Une rétrospective du décollage économique spectaculaire des pays du Sud-Est asiatique (1re partie)

14/09/2024 mis à jour: 20:01
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Les prétentions de cette contribution ont pour objectif de présenter un aperçu rétrospectif des stratégies de développement des pays du Sud-Est asiatique (Corée du Sud, Taïwan, Singapour et Hong Kong), qui leur ont permis de réaliser un décollage économique spectaculaire entre les années 1960 et 1990.


Quelques pays, principalement en Afrique et en Asie du Sud, les pays les moins avancés (PMA), éprouvent toujours de grandes difficultés à assurer des conditions d’existence décentes à leur population. D’autres pays à revenus intermédiaires connaissent des améliorations contrastées, avec un développement parfois lent et dans la plupart des cas instable. En somme, il existe peu de pays, essentiellement du Sud-Est asiatique qui ont réussi à connaitre un développement rapide, continu et ont pu sortir durablement du sous-développement (Haudeville et Younes Bouacida, 2015). 

En effet, la Corée du Sud, Taïwan, Singapour et Hong Kong (les quatre dragons asiatiques), souvent désignés comme les Nouveaux pays industrialisés (NPI) de la première génération ne sont plus considérés comme des Pays en développement (PED). Le décollage économique spectaculaire (à quelques chocs près) de ces pays du sud-est asiatique à partir des années 1960, pourtant partis de niveaux de revenu extrêmement bas (par exemple, la Corée du Sud était plus pauvre que le Ghana ou le Tchad ainsi que de nombreux pays d’Afrique), leur a permis d’être considérés au début des années 1980 comme des économies émergentes, et à partir de la fin des années 1990 comme des économies développées à part entière (Ibid). Ces pays ont ainsi réalisé le développement économique le plus compressé de l’histoire.


L’expérience de ces pays a fait voler en éclats la dichotomie Nord-Sud. Le Tiers-Monde «n’est pas dans l’impasse», comme le prédisait l’économiste Paul Bairoch en 1971. Cet auteur démontrait dans son ouvrage Le Tiers-Monde dans l’impasse, le caractère spécifique et dramatique des problèmes auxquels le Tiers-monde, globalement, se trouve confronté pour pouvoir rattraper les pays développés : tiers-monde dépassé par un développement démographique, d’une part, et son incapacité à suivre le progrès technologique.


Les quatre pays du Sud-Est asiatique dont nous parlons, démunis, certains d’espaces et tous de ressources naturelles ont pu sortir de la pauvreté grâce à l’impressionnante dynamique de croissance de leur économie qui trouve son origine dans le développement continu (quantitatif et qualitatif) du secteur industriel et l’orientation à l’exportation. Leur expérience, largement étudiée et analysée depuis le fameux rapport de la Banque mondiale de 1993 «The East Asian Miracle : Economic Growth and Public Policy», fait figure de modèle, suivi par l’émergence d’une nouvelle génération tels la Malaisie, l’Indonésie, la Thaïlande, les Philippines, le Vietnam (les tigres), mais aussi la Chine, l’Inde et le Brésil pour ne citer qu’eux. 


Le terme d’«économie émergente» ou pays dit «émergent» est né dans les années 1980. On attribue à l’économiste Van Agtmael la première utilisation de l’expression de «marchés émergents» qu’il a utilisée en 1981 pour parler des pays en développement offrant des opportunités pour les investisseurs et en phase de développement avancé (pays du Sud-Est asiatique). Ce terme est repris ensuite par les institutions internationales pour désigner les pays où l’industrialisation est particulièrement rapide : c’est la naissance du concept de l’«émergence économique». 


En dépit des différences qui existent dans la définition de l’émergence économique, on retrouve dans ce concept trois éléments importants selon la définition du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII, 1996) : (1) un niveau de revenu inférieur à la moyenne des pays développés, (2) une croissance économique soutenue et rapide accompagnée d’une intégration croissante à l’économie mondiale (sur une période relativement longue), et (3) une attraction exercée sur les Investissements directs étrangers (IDE).


Associée à ces trois éléments, l’émergence désigne une capacité de concurrence de l’économie, et de fait, une dynamique vers le développement économique. A ce stade, il y a une amélioration du niveau de vie des populations d’une nation, qui se traduit par une hausse des indicateurs de développement humain et un accroissement de la richesse. L’émergence économique est constamment utilisée pour indiquer des exemples en matière de performance économique réalisée par des pays en développement (principalement les pays du Sud-Est asiatique) et désigner ainsi les nouvelles grandes puissances économiques à l’échelle mondiale. En somme, le phénomène de l’émergence jouit d’une grande popularité à cause des potentialités qu’il recèle. 

L’analyse des trajectoires de développement des pays asiatiques avec le Japon comme initiateur après la Seconde Guerre mondiale, puis les quatre dragons à partir de la deuxième moitié du XXe siècle, a rompu le paradigme de développement promu par le consensus de Washington associé au néolibéralisme où aucune intervention de l’Etat sur le marché n’est souhaitée. En effet, parmi les clés de la réussite de ces pays, il y a les politiques de développement dites «Etat développeur» (Capitalist Development State) ou État dit «développementiste».


