Les flots ont laissé un paysage de désolation et une grande partie de la ville, sur les deux rives de l’oued, apparaît comme foudroyée par un puissant séisme.
Des organisations humanitaires ont mis en garde contre le risque croissant de propagation de maladies, après les inondations qui ont fait des milliers de morts et de disparus dans l’Est de la Libye où les espoirs de retrouver des survivants s’amenuisent, six jours après la catastrophe. La tempête Daniel, qui a frappé dans la nuit de dimanche à lundi la ville de Derna, a entraîné la rupture de deux barrages en amont, provoquant une crue fulgurante, de l’ampleur d’un tsunami, le long de l’oued qui traverse la cité, emportant tout sur son passage. Les flots ont laissé un paysage de désolation, et une grande partie de la ville, sur les deux rives de l’oued, apparaît comme foudroyée par un puissant séisme, a constaté un photographe de l’AFP. Des bâtiments entiers ont été emportés par les flots.
D’autres sont à moitié détruits, des voitures sont fracassées contre les murs. A Al-Bayda, autre grande ville située à 100 km à l’ouest de Derna, les habitants nettoient les routes et les maisons des monticules de boue laissés par le déluge. Des organisations humanitaires comme le Secours islamique et Médecins sans frontières (MSF) ont mis en garde contre les risques de propagation de maladies, liés à une éventuelle contamination de l’eau. De nombreuses personnes ont été emportées vers la mer Méditerranée qui a rejeté des dizaines de cadavres en décomposition. Des responsables du gouvernement de l’Est de la Libye touché par les inondations ont avancé des bilans différents, l’un évoquant au moins 3 840 morts.
Dans la nuit de vendredi à samedi, le ministre de la Santé du gouvernement de l’Est du pays, Othman Abdeljalil, a fait état d’un bilan de 3 166 morts qui inclut 101 victimes dont les corps ont été découverts puis enterrés durant la seule journée de vendredi. Mais le nombre de victimes pourrait être beaucoup plus élevé, compte tenu du grand nombre de disparus, au moins 10 000, selon une estimation de l’ONU. Avant la catastrophe, Derna comptait 100 000 habitants. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a fait état de plus de 38 000 déplacés dans l’Est frappé par les inondations, dont 30 000 à Derna.
«Situation chaotique»
Manoelle Carton, coordinatrice médicale d’une équipe de Médecins sans frontières (MSF), arrivée il y a deux jours à Derna, décrit une situation «chaotique» qui a empêché le bon déroulement du recensement et l’identification des victimes. «De nombreux volontaires de toute la Libye et de l’étranger sont sur place. La coordination de l’aide est urgente», insiste-t-elle.
Le travail des secours et des équipes de recherche est considérablement entravé par le chaos politique qui prévaut dans le pays depuis la mort du dictateur Mouammar Kadhafi en 2011, avec deux gouvernements rivaux, l’un à Tripoli (ouest), reconnu par l’ONU et dirigé par le Premier ministre Abdelhamid Dbeibah, et l’autre dans l’Est, affilié au camp du puissant maréchal Khalifa Haftar. Pour organiser les recherches, le chef de l’exécutif dans l’est de la Libye, Oussama Hamad, a affirmé qu’«à partir de samedi, de nouvelles mesures seront appliquées dans la zone sinistrée» qui sera fermée, selon lui, aux civils et aux services de sécurité.
«Seuls les équipes de recherche libyennes et étrangères et les enquêteurs y auront accès», a-t-il dit. Stéphanie Williams, diplomate américaine et ex-représentante de l’ONU en Libye, a appelé à une intervention internationale urgente, préconisant la création d’un «mécanisme conjoint national/international pour superviser les fonds d’aide». Elle a fustigé sur X (ex-Twitter) une classe politique libyenne «prédatrice» qui a tendance, selon elle, à «utiliser le prétexte de la souveraineté» pour diriger les opérations d’aide «selon ses intérêts».
«Besoins énormes»
Le porte-parole du maréchal Haftar, Ahmad Al-Mesmari, a fait état de «besoins énormes pour la reconstruction», lors d’une conférence de presse, vendredi soir, à Benghazi, la grande ville de l’Est de la Libye, berceau du soulèvement de 2011. Bien que le drame se soit produit dans une zone sous le contrôle du camp de l’Est, M. Dbeibah a estimé cette semaine que l’absence de plans de développement adéquats et «l’usure causée par le temps» y avait contribué. «C’est l’une des conséquences des querelles, des guerres et de la dilapidation des fonds», a-t-il affirmé.