires -et ils sont nombreux- sans que cette désaffection n’influe en rien sur les convictions des adeptes.

Des adeptes pour qui le livre, dans ses différentes formes de contenu et de contenant (notamment les formats numériques), demeure un vecteur puissant du changement, positif s’entend, de l’individu et des sociétés, pour peu qu’on aide et encourage à la constitution d’un lectorat nombreux et de qualité, notamment à travers la promotion de la lecture, d’une part, et à l’édition et à la distribution du livre littéraire.

Des adeptes que la littérature va réunir et fortifier autour d’elle, du monde des idées, des convictions et des valeurs. -Deviendrions-nous pour autant meilleurs ? Me rétorqueriez-vous, pour que je vous réponde, de manière elliptique, par une citation d’un écrivain américain, que je n’aurais jamais découvert en dehors de la littérature, Arthur William Ward : «Un professeur médiocre parle.

Un bon enseignant explique. Un excellent enseignant démontre. Un très grand enseignant inspire». La littérature est, en effet, un enseignant qui inspire ! Qui inspire, non seulement au plan intellectuel mais aussi émotionnel, développant ainsi, en nous, des capacités qu’il s’agit de replacer dans le système éthique auquel nous appartenons et qui, souvent, faute d’autonomie d’approche de notre part, peut s’avérer une coquille vide ou, pis, une tartufferie comme peut nous le faire apprendre, justement, la littérature. A. B.

 

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