Université Oran 2 : Les réserves algériennes en «terres rares» en débat

15/12/2024 mis à jour: 13:56
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Photo du groupe des participants au séminaire sur le potentiel minier algérien

Intitulée «Les terres rares, un substitut énergétique», la conférence du Pr Aïssa se veut aussi une occasion de «remettre les pendules à l’heure», selon sa propre formulation.

 

Intervenant lundi au séminaire sur le potentiel minier en Algérie organisé par la faculté des sciences de la terre et de l’univers de l’Université Oran 2, le Pr Djamel Eddine Aïssa de l’USTHB a attesté que l’estimation des réserves algériennes en terres rares, considérées comme l’une des plus importantes au monde, ne sont pas fondées pour la simple raison que les études entamées à ce jour ne sont effectuées qu’en surface (2D) et on ne dispose donc pour l’heure que de soupçons ou d’indices de réserves. «Et même si tel est le cas, on n’a pas intérêt à le crier sur tous les toits», a-t-il ironisé et c’était pour introduire dans sa conférence l’aspect géopolitique et la tentation qu’ont déjà les puissances industrielles à s’accaparer d’une ressource indispensable pour la haute technologie. 

Des métaux stratégiques qu’on retrouve dans divers produits électroménagers, les smartphones évidemment, les véhicules, mais surtout aussi les drones pour ce qui est des systèmes de guidage à distance, les disques durs, notamment ceux des gros calculateurs (ordinateurs géants), et la liste est longue. Pour lui, ce sont en général des pays comme la Chine à laquelle il faut ajouter le Vietnam et la Russie qui viennent en tête des pays qui en disposent le plus. Le chiffre donné pour le pays de Mao Tsé-toung est de 44 millions de tonnes de réserves (presque trois fois plus qu’aux Etats-Unis). 

A titre illustratif, il estime à 500 millions le nombre de disques durs pour ordinateurs géants fabriqués chaque année, ce qui nécessite 6000 tonnes de néodyme (symbole nd de la famille des lanthanides dans le tableau des éléments de Mendeleiv). C’est le risque de pénurie mais peut être aussi les restrictions sur les exportations de ces pays qui vont pousser les autres puissances industrielles à se rabattre sur «la pauvre Afrique qui ne dispose pas de gros moyens de défense» pour chercher des alternatives à leur approvisionnement, d’où sa crainte en parlant de «bruit des bottes à nos frontières», une référence aux pays du Sahel. La crainte exprimée ici n’est peut-être pas exagérée si on pense à ce qu’a été le pétrole pour l’industrie mondiale tout au long du siècle dernier. 


Un substitut énergétique

La conférence du Pr Aïssa est intitulée «Les terres rares, un substitut énergétique», mais elle se veut aussi une occasion de «remettre les pendules à l’heure», selon sa propre formulation. Hormis ce qui a été évoqué plus haut sur les réserves nationales, il s’agit aussi d’expliquer que ce ne sont pas toutes les terres rares qui présentent un intérêt économique. Sur 17 éléments, il ne retient qu’au maximum 4 dont principalement le néodyme et, ensuite, le dysprosium et l’europium et qui sont en général associés à d’autres minéraux. 

Ce sont les usages à grande échelle qui leur confèrent leur valeur commerciale et donc l’intérêt à les extraire avec ce que cela entraîne en termes de risque de pénurie. On n’y est déjà lorsqu’on parle alors de «terres rares critiques», une référence à des réserves ne pouvant pas dépasser trente années d’exploitation. 

La demande est telle qu’on a pensé au recyclage (circuits intégrés, smartphones, batteries, télés, etc.) «On peut le faire mais là, comparativement à la récupération du cuivre ou du plomb, l’extraction des éléments constitutifs de tous ces équipements est non seulement complexe, mais exige aussi l’utilisation de produits chimiques et de réactifs extrêmement polluants, ce qui est dissuasif», explique le chercheur pour qui la découverte de nouveaux gisements est nécessaire pour l’avenir de l’industrie à haute valeur technologique. Pour le cas de l’Algérie, il manque selon lui des études en profondeur (3D) pour évaluer réellement les réserves existantes, mais son intervention propose déjà les types de sites à privilégier dans la prospection, ceux renfermant des roches de type carbonatite (contenant plus de 50% de carbonates) ou celle issues du magmatisme alcalin, etc. 

