Yacine Zidane. Enseignant-inspecteur, auteur : «Je privilégie une méthodologie inclusive qui fédère les locuteurs amazighs»

25/09/2024 mis à jour: 03:45
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Vous publiez Lmed tacawit, un manuel d’apprentissage du chaoui (Ed. HCA). Comment est né ce projet ?


Tout d’abord, je tiens à remercier Si El Hachemi Assad, SG du Haut-Commissariat à l’amazighité (HCA), qui a donné sa caution pour l’édition de ce livre qui est important sur plusieurs plans. En tant que berbérisant, je dois réfléchir à une méthodologie inclusive qui peut fédérer les locuteurs amazighs de diverses variantes pour ressouder le lien de l’intercompréhension en vue d’un amazigh médiane que tout le monde pourra comprendre. Les parlers et dialectes amazighs du Nord sont presque identiques, si la phonétique et le registre lexical semblent avoir des variations superficielles, la syntaxe et la structure sont restées les mêmes. La variété chaouie prend une large diatopie (position géographique des locuteurs, ndlr) du fait qu’elle est attestée dans plusieurs wilayas. Même les parlers amazighs de Tunisie et de Libye ont une influence importante du chaoui. Des études ont également montré une similitude presque parfaite du parler chaoui avec les parlers de Siouah d’Egypte. Ce projet est donc une nécessité, le parler kabyle et le chaoui sont les plus importants par le nombre de locuteurs ; il fallait donc penser à ce qu’on aménage ces deux parlers très proches pour avancer vers d’autres variétés amazighes.


Justement, à la lecture de l’ouvrage, nous remarquons que vous êtes familier de cette variante de tamazight. Comment s’est fait votre apprentissage ? Au contact des interlocuteurs ?


Les premiers enseignements que j’ai cumulés se sont faits à travers la télévision en apprenant quelques vocables, que je répétais fièrement lorsque je croisais des amis du Grand Aurès ; mais l’apprentissage réel s’est raffermi lors de mon cursus de licence où j’ai eu à étudier des textes d’André Basset et Amor Nezzal, sans oublier, bien sûr, le contact à l’université avec des amis chaouis de l’Aurès. Je dois dire qu’à l’époque apprendre un riche lexique et imiter un nouvel accent n’avait rien d’«exotique» mais était une vraie immersion dans le riche patrimoine amazigh. Chaque jour j’accumulais de nouveaux termes, de nouvelles tournures, et surtout je m’imprégnais de la littérature orale chaouie.


Votre ouvrage donne à voir des pans importants de l’histoire et de la culture chaouies. Un lexique permet aux lecteurs de connaître le vécu, des dates historiques et des personnages en vue de cette région de l’est du pays... 


J’ai essayé de donner un concentré sur le «monde chaoui», j’ai réparti le livre en cinq chapitres. Dans le premier, j’ai présenté le pays chaoui, ses grandes villes, son histoire, la culture chaouie à travers la chanson, la couture, la danse, les bijoux, etc. J’ai aussi présenté une dizaine d’hommes et de femmes très célèbres qui ont vécu dans différentes phases de l’histoire. Le deuxième chapitre est une présentation linguistique de la variante chaouie sur plusieurs plans : phonétique/phonologie, morphologie, syntaxe, etc. Dans le troisième chapitre, nous avons sélectionné des terminologies spécifiques en quatre déclinaisons linguistiques : kabyle, chaoui, français et arabe. Des thématiques importantes, comme la faune, la flore, le temps, la famille, la maison, la parenté, etc.


Le chapitre quatre est un ensemble de textes présenté en deux variétés : kabyle et chaoui. Des typologies de textes différentes, on trouve le narratif, le descriptif, le dialogue, la satire… Chaque texte est illustré. Nous avons choisi de mettre dans le dernier chapitre un lexique de 1000 mots les plus usuels dans la communication courante.


Travaillez-vous sur des projets incluant d’autres parlers ?

Oui, nous avons déjà publié un livre dans ce sens : un manuel d’apprentissage du touareg. Un livre qui a beaucoup aidé les dizaines d’enseignants kabylophones partis au Hoffar pour enseigner la langue amazighe. Le livre que j’avais publié en 2014 chez le HCA, en coédition avec Tira, a été d’un grand apport pour renforcer l’enseignement dans le Grand Sud. Même les étudiants touareg qui étudient au département de Tamanrasset ont utilisé ce manuel pour apprendre le kabyle, cet ouvrage permet au locuteur kabyle d’apprendre le touareg, mais aussi au locuteur targui d’apprendre le kabyle, une technique d’interversion.
 

Les travaux sur la dialectologie sont d’une importance capitale, toutefois, l’installation imminente d’une académie, qui aura la tâche de ce genre d’initiative, donnera plus de crédit à ce genre d’ouvrage. En attendant son installation, je préfère me consacrer à d’autres projets. 

 

 Propos recueillis par  Nadir Iddir

 

 

 BIO EXPRESS
Enseignant-inspecteur, journaliste et écrivain, Yacine Zidane est aussi consultant au Haut-Commissariat à l’amazighité (HCA). Impliqué dans plusieurs projets de développement de la langue amazighe, notamment en ce qui concerne l’introduction de tamazight dans les plateformes informatiques et numériques, il a dirigé plusieurs équipes de traduction sous l’égide du HCA pour mettre en place des versions amazighes de sites internet des départements ministériels, à l’instar de celui de la Justice.
 

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