Volonté d’apaiser les tensions qui caractérisent les relations entre les deux puissances malgré les différends. C’est ce qui ressort de la visite de deux jours du secrétaire d’Etat américain Antony Blinken en Chine bouclée hier par un entretien avec le président chinois Xi Jinping.
Ce dernier a salué hier lors de cette rencontre les «progrès» et les «terrains d’entente» entre Pékin et Washington, malgré les tensions. «Les deux parties ont fait des progrès (…) et sont parvenues à des terrains d’entente sur certains points spécifiques», a indiqué Xi Jinping sans plus de précisions, qualifiant les avancées de «très bonne chose», selon la télévision publique CCTV, relayée par l’AFP. «J’espère que par le biais de cette visite, le secrétaire d’Etat Blinken apportera un résultat positif à la stabilisation des relations entre la Chine et les Etats-Unis», a-t-il déclaré à son interlocuteur.
De son côté, A. Blinken, dont la visite est la première d’un secrétaire d’Etat américain en Chine depuis le voyage en octobre 2018 de son prédécesseur Mike Pompeo, a observé que les deux pays veulent «stabiliser» leurs relations. «Lors de chaque réunion, j’ai insisté sur le fait que des contacts directs et une communication soutenue au plus haut niveau constituaient le meilleur moyen de gérer les différences de manière responsable et de veiller à ce que la concurrence ne dégénère pas en conflit», a-t-il déclaré à la presse. «J’ai entendu la même chose de la part de mes homologues chinois. Nous sommes d’accord sur la nécessité de stabiliser nos relations».
Il s’est dit toutefois «lucide» quant aux désaccords bilatéraux. «Nous ne nous faisons pas d’illusions sur les défis que représente la gestion de cette relation. Il y a de nombreuses questions sur lesquelles nous sommes en profond, voire véhément, désaccord», a-t-il indiqué à la presse. Outre la question des rapports entre les Etats-Unis et Taïwan, île revendiquée par Pékin, les relations bilatérales restent tendues sur de nombreux dossiers. Entre autres : la rivalité dans les technologies, les sanctions américaines visant les géants chinois du numérique, le commerce, le traitement de la minorité musulmane des Ouïghours en Chine ou encore les revendications chinoises en mer de Chine méridionale, le Xinjiang, le Tibet et Hong Kong.
Écueils
Au nom de questions de sécurité, les Etats-Unis ont mis en place ces dernières années plusieurs mesures pour restreindre l’accès des entreprises chinoises à certaines technologies américaines ou compliquer leur fabrication de semi-conducteurs de pointe. Mais Washington ne cherche pas à «enrayer» le développement économique chinois, a assuré A. Blinken. «Nous voulons de la croissance. Nous voulons voir le succès dans toutes les parties du monde, y compris, bien sûr, dans les grandes économies comme la Chine», a-t-il ajouté.
«Mais en même temps», il n’est «pas dans notre intérêt de fournir à la Chine des technologies qui pourraient être utilisées contre nous», a-t-il soutenu. «Alors qu’elle développe de manière très opaque son programme d’armes nucléaires, qu’elle produit des missiles hypersoniques, qu’elle utilise la technologie à des fins répressives, en quoi est-il dans notre intérêt de fournir ces technologies spécifiques à la Chine ?», s’est-il demandé.
Sur Taïwan, il a affirmé que les Etats-Unis ne soutiennent pas l’indépendance du territoire insulaire, dont Pékin n’a jamais renoncé à s’emparer par la force. «Dans le même temps, nous sommes, comme beaucoup d’autres, profondément préoccupés par certaines des provocations menées par la Chine ces dernières années, depuis 2016», dans le détroit de Taïwan, a-t-il dit. Aussi, il a affirmé avoir demandé à la Chine d’user de son influence sur la Corée du Nord pour qu’elle mette fin à ses tirs de missiles. «Il est dans l’intérêt de tous les membres de la communauté internationale d’encourager la (Corée du Nord) à agir de manière responsable, à cesser de lancer des missiles et de mener son programme nucléaire», a déclaré A. Blinken. «La Chine est dans une position unique pour pousser Pyongyang à engager le dialogue et à mettre fin à son comportement dangereux», a-t-il souligné.
Un peu plus tôt dans la journée, Antony Blinken a rencontré le plus haut responsable du Parti communiste chinois (PCC) pour la diplomatie, Wang Yi. Ce dernier a affirmé à son interlocuteur que Pékin et Washington, arrivés à «un moment critique» de leurs relations, devaient choisir «entre dialogue et confrontation, coopération et conflit», d’après CCTV. Comme il a réaffirmé la position de son pays sur le dossier de Taïwan.
A savoir, que cette île est l’une de ses provinces, qu’il n’a pas encore réussi à intégrer au reste de son territoire depuis la fin de la guerre civile chinoise en 1949. «Le maintien de l’unité nationale est toujours au cœur des intérêts fondamentaux de la Chine» et «sur cette question, la Chine ne fera aucun compromis ni aucune concession», a-t-il signifié au diplomate américain. Pékin se dit opposé à ce qu’il perçoit comme un rapprochement continu ces dernières années entre Washington et Taipei, Il a ainsi lancé l’an passé des exercices militaires autour de l’île après des rencontres officielles entre de hauts responsables américains et la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen adepte de l’idée d’indépendance de la Formose.