La prospection passe donc par l’identification au préalable des ces massifs présentant des altérations favorables. Une fois les sites identifiés et certains le sont déjà, il estime qu’il faut au minimum cinq années avant de pouvoir dire : «Voilà ce qu’on a comme réserves !» Il faut ensuite identifier les priorités en fonction de la pertinence des éléments recherchés et de la teneur des gisements ciblés. «On peut trouver des teneurs en cérium (également terre rare) situées entre 1600 et 2000 ppm (partie par million), mais celui-ci n’est pas demandé alors qu’une teneur nettement plus faible pour le néodyme, même à 50 ppm, est commercialement très avantageuse car très demandé.» 

A quelques exceptions près dans le nord du pays, il considère également que c’est le Sud qui est potentiellement propice à renfermer ce genre de ressources stratégiques à l’avenir. Le séminaire concerne le potentiel minier en général et c’est dans cette perspective que, présent, le représentant de l’Office de recherche géologique et minière (un des héritiers de la Sonarem, restructurée en 1983), Yahia Azri, intervenant dans le débat et en aparté, a rappelé que l’Etat algérien a initié depuis 2021 un vaste programme de recherche ciblant un ensemble de produits miniers dont une quinzaine en priorité. Ce sont, dit-il, 26 équipes de recherche employant entre autres 150 ingénieurs qui sont mobilisés pour cette tâche. Favorable au rapprochement entre l’université et le monde économique, il a déclaré que ce serait dommage que des recherches universitaires soient gardées dans les tiroirs. 


Énorme potentiel 

En contrepartie, on voit bien que les communicants utilisent beaucoup, eux aussi, de leur côté les résultats des études effectuées soit par la Sonarem soit par les instances apparentées. La collaboration existe déjà même si elle demande à être renforcée. C’est ce qu’a reconnu le Pr Hanafi Benali (USTHB) qui a intervenu pour parler du potentiel de minéralisations liées au magmatisme, mais précisément dans l’Oranie. Partant du principe que le littoral algérien a été caractérisé dans le passé lointain (Miocène) par une forte activité volcanique, il s’agit pour son équipe d’étendre les études (déjà menées à l’Est et qui ont mis en évidence les grands gisements qu’on s’apprête aujourd’hui à exploiter) vers la partie occidentale du littoral algérien, pour tenter de mettre en évidence l’existence d’autres gisements similaires ou pas. Sa présentation porte sur les massifs de Tifraouine (au nord-ouest de la sebkha d’Oran) et de M’sirda (wilaya de Tlemcen) pour en déceler les indices permettant d’orienter les prospections futures. 

Des études qui, hormis la détermination au passage d’une nouvelle zone propice, ont mis en évidence le concept de la double minéralisation expliquant la richesse des gisements comme, pour l’exemple, celui d’Oued Amizour (wilaya de Béjaïa). «C’est plus facile de trouver quand on sait ce qu’on cherche», rappelle-t-il l’adage pour mettre en avant l’importance des études, notamment géochimiques. De l’Université Oran 2, le Pr Mohamed Tabeliouna devait s’intéresser précisément à la dorsale Reguibet du Sud-Ouest algérien incluse dans le massif des Eglab. 

De la même université, le Pr Mohamed Idriss Hassani s’est chargé de présenter l’impact environnemental de l’exploitation minière. De manière générale, le rapprochement entre l’université et le monde économique est également pris en considération par le doyen de la faculté des sciences de la terre, Abbès Sebbane, qui a intervenu à l’ouverture, juste après l’allocution du recteur Ahmed Chaâlal, pour parler des formations qui sont déjà mises en place à l’université (master en ressources minérales géo matériaux et environnement) ou celles à venir pour accompagner le programme ambitieux initié dans le domaine minier.                             

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