Une nouvelle gouvernance économique mondiale est indispensable

27/04/2024 mis à jour: 15:03
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Les changements démographiques, économiques et politiques majeurs ayant émergé ces dernières décennies et les défis marquants actuels nécessitent non seulement une approche globale pour sauvegarder la paix et la prospérité mais également une nouvelle gouvernance mondiale. 

La primordialité de cette dernière s’impose du fait de : 

(1) l’obsolescence de l’architecture actuelle de la gouvernance mondiale, mise en place dans la période de l’après-guerre pour un monde radicalement différent de celui d’aujourd’hui ; (2) la faiblesse du système multilatéral actuel face aux défis majeurs contemporains, dont le changement climatique (hausse des températures, inondations et incendies) et les dommages structurels qu’il impose à tous les pays ; l’exacerbation des tensions géostratégiques, la violence des conflits régionaux et des crises humanitaires ; la forte intégration des marchés financiers qui ne prend pas en compte les menaces transfrontalières ainsi que l’irruption des moyens de paiements numériques et le creusement des inégalités sociales qui bloquent les progrès économiques et sociaux ; et (3) l’émergence d’un nouveau monde en dehors des grandes puissances et de leurs principaux alliés qui est le Sud Global, nouvel acteur majeur dans le paysage géopolitique mondial. La recherche d’une nouvelle gouvernance sera au centre d’un Sommet des Nations unies sur l’avenir, prévu en septembre 2024, au cours duquel les Etats membres devraient éventuellement se mettre d’accord sur un Pacte pour l’avenir, cadre global de discussion et d’action contre les défis interdépendants de l’heure. Les Nations unies ont préparé à cet effet onze documents de travail. Toutefois, le chemin vers une nouvelle gouvernance sera complexe. Cet article va se focaliser sur les réformes en faveur d’une nouvelle gouvernance économique en discutant quatre grands volets : (1) la gouvernance monétaire et financière mondiale ; (2) la question de la dette mondiale et le financement du développement et de la lutte contre le changement climatique ; (3) la recherche d’une fiscalité mondiale équitable et inclusive ; et (4) la résilience du système financier mondial.  

La réforme de la gouvernance économique mondiale.  (1) La nature du problème : Le système de gouvernance économique mondiale, mis en place à partir de 1945, ne reflète pas les réalités d’aujourd’hui au vu, entre autres : (i) du nombre limité de pays (44) ayant participé à la création du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale (BM) à Bretton Woods. Aujourd’hui, ces deux institutions financières internationales (IFI) comptent 190 pays membres ; (ii) de la pondération actuelle des votes au sein de ces IFI qui octroient plus de poids à quelques petits pays européens que certains des plus grands pays du Sud ; (iii) des modes arbitraires et politiques de désignation des responsables de ces institutions, ce qui exclut ipso facto toute méritocratie ; et (4) de l’exclusion de nombreux acteurs économiques importants – les pays du Sud- ainsi que les acteurs du secteur privé et de la société civile ; (2) Objectif des réformes : mettre en œuvre un système de gouvernance économique mondiale plus inclusif et plus efficace afin d’assurer une surveillance adéquate de la manière dont les ressources sont gérées. Faute de cela, les IFI deviendront obsolètes et seront sans objet ; (3) Les axes de réformes : rendre le FMI et la BM plus inclusives et plus efficaces à travers des  réformes visant, entre autres : (1) la modification de la répartition des voix au sein de leurs organes directeurs dans le but de renforcer leur légitimité et leur efficacité ; (2) la modernisation des conseils d’administration des deux institutions afin de refléter les meilleures pratiques en matière de gouvernance d’entreprise. Ces réformes renforceraient la voix du Sud tout en conservant une surveillance suffisante des principaux créanciers et en améliorant le fonctionnement des deux institutions. 
 

La résolution de la dette mondiale et l’accroissement des financements du développement et du changement climatique. (1) La nature du problème :  

De plus en plus de pays du Sud Global font face à un surendettement, alors que la mise en œuvre des Objectifs du développement durable (ODD) et de la mesure-phare de l’Accord de Paris visant à limiter le réchauffement climatique à 1,5°C  prend du retard. 

