La Casbah et ses clubs fétiches : Il y a 60 ans, le MCA cessait toute activité sportive à l’appel du FLN

04/04/2023 mis à jour: 06:06
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La vieille médina, fief des premières sportives algéroises

En sortant du métro d’Alger, rue Mohamed Bouzrina, dans la Basse-Casbah, on est très vite happés par les senteurs aux mille et une essences du marché des fruits et légumes éponyme, qui devient par intermittence un eldorado des amateurs de livres d’occasion et, surtout, un marché de la fripe très couru par les riverains et les habitants des quartiers de Bab El Oued, Bab J’did, fiefs des deux clubs-phares de la vieille médina d’Alger : l’USMA et le MC Alger, qui avaient à l’appel du FLN cessé toute activité sportive le 2 avril 1956, il y a de cela un peu plus de 60 ans.

 Ici, l’âme de ce quartier, entre les ruelles escarpées, humides et tortueuses de la vieille médina, c’est le football, avec comme «ADN» soit le Mouloudia, soit l’USMA, les Vert et Rouge tout comme les Noir et Rouge se vouant une acide amitié, même si dans la même «douéra», ces vastes maisons à étage de La Casbah, il y a des supporters des deux clubs au sein de la même famille. 
 

Visiter La Casbah par le sport sans les packages des tours opérateurs, El Mahroussa «la bien nommée», pour avoir été pratiquement inviolable jusqu’à la félonie en 1808 de Napoléon Bonaparte – qui avait envoyé l’ingénieur du génie militaire Vincent-Ives Boutin pour établir les plans d’invasion d’Alger, en dépit des accords de paix signés dès 1660 avec la Régence d’Alger –, c’est un enivrant voyage dans le temps : celui de la naissance des premiers clubs musulmans, au plus fort de la colonisation française, que des jeunes «Casbaouis» avaient voulu contrarier en plein préparatifs du centenaire par la création du premier club musulman algérois, le Mouloudia Club d’Alger, en référence au Mawlid Ennabaoui, la naissance du prophète Mohamed (QSSSL). En 1921, naissait donc le MCA avec les couleurs vert et rouge de la volonté de jeunes Algériens de briser les tabous iniques imposés par la colonisation, le football en particulier et le sport en général étant alors l’apanage des clubs européens dans une Algérie coloniale fermée, grâce à l’infâme loi de 1901 sur les associations, aux clubs «indigènes». 

Depuis cette date et l’agrément de la préfecture d’Alger à la naissance du Mouloudia le 7 août 1921, le mouvement sera global autant à Alger que dans les autres villes du pays, où l’engouement pour le football va accélérer l’émergence de clubs musulmans. 

Et, par ricochet, l’encouragement du nationalisme au sein de ces clubs sportifs dits «musulmans» qui avaient plusieurs sections outre le football, comme la boxe, le cyclisme, l’athlétisme, le basket-ball. Ailleurs à Alger, Oran, Constantine, Annaba ou Guelma et Mascara, les premiers clubs «musulmans» commençaient à éclore, faisant le bonheur de la jeunesse algérienne, pleine de fougue et d’entrain au sein du GC Mascara (1925), de l’USM Oran (1926), du CS Constantine (1926), de l’USM Blida (1932), de l’USMMC (El Harrach, 1935), l’USMA (1937). 

A partir de 1940, durant le second grand conflit mondial, des clubs «musulmans» seront créés pratiquement chaque année, autant dans les grandes villes que dans les petites localités, comme Dellys, Ténès, ou Boufarik et Hadjout (ex-Marengo).      
El Anka et Hadj M’rizek, vivre la Casbah autrement
 

Mais en 1956, le 2 avril plus exactement, le MC Alger, tout comme les autres clubs à travers le pays, met fin à toute activité sportive à la suite de l’appel du FLN de boycotter les différents championnats organisés par les ligues sportives des associations coloniales. Le mouvement a été décidé après les graves incidents du 13 mars 1956 au stade de St Eugène à Alger, avec des agressions sauvages des forces de police et des Européens contre l’équipe et les supporters du MCA à l’issue du match nul (1-1) obtenu contre l’ASSE, l’équipe des Européens, qui avait accéléré cet arrêt des activités sportives. Des morts, des blessés et des arrestations de supporters «musulmans» avaient sanctionné l’envahissement du terrain par les colons et la police. Un événement de triste mémoire. 

Pour autant, dans cette mythique ville où les saints sont autant d’anges gardiens que de bons samaritains, à l’instar de Sidi Abderrahmane, Sidi Bougdour, Sidi H’lal, Sidi M’hamed Cherif, Sidi Ramdane ou Sidi Abdallah, la musique a toujours été l’âme de la Médina, depuis en fait la chute de Grenade en janvier 1492 et l’arrivée des premiers réfugiés Andalous à Alger, où ils ont pris leurs quartiers dans les maisons cossues des hauteurs de La Casbah, vers Bab J’did et la mosquée de Sidi Ramdane ou celle d’El Berrani. 

A la Basse-Casbah, au Café des Sports, fief des «Usmistes» ou au café Malakoff, point de chute des «Mouloudéens», c’est le lieu de prédilection des mélomanes et des amoureux de chaâbi, de mouwachahate et de musique andalouse. C’était là où trônait l’une des voix les plus sublimées d’El Mahroussa : c’est, bien sûr, El Hadj M’hamed El Anka, dont le répertoire puise dans le riche patrimoine musical andalou. 

Il y officiait comme le maître de céans, avec l’autre légende de la musique algéroise et kabyle, Hadj M’rizek, de son vrai nom Arezki Chaib, celui qui a chanté les péripéties de la douce q’cida El Kahwa Wel Latay (Le café et le thé), et en particulier sur le Mouloudia, avec son célèbre refrain : «Celui qui veut faire du sport doit aller au Mouloudia, le club le plus célèbre de l’Afrique du Nord.»

  Plus bas, vers le quartier de la marine et le port, où la plupart des dockers habitent la vieille médina, il y avait sur le boulevard du front de mer le célèbre café Tlemçani, l’autre fief des amoureux du football, qui deviendra, dès les premières années de la Guerre de Libération, celui des militants de la Zone autonome d’Alger. C’est dans ce café que le MCA avait négocié, au milieu des années 1920, la première domiciliation de son stade, à El Harrach. 

Au mois de juillet 1962, beaucoup de joueurs des clubs de football phares de La Casbah, d’Alger, d’Oran, de Constantine, de Guelma, de Skikda, de Mascara, comme ailleurs à travers la vaste Algérie, ne verront jamais les premiers moments de l’indépendance : les Basta Sid Ali, Mohamed Ferhani, Kaddour Bourkika, Mohamed Ouaguenouni, les frères Bouchouchi et tant d’autres martyrs de la Révolution qui se sont sacrifiés, certains les armes à la main, d’autres affreusement mutilés sous la torture, pour que vive leur pays, leur peuple, dans la dignité de la liberté recouvrée. 

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