La chronique littéraire / C’est la rentrée !

14/09/2024 mis à jour: 02:03
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Le plus lourd fardeau, c’est d’exister sans vivre», disait Victor Hugo, toute rentrée supposant bilan et perspectives, cette citation littéraire pourrait bien s’avérer une belle devise de reprise individuelle ou sociale. 

Car la littérature, cette foisonnante foire aux questions, ouverte, généreuse, libre et libératrice, donne à voir et à réfléchir, à travers sa lecture. 
Elle donne à voir les expériences des autres, qui, relativisant la notre, nous permet d’acquérir une certaine sagesse, de transcender les contingences et de prendre de la hauteur. 

Or l’homme a besoin de hauteur, le grand esprit aspire au faîte pour mieux contempler et saisir. Saisir, pour cet esprit, n’est pas prendre et s’approprier mais comprendre et agir. Une rentrée supposant un retour, ne serait-il pas sain que celle-ci se fasse sous les auspices d’un retour à soi, d’un travail sur soi, à travers les livres ? 

Car les livres offrent, selon la formule galvaudée, mais bien au-delà, des «éléments de langage», pour comprendre ce qui se passe autour de nous, c’est un palier supérieur pour maîtriser les conjonctures et, par cela même les dépasser au lieu de les ressasser et sombrer dans le fatalisme, l’aigreur et le pessimisme. Gramsci, le penseur italien, aurait dit qu’«il faudrait dépasser le pessimisme de la raison pour atteindre l’optimisme de la volonté». 

Cet optimisme devrait nous conduire à saisir ce qu’il y a de meilleur dans la littérature et qui s’avère ce qu’il y a de meilleur en l’homme, une volonté de fer, un courage d’airain et l’intelligence de les conjuguer par le savoir, les valeurs et le travail, l’effort, la peine, la lutte, car, pour citer, à nouveau, «hélas !», comme aurait dit Gide, Hugo, «ceux qui vivent, c’est ceux qui luttent». Une lutte, souvent sourde et solitaire mais si gratifiante car porteuse du devoir accompli. 


A cet égard, lire est-il un devoir ? 

Certainement, pour ceux dont l’écorce est porteuse d’un noyau, l’exhortation première du premier des livres est claire et va au-delà de la lecture coranique, pour embrasser toute production scripturale. Il ne s’agit pas d’être «savant par les livres», comme pourraient le penser les détracteurs, mais de se concevoir moins ignorant de la réalité, y compris sociale comme en débattra un prochain colloque sur la littérature et les sciences sociales, organisé par l’université d’Oran à la fin de ce mois. 


Mais où en est, à ce propos, la rentrée littéraire ? Faudrait-il encore attendre «l’occasion qui fait le lecteur», en l’occurrence le Salon du livre d’Alger, pour en avoir quelques échos, vite éteints, en attendant le prochain ? Combien de livres avons-nous édités cette année ? Combien allons-nous éditer ? Comment se comporte notre lectorat ? Comment se porte notre littérature ? Nos librairies, nos bibliothèques ? Nos écrivains et nos éditeurs ? Notre politique du livre ? 

Autant de questions qui méritent réponse, au-delà du nombre de visiteurs du prochain SILA et de deux seuls romans algériens évoqués, Cœur d’amande de Yasmina Khadra et Houris de Kamel Daoud, car médiatisés par la rentrée littéraire outre-méditerranée, dont ils sont, et ce n’est pas un reproche, partie prenante. La rentrée, c’est aussi des projets et des perspectives, des chantiers et des projections, qu’on peut résumer par un verbe : «construire». Or, construire, comme gouverner, c’est prévoir, où allons-nous, comment y allons-nous et pourquoi y allons-nous ? Une citation de Marx affirme que «ce qui distingue, dès l’abord, le plus mauvais architecte de l’abeille la plus experte, c’est qu’il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche». 


La littérature contribue à la formation, justement de cet art architectural distinctif, en décrivant, créant ou recréant le monde, en exprimant celui-ci de la manière la plus créative, la plus diverse et donc la plus libre. La littérature aide à construire, dans nos têtes, les projets et comment les mettre en œuvre, en ne les isolant pas, comme le ferait une sorte de business-plan, du contexte humain, humaniste dirions-nous pour notre part, le plus large et le moins mécaniste.

 C’est un bain de jouvence pour l’esprit dont l’issue est une lucidité renouvelée, car on y découvre ou, plutôt, on y redécouvre, l’homme et ses réalités. La littérature n’est pas une science, tout comme la philosophie dont elle est le pendant, puisque «tous les philosophes, dès le début, ont appris d’Homère», disait Xénophane, elle est une sorte d’aura embrassant et brassant la densité du monde des hommes. Une aura qui servirait le discernement et la clairvoyance de ceux qui veulent voir, exister et vivre, quant aux autres : «Il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir.» Bonne rentrée à toutes et à tous.

Par Ahmed Benzelikha , 

Linguiste spécialiste en communication, économiste et journaliste algérien

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