Dimanche, le responsable américain a été reçu par le ministre chinois des Affaires étrangères, Qin Gang, qui dans la hiérarchie chinoise est en-dessous de Wang Yi. En la circonstance, les deux pays ont annoncé que Qin Gang a accepté une invitation du secrétaire d’Etat américain à une visite aux Etats-Unis, à une date qui reste à déterminer. Les échanges entre les deux hommes, ont été «francs, substantiels et constructifs», a déclaré le porte-parole du département d’Etat, Matthew Miller. Antony Blinken a notamment mis en relief «l’importance de la diplomatie et du maintien de canaux de communication ouverts sur l’ensemble des questions afin de réduire le risque de perception erronée et d’erreur de calcul», a-t-il affirmé. Pour sa part, le ministre chinois a déploré auprès de son homologue américain que les relations Pékin-Washington soient «au plus bas» depuis l’établissement des relations diplomatiques en 1979, selon la diplomatie chinoise.
Des «trois D» à Biden
La montée en puissance de la Chine suscite de l’inquiétude aux Etats-Unis qui la vivent comme une espèce de piège de Thucydide. La zone du Pacifique constitue un autre front de tension entre les deux pays. Washington suit avec attention les conflits territoriaux entre la Chine et des pays de la région où il compte des alliés comme le Japon et les Philippines. Ainsi, le 1er avril 2001, un avion de reconnaissance de la marine américaine est entré en collision avec un chasseur de la marine chinoise près de l’île de Hainan, une province de la Chine.
D’où un grave incident diplomatique entre Washington et Pékin. En mars 2009, le Pentagone accuse la Chine d’avoir harcelé l’Impeccable, un bâtiment scientifique non armé, opérant en toute légalité dans les eaux internationales, à environ 120 kilomètres au sud de l’île de Hainan. Il affirme que l’Impeccable menait une opération «de routine». En réaction, le ministère de la Défense chinois relève que le bâtiment américain a violé le droit chinois et international, tel que la Convention des Nations unies sur le droit de la mer de 1982, ratifiée par la Chine mais pas par les Etats-Unis.
Washington prône un règlement multilatéral et pacifique de ces conflits territoriaux entre la Chine et ses voisins. Ce qui est loin d’être la vision de Pékin plutôt favorable à des négociations bilatérales. Le président américain Barack Obama (dont Joe Biden était vice-président) a fait de la concrétisation la stratégie du «pivot» une de ses priorités majeures de sa politique étrangère États-Unis vers. Basée sur les trois D, diplomatie, développement et défense, cette stratégie consiste en le déploiement de plus de la moitié de la flotte américaine en Asie-Pacifique, le renforcement des partenariats dans le domaine militaire avec les alliés de la région et le rapprochement avec la Birmanie, l’Indonésie et le Vietnam. Lors de sa visite en Australie en novembre 2011, Barack Obama a déclaré que «les États-Unis sont une puissance du Pacifique et nous sommes là pour rester». De son côté, Le président Hu Jintao a indiqué dans son discours du 8 novembre 2012 que la Chine doit vite s’imposer comme une «puissance maritime» de rang mondial. Pékin voit d’un œil hostile l’ingérence américaine dans la région. Washington prône un règlement multilatéral et pacifique de ces conflits territoriaux entre la Chine et ses voisins. La Chine Pékin plutôt favorable à des négociations bilatérales.
Lors du sommet de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean) en 2010 au Vietnam, la secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, a indiqué que son pays a «un intérêt national» à préserver «une liberté de navigation» dans la mer de la Chine du Sud. Et à l›occasion de sa visite à Manille, en novembre 2011, elle a exprimé le soutien de Washington aux Philippines en conflit territorial avec la Chine. Comme elle a rappelé le traité de défense mutuelle de 1951 entre Manille et Washington et déclaré que «les Etats-Unis seront toujours dans le camp des Philippines».
Durant l’ère Trump, les relations entre les deux pays sont aussi en friction. En résumé, Washington a mené une guerre commerciale en 2018 à coups de droits de douane punitifs, L’oncle Sam a reproché à la Chine son excédent bilatéral et l’a accusée de concurrence déloyale avant de signer début 2020 une trêve avec Pékin.
Aux termes de cet accord préliminaire, les Etats-Unis s’abstiennent de toute nouvelle sanction commerciale.
Quant à la Chine, elle s’est s’engagée à acheter davantage de produits américains.
Aussi les Etats-Unis ont accusé le géant chinois du smartphone Huawei d’espionnage et interdit à leurs entreprises de lui vendre des équipements technologiques. En parallèle, ils ont fait en outre pression sur leurs alliés pour les convaincre d’exclure le groupe Huawei de leurs contrats 5G, la nouvelle génération de l’internet mobile. Washington a aussi reproché au président chinois, Xi Jinping, d’avoir interné plus d’un million de musulmans de l’ethnie ouïghoure dans des camps de rééducation politique au Xinjiang.
Cette ligne dure adoptée envers Pékin est poursuivie par Joe Biden soucieux de contrer les ambitions de puissance de son pays qui pourraient menacer le leadership américain dans le monde.