Par Ahmed Benzelikha
Mais qu’est-ce donc ces livres de l’été que souvent nous retrouvons dans les articles de presse ? Des livres qui se lisent l’été ? Des livres sur l’été ? Ou, plus simplement, une invention de journaliste, justement pour l’été ? Et ces feuilletons littéraires de l’été que nous offrait la presse, où sont-ils donc passés ?
Il est vrai que l’été, période de vacances par excellence, s’avère propice, par le temps disponible pour nos loisirs et nos inclinaisons, à la fréquentation des livres. Il est vrai, aussi, du fait que beaucoup partent passer leurs vacances en bord de mer, que les longues heures de plage se prêtent particulièrement à l’exercice de la lecture, allongé sous l’ombre d’un parasol.
Mais l’été est aussi une véritable saison littéraire, en ce sens que tout, dans l’été, porte à l’exacerbation, à la manifestation de l’expression, à la créativité, aux émotions et à une atmosphère inspirante pour l’écriture. Le soleil, symbole parfait de la saison estivale, peut aussi être celui de la création littéraire. Sénac ne s’y est pas d’ailleurs trompé, lui qui signait d’un soleil.
L’été est aussi une saison passionnée, au-delà du farniente et pour nous algériens, méditerranéens qui l’oublions souvent, la saison qui, le plus, nous rappelle à notre «mer blanche». Une mer qui, brillant sous le soleil, nous renvoie aux aventures des héros navigateurs des textes littéraires antiques emblématiques tels que l’Odyssée, mais aussi à ces récits que notre littérature n’a pas retenus mais qu’on retrouve dans des chansons comme Korsanighenam et les peintures de Mohammed Racim.
Beaucoup plus près de nous, dans la littérature du XXe siècle, comment ne pas évoquer Alexis Zorba, le célèbre roman de Níkos Kazantzákis, que j’ai lu, pour ma part, dans une traduction en arabe, à une époque où nos librairies regorgeaient de trésors littéraires universels et souvent progressistes, dans cette langue.
Zorba est un roman qui devrait être l’antidote idoine aux esprits chagrins et chafouins, méchants et jaloux au gris caractère, qui malheureusement font flores, oublieux que la littérature peut les réconcilier avec la joie de vivre ou, plus simplement, avec la vie et le bon sens. La littérature estivale peut aussi être une littérature de lumière, de passion et de générosité, ouverte sur le monde et les autres, démontrant que les livres, comme la Méditerranée, unissent les cultures, les civilisations et les peuples.
L’été est aussi la saison de la maturité, des moissons, des fruits, des mariages, des fêtes, de l’abondance, de la passion et de l’exubérance, nous rappelant Friedrich Nietzsche et La Vision dionysiaque du monde, renvoyant aussi bien au Colosse de Maroussi de l’Américain Henry Miller, qu’au En été de l’Egyptien Taha Hussein, l’un découvrant la Grèce et l’autre la France dans un même enthousiasme.
A l’inverse, l’été peut aussi être cette saison étouffante et de torpeur, où la chaleur oppresse les êtres, écrase les rêves et détruit les ambitions. Mohammed Dib l’illustre parfaitement dans son Eté africain, où la dénonciation du colonialisme et des pesanteurs sociales passe par l’écrasement et cette peine à vivre quand la chaleur devient insupportable, comme la sécheresse dans l’admirable chef d’œuvre cinématographique Chronique des années de braise, quand l’homme se révolte contre l’iniquité de son destin.
Et qu’est-ce qu’un homme révolté sinon un homme qui dit non ? Pour paraphraser l’auteur, justement, de L’Eté, Albert Camus qui, loin de nous, s’adjoignait, à travers un lyrisme qui ignorait les identités plurielles, à disposer de son propre été construit sur ses seuls mythes.
Un été que nous retrouvons, sous un autre aspect, celui justement d’une contrainte subie, dans L’étranger, quand Meursault tire sur l’Algérien sur cette plage de l’Alger que dépeint le roman. Des villes «littéraires», qui se verront chez Ouettar et chez Djaout, écrasées par la canicule pour la Constantine d’El Zilzel et par Le Dernier été de la raison pour celle du libraire, Boualem Yekker tenant tête aux Frères vigilants.
Car l’été, tout brulant qu’il soit, peut-être celui de la résistance. L’été est, enfin, la saison des insolations et des ruptures, et ce n’est pas Rachid Boudjedra qui va nous contredire, lui qui a écrit, justement, un romans sous le titre de L’Insolation.
Mais terminons sur une note optimiste, avec cette belle citation sur l’été, reprenant quelques vers du grand poète libanais, Elia Abou Madi : «Comme l’été est beau et généreux ! Remplissant le monde de prospérité et de félicité, il a rendu la terre à son enfance et m’a ainsi rendu mes rêves oubliés depuis si longtemps !»