Véronique Jadin. Cinéaste belge : «Il serait peut-être temps d’inventer une autre manière de vivre en société»

29/02/2024 mis à jour: 06:14
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Véronique Jadin était à Alger pour présenter son long métrage L’Employée du mois, aux 8es Journées du film européen. C’est l’histoire d’Inès (Jasmina Douieb), une salariée, sous-payée et dévalorisée, qui se métamorphose en tueuse, aidée par Mélody (Laetitia Mampaka), une stagiaire. C’est une comédie noire qui dénonce le sexisme, la misogynie et les inégalités salariales en Europe.

 

Propos recueillis par Fayçal Métaoui

 

 

-Vous avez choisi de traiter un sujet sérieux, comme le sexisme et le patriarcat avec de la comédie. Pourquoi ?

Mon père me disait que la vie était trop courte pour s’ennuyer. Il nous faisait regarder des comédies françaises de Louis de Funes et Pierre Richard. Je voulais faire du cinéma et des drames. Il m’est arrivé de commencer l’écriture des histoires terribles mais je n’avance jamais dans ces projets ou alors je commence à mettre des blagues ;  à un moment donné, je me rends compte que c’est ma nature. J’aimerais bien être une réalisatrice de films sérieux pour les présenter à Cannes, mais je pense que ce n’est pas mon Karma.
 

-Le déclic de cette histoire est-il lié à votre propre expérience personnelle ?

Oui. C’est un peu triste. Les relations de travail sont les mêmes, que l’on soit dans une usine ou dans des bureaux huppés avec de belles moquettes. Les rapports de pouvoir entre riches et pauvres, entre patrons et employés, sont pareils. Il serait peut-être temps d’inventer une autre manière de vivre en société.
 

-Votre film évoque aussi un sujet politique, les disparités salariales. En Belgique, comme dans toute l’Europe, les femmes et les hommes n’ont pas les mêmes rémunérations, même pour des postes équivalents...

J’étais furieuse par rapport à cette question d’inégalités salariales. Je voulais introduire ce sujet en plus de ceux relatifs au sexisme, au racisme et à l’agression verbale. D’où le titre «L’employée du mois». A compétence égale, il faut avoir un salaire égal. C’était un gros cri de colère au départ.
 

-Vous avez dit que votre film est «amoral» parce que les spectateurs peuvent s’habituer, voire sympathiser, avec des tueuses... Un risque ?

Ce risque existait. L’idée de base de ce film était venue très vite alors qu’habituellement, je travaille sur mes projets pendant des mois. J’ai tracé dès le début un destin pour une tueuse. Nous avons travaillé sur le scénario pour qu’on aime les personnages d’Inès et de Melody. En sortant du film, les gens sont plutôt satisfaits et ont le sentiment d’avoir passé un bon moment. Les deux femmes sont victimes de tellement d’injustice qu’à un moment donné, il fallait rétablir un peu l’équilibre. Inès peut aller au restaurant sans regarder l’addition, cela ne lui est jamais arrivé.
 

-Et pourquoi ce choix d’un duo entre deux femmes, l’une d’origine arabe, l’autre africaine ?

Au départ, lors de l’écriture du scénario, je n’ai pas pensé à cette question. Après, je me suis rendue compte que cela faisait sens de monter un stagiaire qui vient du Congo (Kinshasa), un pays qui a été occupé par la Belgique. Avec le directeur de casting, nous avons cherché toutes les filles noires des écoles du cinéma belges sans trouver celle qui pouvait jouer le rôle de Mélody. Il nous fallait une comédienne drôle, pas une Miss beauté, pour éviter de se retrouver avec deux jolies filles et donc de tomber dans l’artificiel. Laetitia Mampaka, qui était étudiante en droit, avait été championne européenne d’éloquence en 2017. C’est un coup de cœur pour nous. Le directeur du casting m’a conseillé Jasmina Douieb. Il m’a dit qu’elle était drôle même si elle n’en a pas l’air. Yasmine est d’abord une metteuse en scène de théâtre. Le fait qu’elle soit d’origine marocaine, c’est peut-être un plus. Elle a vite compris les scènes au casting. Elle s’est imposée lors du tournage.
 

-Inès jubile lorsqu’elle tue une patronne ! L’ennemi d’une femme est-il une autre femme ?

Au début, elle ne tuait que des hommes. Une amie réalisatrice m’a conseillé d’éviter de tomber dans le piège de la revanche. En réfléchissant, on constate  qu’il existe bien des femmes sexistes comme les hommes.
 

-L’Employée du mois est-il un film féministe finalement ?

Oui. La première définition du féminisme, c’est le combat pour l’égalité salariale. C’est le prérequis minimum. Pour le reste, il y a mille branches du féminisme, comme il existe mille branches de militantisme, de courants au sein des partis de gauche ou de droite. Une féministe n’est pas toutes les féministes.

 

-Dans les festivals, votre film a été sélectionné dans les catégories du cinéma gore, de cinéma d’épouvante, de films de minuit... Pourquoi ?

Moi-même, j’étais surprise. Le film a été acquis par un vendeur international qui est versé dans le cinéma du genre. Les premiers festivals qui ont retenu le film font dans le cinéma du genre. On m’a dit que c’était une bonne nouvelle puisque les comédies étaient rarement sélectionnées dans les festivals. Le long métrage a énormément voyagé. Mon producteur est un homme heureux puisque le film s’est bien vendu à l’international. Il est sur toutes les plateformes. Un film qui a fonctionné tout seul puisqu’il n’a pas bénéficié d’une grosse production, n’a pas eu de distributeur en Belgique. C’est un petit miracle pour un film qui mélange féminisme à la dimension politique assurée, comédie au second degré absurde et revendiquée. Le film n’a pas peur de ce qu’il est, une petite chose étrange. Il y a une certaine sincérité qui touche les gens. J’ai de bons retours après le passage du film dans le monde. Ce n’est pas une question de langue ou d’origine.
 

-Est-il difficile pour les femmes d’avoir des fonds pour réaliser un film en Belgique ?

Les choses commencent à s’arranger un peu. Cela dit, on trouvait surprenant qu’une femme réalise une comédie. On estime que les femmes ne font que des «films-utérus» qui abordent les sujets d’amour, des enfants ou de la vie à la maison. Dans le film L’Employée du mois, Inès n’évoque à aucun moment sa vie personnelle. Elle ne parle que du travail. Il n’y pas d’histoire d’amour (...) J’ai déposé un dossier à la commission sur un nouveau long métrage, l’histoire d’une architecte qui se rend compte qu’elle est mal payée. Il faut croire que c’est une obsession chez moi ! C’est une comédie romantique. 

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