L’auteure Yamina Miri-Aït Abdelmalek revient sur ce qui a inspiré et motivé son récit de voyage intitulé Six jours sur le plateau du Tassili N’Ajjer, publié aux éditions algériennes El Ibriz. Un livre qui est sorti en mars dernier, à l’occasion de la tenue du 25e du Salon international du livre d’Alger. Entretien
Propos recueillis par Nacima Chabani
- Comment est née l’écriture de votre récit de voyage ?
Cela faisait déjà dix ans que je parcourais le Tassili une ou deux fois par an, toujours avec mon mari et mes deux filles. Découvrir le plateau a été un concours de circonstances. J’ai rencontré des amis qui avaient besoin d’aller au Tassili N’Ajjer. Du coup, nous étions un bon groupe intéressé. C’était la première fois que je faisais ce circuit dans le Tassili d’autant plus que cela faisait dix ans que j’entendais parler des merveilles du plateau du point de vue peinture et gravure rupestres.
C’était une expérience unique, ce voyage de six jours en 2019 dans les différentes parties du plateau, notamment à Safar, située dans la région de Djanet. Il faut préciser que ce circuit est l’un des plus durs. Il faut escalader la montagne. Et une fois arrivée, nous avions une moyenne de 20 à 25 kilomètres à faire à pied par jour, et ce, pour changer de bivouac. Nous avions 15 ânes pour transporter les équipements du bivouac et la nourriture. C’est cette belle aventure humaine et touristique à la fois que j’ai voulu partager avec les lecteurs.
- L’écriture de votre récit est la résultante d’un carnet de voyage que vous teniez au quotidien durant votre séjour sur le plateau ?
Pas vraiment. Je vais être franche avec vous. Je suis ingénieur agronome et détentrice d’un magistère en écologie. De par ma formation, j’ai fait beaucoup de terrain. J’ai fait pratiquement toute l’Algérie dans le cadre de mes études en agronomie et dans le cadre aussi de ma thèse de magistère. On avait pour habitude d’avoir toujours un carnet de terrain, un crayon, une gomme et un stylo. Là, j’ai toujours fait cela quand je fais le Tassili ou encore quand je voyage à l’étranger. Mais quand j’ai fait le Tassili, c’était tellement nouveau pour moi. Il fallait que je note les noms des endroits où l’on s’arrêtait et les peintures qu’on découvrait. Ce n’était pas grand-chose mais des repères, des petits points que je mettais dans mon carnet au quotidien.
Par exemple, je mentionnai les lieux où nous avions bivouaqué, une anecdote ou deux mais sans plus. Je n’avais pas l’intention d’en faire un récit, mais quand nous sommes rentrés, mes amies Samira et Adnane ont commencé à me demander de leur donner les dates des bivouacs et les noms des lieux que nous avions visités. J’ai dis d’accord. J’ai repris mon carnet de terrain et j’ai commencé à leur balancer cela. Et puis, perfectionniste que je suis, je ne voulais pas leur donner juste des dates et des noms de région.
Donc, je me suis dis que je vais leur remettre des petites anecdotes qu’on a eues. Et puis de fil en aiguille, il y a eu des moments où j’avais l’impression que je n’allais pas aussi vite pour le stylo tellement que tout est remonté. Je me suis dis qu’il va falloir que je m’y mette sérieusement à l’écriture. J’ai sorti toutes mes photos. J’ai récupéré aussi les vidéos et les photos des uns et des autres pour faire des regroupements, mais ma mémoire m’a beaucoup servi.
Il faut dire, également, que je me suis énormément documentée avant d’effectuer ce voyage. Pour la petite confidence, sur le plateau, la batterie de mon boîtier m’a lâché. Ce jour là, j’étais dans un état lamentable. D’ailleurs, c’est une anecdote que je raconte dans mon récit. Ainsi, la moitié des photos, c’est les miennes et les autres photos sont signées par mon ami Tarik Bououni.
