Inondations à Derna en Libye : Au moins 11 300 morts selon l’ONU

18/09/2023 mis à jour: 18:26
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Les témoignages des habitants de Derna affirment que la plupart des victimes ont été ensevelies sous la boue ou emportées vers la Méditerranée - Photo : D. R.

Le patron de l’Organisation météorologique mondiale qui dépend de l’ONU, Petteri Taalas, a déclaré lors d’un point de presse à Genève
que la plupart des milliers de morts dans les inondations dans l’est de la Libye «auraient pu être évités» avec une meilleure coordination 
dans ce pays ravagé par une grave crise politique.

Au moins 11 300 personnes sont mortes et 10 100 restent portées disparues dans la seule ville de Derna, dans l’est de la Libye, ravagée il y a près d’une semaine par des inondations sans précédent, selon un bilan publié par un organisme de l’ONU, dans un point de situation samedi soir, citant le Croissant-Rouge libyen.

«Selon le Croissant-Rouge libyen, ces inondations sans précédent ont fait environ 11 300 morts et 10 100 disparus dans la seule ville de Derna», a annoncé le Bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA) dans des propos recueillis par l’AFP. Les inondations ont par ailleurs fait au moins 170 morts dans d’autres endroits de l’est de la Libye, a-t-il ajouté.

«Ces chiffres devraient augmenter alors que les équipes de recherche et de sauvetage travaillent sans relâche», a averti l’OCHA. La tempête Daniel qui a frappé dans la nuit de dimanche à lundi derniers Derna, une ville de 100 000 habitants, a entraîné la rupture de deux barrages en amont provoquant une crue de l’ampleur d’un tsunami le long de l’oued qui traverse la cité.

Elle a tout emporté sur son passage. Le ministre de la Santé de l’administration de l’Est de la Libye, Othman Abdeljalil, a fait état samedi soir d’un bilan de 3252 morts.

Dans un communiqué publié plus tôt, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a pour sa part affirmé que les corps de 3958 personnes avaient été retrouvés et identifiés, et que «plus de 9000 personnes» sont toujours portées disparues. «La situation humanitaire reste particulièrement sombre à Derna», a affirmé l’OCHA, selon qui la ville manque d’eau potable et au moins 55 enfants ont été empoisonnés après avoir bu de l’eau polluée.

De sous les décombres de quartiers dévastés par les flots ou en pleine mer, des dizaines de corps sont sortis et enterrés chaque jour au milieu d’un paysage de désolation.

Des sauveteurs maltais, qui épaulent les Libyens dans les recherches en mer, ont dit avoir découvert des centaines de cadavres dans une baie, sans préciser l’endroit exact, selon le Times of Malta. «Il y en avait probablement 400, mais c’est difficile à dire», a déclaré le chef de l’équipe maltaise, Natalino Bezzina, au journal, affirmant que l’accès à la baie est difficile en raison de vents forts. Il a ajouté que son équipe avait cependant pu aider à récupérer des dizaines de corps.

Une équipe de secours libyenne sur un zodiac affirme de son côté avoir vu «peut-être 600 corps» en mer au large de la région d’Om-Al-Briket, à une vingtaine de kilomètres à l’est de Derna, selon une vidéo sur les réseaux sociaux, sans préciser s’il s’agissait des corps trouvés par les Maltais.

D’autres équipes de secours libyennes et étrangères annoncent retrouver des corps chaque jour, mais les recherches sont rendues difficiles par les tonnes de boue qui ont recouvert une partie de la ville. Des secouristes sont obligés la plupart du temps de dégager la terre à l’aide de pelles pour rechercher des corps dans des bâtiments dévastés.

Le travail des secours et des équipes de recherche est par ailleurs entravé par le chaos politique qui prévaut dans le pays depuis la mort de Mouammar El Gueddafi en 2011, avec deux gouvernements rivaux, l’un à Tripoli (ouest), reconnu par l’ONU, et l’autre dans l’Est. Les autorités ont indiqué avoir entamé par ailleurs le processus compliqué d’identification et de recensement des corps, dont plusieurs centaines ont été enterrés à la hâte les premiers jours.

Othman Abdeljalil a en outre démenti des informations sur une possible évacuation de la ville, affirmant que «certaines zones» seulement pourraient être «isolées» afin de faciliter les secours. Il a ajouté que ses services en coordination avec l’OMS comptent «intensifier les efforts dans le domaine de l’assistance sociale et psychologique».

La plupart des pertes humaines auraient pu être évitées

Des échantillons d’eau sont prélevés et analysés chaque jour pour éviter une éventuelle contamination, a-t-il insisté, appelant les habitants de la ville à ne plus utiliser les eaux souterraines.

Face à la catastrophe, la mobilisation internationale reste forte. Le ballet des avions d’aide se poursuit à l’aéroport de Benina de Benghazi, la grande ville de l’Est, où des équipes de secours et d’assistance d’organisations internationales et de plusieurs pays continuent d’affluer.

Jeudi, le patron de l’Organisation météorologique mondiale qui dépend de l’ONU, Petteri Taalas, a déclaré, lors d’un point de presse à Genève, que la plupart des milliers de morts dans les inondations dans l’est de la Libye «auraient pu être évités».

Avec une meilleure coordination dans ce pays ravagé par une grave crise politique, «ils auraient pu émettre des avertissements et les services de gestion des urgences auraient pu procéder à l’évacuation des personnes, et nous aurions pu éviter la plupart des pertes humaines», a-t-il souligné.

Selon lui, la désorganisation qui frappe la Libye, y compris ses services météorologiques, a largement contribué à l’ampleur de la catastrophe. Il a souligné que les années de conflit interne qui ravage le pays ont «en grande partie détruit le réseau d’observation météorologique», tout comme les systèmes informatiques. «Les inondations se sont produites et aucune évacuation n’a eu lieu, car les systèmes d’alerte précoce appropriés n’étaient pas en place», a-t-il estimé. Si des évacuations avaient eu lieu, le bilan humain aurait été bien moindre, a-t-il ajouté.

De fait, un couvre-feu a été décrété dans plusieurs villes de l’est du pays, dont Derna, forçant les habitants à rester chez eux. «Bien sûr, nous ne pouvons pas éviter complètement les pertes économiques, mais nous aurions également pu minimiser ces pertes en mettant en place des services appropriés», a-t-il déclaré. Le Centre météorologique national (CMN) de Libye a émis des alertes précoces concernant les conditions météorologiques extrêmes, 72 heures à l’avance et a informé les autorités gouvernementales par courrier électronique, les exhortant à prendre des mesures préventives.

L’état d’urgence a été décrété par les autorités de l’est de la Libye vendredi et elles ont mis en place une cellule de crise. Mais l’OMM a déclaré qu’il n’était «pas clair» de savoir «si les avertissements avaient été efficacement diffusés».

Samedi, le procureur général libyen Al Seddik Al Sour a indiqué que les deux barrages à l’origine de la catastrophe présentaient des fissures depuis 1998. Des travaux ont été entamés en 2010 par une société turque après des années de retard, mais suspendus quelques mois plus tard dans la foulée des révoltes en Libye de 2011, et ils n’ont jamais repris depuis, selon le procureur.

La Libye est en effet plongée dans le chaos depuis la mort de Mouammar El Gueddafi en 2011, avec deux gouvernements rivaux, l’un reconnu par l’ONU basé dans la capitale Tripoli, à l’ouest, l’autre dans la région orientale touchée par les inondations.


 

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