La chronique littéraire - La littérature et la nature

31/08/2024 mis à jour: 18:49
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Par Ahmed Benzelikha

Comment donc la littérature, en quelques lignes, quelques mots, quelques vers, nous fait revenir à la nature, aux arbres, aux roches, à la mer, aux animaux, à la montagne, à l’odeur de la terre, au chant du coq, au soleil puissant, au doux clair de lune, au ciel infini, aux étoiles étalées, au bruissement des feuilles et au clapotis des eaux ?

L’homme qui a perdu, après le Paradis, la nature, peut se replonger dans celle-ci, grâce aux livres, retrouvant, le temps d’une lecture, notre capacité à «rallumer les étoiles», à retrouver la nature, la création, l’innocence du monde débarrassée des scories  et des illusions de celui où nous croyons vivre, à enfin se révéler à soi tel l’Émile de ce chantre philosophique et littéraire de la nature, dont il fut si proche, qu’est Jean Jacques Rousseau, promeneur solitaire et rêveur sincère, comme chaque lecteur en chaque livre.

La nature est ce berceau originel de l’humanité, ses racines en ceux des arbres, sa vie en celle des plantes, son pouls en celui des pulsations que nous ressentons en les cieux, les plaines, les forets et les déserts. En Algérie, s’il est un écrivain qui a écrit de belles pages sur la nature, c’est bien Tahar Djaout dans L’Exproprié , liée à la terre natale et à l’enfance, celle-ci apparaît transfigurée, pleine de mythes et de symboles, ne faisant qu’une avec les hommes et leurs rêves, comme repris dans Les Chercheur d’os.

Il est vrai que Djaout, poète qu’il fut, possédait  cette verve vive que la poésie imprime à l’écriture et que nous retrouvons chez ces chantres de la nature que furent les grands noms du romantisme du XIXe siècle à l’instar de Byron et de Lamartine, ces derniers dont les collégiens de ma génération eurent à apprécier des textes inoubliables sur la nature comme Le lac.

Des textes, auxquels viennent, comme en écho, les poèmes en arabe de Michael Naime, d’Elia Abou Madi et de l’admirable Abou El Kacem El Chabi, dont peut se rapprocher le poète martyr algérien Abdelkrim Aggoun.

Le Rimbaud tunisien démontrera la relation profonde entre la contemplation de la nature et l’élévation des sentiments et de la réflexion. Prométhée, au nom duquel il a intitulé son magnifique poème  Ainsi chanta Prométhée, n’a-t’il pas dérobé un élément naturel, le feu, pour apporter la connaissance aux hommes ?

Ainsi la littérature, quand elle convoque la nature, peut le faire dans le cadre d’une description comme dans celui d’une portée plus large liant la nature à la réflexion sur le monde, sur nous-mêmes et sur l’existence et quel meilleur symbole de la vie que la nature !

C’est pourquoi, d’ailleurs, le livre sacré nous exhorte à la contemplation de celle-ci et des «signes» qu’elle révèle. De même, la nature se révèle aussi, dans la littérature, comme une voie privilégiée pour retrouver notre nature première, comme élément pensant de la création, pénétrant à travers les descriptions de celle-ci les émotions originelles de la beauté, de l’intelligence et, pour le croyant, de la foi.

Car la nature parle et interpelle, comme l’écrit Lord Byron : «Il y a de la musique dans le soupir du roseau ; Il y a de la musique dans le bouillonnement du ruisseau ; Il y a de la musique en toutes choses, si les hommes pouvaient l’entendre.» C’est cette symphonie universelle, aux accents panthéistes, que pourrait nous faire entendre mais aussi faire écouter la littérature, grâce aux qualités esthétiques, émotionnelles et intellectuelles dont est porteuse cette dernière.

Car tel un paysage grandiose de la nature, à l’exemple de cette temporalité d’El doha, qu’évoque un serment divin et qui ne peut se révéler idéalement qu’en celle-ci, cette symphonie a besoin d’une littérature qui la dépeint, qui la traduit en mots, qui en rappelle l’importance, dans un monde livré à l’utilitaire et au prosaïque.

La littérature peut aussi nous apprendre à respecter la nature, à saisir sa majesté et sa portée, les romans de Fenimore Cooper, tout d’aventure qu’ils sont aussi une ode à la nature et aux paysages grandioses de l’Amérique du Nord du Dernier des Mohicans.

Et nous savons, aujourd’hui, combien nous pourrions, nous tous humains, constituer aussi «les derniers des Mohicans» si nous ne prenons pas conscience de l’importance du respect de la nature et de sa préservation.

Or, c’est au pays de Fenimore Cooper, les Etats-Unis, qui se sont formés autour d’une confrontation originelle avec la nature vierge du nouveau continent, que s’est développé tout un genre littéraire autour de la préoccupation environnementale.

Ce genre dénommé «nature writing» qui se réclame de l’œuvre fondatrice de David Thoreau, avec son récit Walden ou la vie dans les bois se caractérise par la mise en avant de la nature, comme sujet dynamique de l’œuvre littéraire et non plus comme, seulement, cadre descriptif et passif de l’action humaine classique.

La littérature s’avère ainsi un champ fécond pour la nature, porteur des espoirs de ceux qui croient en l’interpénétration de l’homme et de son environnement naturel, dans les deux sens de ce dernier mot. Qui croient, aussi, en ces horizons meilleurs pour l’humanité que la littérature peut ouvrir.

 

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