- Vous avez un rapport assez particulier, voir fusionnel avec le désert. Vous avez traduit toutes ces émotions et ses ressentis à travers l’écriture, suscitant l’envie du voyage et de la découverte ?
Je dirai que de par mes études en foresterie à l’INA mais pas que depuis ma petite enfance, je suis attirée par le désert. Je suis originaire d’une région qui s’appelle Msirda à Tlemcen. Je suis de l’extrême ouest, mais j’ai toujours vécu à Alger-Centre. On a toujours été chez mes grands-parents, mes tantes et mes oncles. Des fois, on y restait un ou deux mois. J’ai toujours dis, je ne suis pas une citadine, mais je suis une fille de la campagne. Je sens cet appel tout le temps de la nature, de la campagne et du désert. Je pense que cela vient de ma regrettée mère qui nous traînait tout le temps, même le week-end, sans aller à Msirada, à la forêt de Bouchaoui, Chréa et Tikdjda. Donc, j’ai grandi avec cela. Et en plus, j’ai fait des études d’agronomie et j’ai été carrément happée par le Sahara central. J’ai commencé à découvrir le désert suite à mon voyage de noces en 1996 à Tamanrasset et ensuite en 2007, j’y suis retournée. En 2008, j’ai commencé par Djanet et je ne pouvais plus aller ailleurs. J’ai déjà repris mes escapades au désert depuis peu et cela après une longue période de confinement dû à la pandémie de Covid-19.
- Concrètement, quelle est la particularité de ce récit de voyage ?
Ce récit de voyage se décline sous la forme d’un guide touristique puisque ce sont entre autres des haltes et des noms de sites. C’est aussi des informations archéologiques. Il est vrai que je n’ai pas de formation d’archéologue, mais j’ai décrit ce que j’ai vu minutieusement. Je me suis appuyée sur des études scientifiques pour étayer les descriptions des peintures rupestres. Par ailleurs, ce récit de voyage s’adresse à toutes les personnes qui aiment le désert ou encore qui ont une passion pour les peintures rupestres.
- Mis à part l’aspect archéologique à travers les peintures, vous avez été attardés, également, sur le volet botanique ?
Effectivement, je me suis attardée sur le volet de la botanique, notamment les espèces rencontrées car je suis avant tout agronome. Je rêvais de voir de plus prés le Tassili. Il y a carrément des descriptions et des listings de plantes. J’ai été très heureuse de voir cette flore saharienne si particulière. Je ne pouvais pas passer à côté de cela, tout de même, en faisant un récit. Je décris mes paysages. Il y a des ressentis avec des anecdotes.
- Vous refermez votre récit sur le braconnage d’espaces animales rares, sur le fléau des déchets et sur la sauvegarde des peintures rupestres ?
Ce livre comporte aussi de nombreux messages. J’y tenais en temps qu’écologue et en tant qu’’écologiste. C’est des messages pour la protection de la nature car on voit des saccages. On voit des gens qui arrachent des fleurs. J’ai vu des fennecs et des faucons enchaînés au marché de Djanet. Et même dans mon entourage proche - je ne nommerai personne - quand il braconne le mouflon à manchettes ou la gazette qui sont en voie de disparition, il en parle avec orgueil. Je dénonce également dans mon livre les ordures sur le plateau même.
Car Djanet est de plus en plus sale. Djanet ville, n’en parlons pas. Il y a une chose qui me tient à cœur, ce sont les lingettes qu’on retrouve partout sur le plateau. C’est pour cela que je dis qu’il faut une sauvegarde du plateau. Je parle aussi de des graffitis sur les peintures rupestres. Il n’y a même pas de panneaux de signalisation dans le parc du Tassili pour vous dire ‘‘attention vous êtes dans parc culturel’’. ‘‘Attention, vous ne devez pas arracher fleurs, braconnez les animaux, abîmer les peintures ou encore vous baignez dans les gueltas’’.