«J’ai dressé le portrait de mon père pour donner de la chair et sortir de l’anonymat ces hommes déracinés réduits à leur condition d’ouvriers, tiraillés entre deux pays. Et avant tout, j’ai voulu rendre hommage à l’homme sans qui je ne serais pas la femme que je suis», se confie l’autrice.
Kaddour, une histoire émouvante, passionnante racontée par la fille d’un père algérien illettré, routier, puis chauffeur-livreur. Un émigré ayant quitté l’Algérie à l’âge de 18 ans pour trimer toute sa vie en France et mourir de Covid en 2020. Son vœu : être enterré dan son pays. «Au moment de la mort de mon père, m’est revenu comme un boomerang le texte La Place d’Annie Ernaux.
Ce livre que j’ai découvert à l’âge de vingt-cinq ans m’avait bouleversée et avait trouvé une résonance très forte en moi. Nos histoires, notre passé, nos trajectoires n’étaient pas les mêmes et pourtant un socle commun nous constituait.
Celui fait d’une volonté farouche de s’extraire de sa condition sans jamais se couper de ses racines ni se renier», se confie, émue, l’autrice. Très affectée par cette disparition, elle raconte avec détails cette douleur «De l’annonce de la mort de mon père, Kaddour, le 15 août 2020, à sa mise en terre six jours plus tard, mon deuil me paraît confisqué tant la maison ne désemplit pas d’un flot ininterrompu de visites.
Ce sont aussi six jours de crainte tant la complexité de la situation liée au Covid rend incertaine la possibilité que son corps puisse être rapatrié en Algérie comme il le souhaitait. Six jours durant lesquels je m’échappe pour convoquer nos souvenirs. Ce que je sais de son enfance misérable en Algérie, de son arrivée en France qu’il sillonnera au volant de son camion, jusqu’à la chute, corps meurtri.
Mais aussi ce qu’il m’a transmis, le rapport à la terre, au langage, et aux livres. J’ai dressé son portrait pour donner de la chair et sortir de l’anonymat ces hommes déracinés réduits à leur condition d’ouvriers, tiraillés entre deux pays.
Et avant tout, j’ai voulu rendre hommage à l’homme sans qui je ne serais pas la femme que je suis.» Rachida Brakni naît le 15 février 1977 à Paris de parents algériens vivant en France. Elle est interprète, autrice, actrice et metteuse en scène.