Ce modèle d’Etat est le pivot de leur stratégie de rattrapage économique. Le succès économique de l’Etat développeur a encouragé d’autres pays asiatiques, notamment la Chine et des pays de l’Amérique latine à suivre ce modèle de développement. Sans revenir longuement sur la définition de la notion de l’«Etat développeur», il faut retenir ici le rôle de l’Etat qui a pour caractéristique une forte intervention dans l’économie, avec des institutions considérées comme des piliers à l’encadrement du dynamisme de marché ainsi qu’une forte sollicitation des entreprises privées afin de servir avant tout les intérêts de l’économie nationale. L’efficacité de la politique industrielle via un «Etat développeur», comme le souligne l’économiste Kuznets (1988), a permis l’accélération de l’industrialisation de ces pays asiatiques. 


Le modèle de développement économique des pays asiatiques cités précédemment correspond à une théorie dite du «Vol d’oies sauvages». Cette théorie décrite par l’économiste Akamatsu en 1937 s’appuie sur l’exemple du Japon. Elle fut ensuite complétée par l’économiste Shinohara en 1982 pour illustrer le processus de développement industriel dans ces pays. Ainsi, un pays initie le processus d’industrialisation sur un produit à faible valeur ajoutée, il en devient exportateur, puis finit par abandonner cette production pour un produit à plus haute valeur ajoutée. Un autre pays va alors reprendre le même type de production et entamer son propre processus d’industrialisation et, de fait, les pays se développent les uns après les autres. 


Ainsi, on observe quatre phases : dans la première phase le pays en développement importe de l’énergie et des produits manufacturés des pays industrialisés. Dans la deuxième phase, il substitue la production nationale aux importations (des biens de consommations et ensuite des biens d’équipements) tout en protégeant l’industrie nationale (par exemple par des barrières tarifaires). Dans la troisième phase, le pays exporte vers les marchés extérieurs les excédents commerciaux. Dans la quatrième phase, il y a une délocalisation de la production de biens à faible intensité technologique et une orientation vers les activités à haute valeur technologique. 


A l’arrivée, le pays devient une puissance économique internationale. Ce processus de développement rend compte de l’émergence successive de nombreux pays asiatiques, le Japon a été à l’origine de ce processus, qui s’est étendu ensuite aux quatre dragons asiatiques. Le miracle asiatique s’est construit sur une industrialisation tournée vers l’exportation et sur une désindustrialisation occidentale. 


Les IDE dans le secteur manufacturier et dans les services ont joué un rôle de premier plan dans la croissance rapide des pays du Sud-Est asiatique. Les entrées de capitaux importants en provenance du Japon puis des pays de l’OCDE ont favorisé la sous-traitance entre les entreprises étrangères et les sociétés locales, ce qui a permis la diversification et le développement du secteur industriel. Ces pays ont réussi ensuite à s’intégrer dans les chaines de valeur mondiales, et la remontée dans les filières à forte valeur ajoutée pour promouvoir un appareil productif très compétitif à la faveur de politiques industrielles très construites. 


L’attraction de l’investissement étranger a favorisé aussi le transfert de technologies, la diffusion des savoirs par les liaisons verticales avec des entreprises sous-traitantes, la formation d’un personnel local qualifié et la construction de capacités d’apprentissage et technologiques au sein des entreprises.


Un retour sur les expériences des quatre dragons asiatiques nous rappelle que ces pays ont eu des régularités dans les stratégies qui ont construit leur modèle de développement. La stratégie de la remontée dans les filières de production était liée aux efforts d’investissements matériels, associé aux opportunités de l’ouverture de l’économie. En effet, ils ont commencé au début à développer une industrie de substitution aux importations. Ensuite, ils ont investi dans l’industrie légère (particulièrement le textile) destinée à l’exportation. Et les gains en devise obtenus ont été investis dans l’industrie lourde (sidérurgie, constructions navales, pétrochimie, etc.) puis dans l’industrie d’équipement (construction automobile, électronique grand public, etc.).


Cela leur a permis au début de satisfaire le marché intérieur ensuite le développement des exportations. Ces pays ont également réussi à valoriser les grandes entreprises conglomérales (avec un fort soutien de l’Etat) pour tirer leur croissance économique vers le haut. En Corée du Sud, par exemple, les Chaebols, comme Hyundaye, Samsung ou Lucky - Goldstar (LG) ont été créés avec des investissements publics puis revendus au secteur privé. 

En arrière-plan, l’émergence économique des pays du Sud-Est asiatique est associée aux investissements immatériels (éducation, formation professionnelle, activités de recherche, etc.). Cela a permis le développement de compétences et capacités. 


Ces dernières ont permis de produire et de maîtriser des produits et des processus productifs de complexité croissante. Ces compétences et capacités consistent en des personnes qualifiées pour le développement et l’absorption des savoirs tacites, en connaissances incorporées en particulier dans les biens de production et en connaissance non incorporée, le plus souvent de caractère formel. A ce titre, les capacités et les savoirs peuvent être construits localement ou importés. Les deux modalités coexistent en proportions variables dans toutes les économies comme dans toutes les entreprises.

 

Par le Pr Rédha Younes Bouacida

 

 

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