Précisons que la pandémie de la Covid-19 a un rôle déterminant dans ce retard ; (2) Objectif général des réformes : donner aux pays du Sud Global davantage d’espace budgétaire pour financer le développement et le changement climatique en agissant sur la dette souveraine (par la mise en place de mécanismes durables d’allègement de la dette) et la disponibilité des financements ; (3) Les axes des réformes pour alléger l’endettement : (i) renforcement des capacités de gestion de la dette des pays et de la transparence du processus d’endettement ; (ii) amélioration de la qualité des contrats en intégrant des clauses conditionnelles de l’Etat ; (iii) intégration d’un dispositif de restructuration de la dette, complétée éventuellement par un mécanisme de marché pour traiter avec les détenteurs d’obligations – comme l’initiative Brady des années 1980 ; et (iv) un allègement de la dette pour appuyer un mécanisme de lutte contre le changement climatique  (y compris des réformes statutaires dans des centres de marché clés tels que New York et Londres). 

La création d’une autorité de la dette souveraine est sur la table mais demandera du temps pour obtenir un soutien politique ; (4) Les axes des réformes pour la mobilisation de fonds pour le développement et le changement climatique visent à :  (i) augmenter de façon massive les prêts au développement et le financement climatique ; (ii) mettre en place une grande banque verte qui pourrait être indépendante ou une composante du Groupe de la Banque mondiale ; (iv) compter sur les marchés du carbone  pour la mobilisation des ressources nationales pour atteindre les ODD et les objectifs de l’action climatique ; et (v) souligner l’importance de garantir une utilisation efficace de toutes les ressources destinées au développement et a la lutte contre le changement climatique. 
 

Une fiscalité mondiale équitable et inclusive est incontournable. (1) Nature du problème :  le système fiscal international, vieux d’un siècle, est dépassé du fait de la croissance spectaculaire des activités transfrontalières, de l’essor des actifs incorporels (droits d’auteur, brevets, marques déposées), de la numérisation ainsi que des pratiques fiscales agressives des pays pour attirer les investissements directs étrangers (en utilisant, entre autres, la technique de l’optimisation fiscale). 

Ces trois facteurs ont entrainé : (i) une baisse continue des taux d’imposition dans de nombreux pays au cours des trois dernières décennies (cette baisse a affecté 40% des bénéfices mondiaux des multinationales, soit près de $500 à $650 milliards de recettes fiscales perdues) ; (ii) des transferts de richesses en direction des paradis fiscaux ; et (iii) une accentuation de l’évasion fiscale. Toutes ces recettes perdues auraient pu être affectées à la réalisation les ODD de ces pays. 

De plus, l’évasion fiscale des entreprises et des particuliers riches impose également injustement un fardeau fiscal plus lourd aux contribuables à revenus moyens et faibles, creusant davantage les inégalités sociales. (2) Objectif : endiguer ces pertes et favoriser une fiscalité équitable par le biais d’un régime fiscal mondial fonctionnel appuyant les systèmes fiscaux nationaux ; (3) Les axes de réformes : Depuis 2015, l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) a été mandatée par le G20 pour mettre en place un projet destiné à contenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices. En 2021, 138 (sur 142) membres du Cadre Inclusif (CI) de l’OCDE ont convenu de remodeler (partiellement) les droits fiscaux pour relever les défis de la numérisation (premier pilier) et d’introduire un impôt minimum mondial de 15% (second pilier). A ce stade, les deux piliers s’appliquent uniquement aux sociétés multinationales les plus grandes et les plus rentables. Les membres du CI envisagent désormais de ratifier l’accord multilatéral visant à mettre en œuvre les règles obligatoires du premier pilier. Entre-temps, de nombreux pays ont commencé à mettre en œuvre le taux d’imposition minimum mondial convenu dans le cadre du deuxième pilier. 

Ces réformes n’ont concerné que les pays avancés. Elles ont impacté de façon marginale les pays en développement en matière de recouvrement de recettes fiscales. De ce fait, il est urgent d’associer les pays en développement du G24 d’Afrique et d’Amérique latine à un forum inclusif, ce qui leur permettrait de participer et discuter des questions liées à la fiscalité, y compris le développement de leurs capacités techniques. De plus, l’Union africaine, soutenue par les pays en développement, a pris l’initiative de plaider en faveur d’un rôle plus important pour l’ONU dans ce processus de réforme de la fiscalité mondiale. 

En décembre 2023, l’ONU a décidé de mettre en place une Convention-cadre pour la coopération fiscale internationale afin de promouvoir un processus plus inclusif et plus efficace d’établissement de règles fiscales internationales. Son mandat est de répondre aux besoins, aux priorités et aux capacités de tous les pays, en particulier des pays en développement, afin de garantir des résultats équitables et d’envisager les complémentarités avec d’autres institutions impliquées aux niveaux international, régional et local. Il identifie les flux financiers illicites liés à la fiscalité et la taxation des revenus des services transfrontaliers dans un monde de plus en plus numérisé et mondialisé comme deux premiers protocoles sur lesquels des solutions techniques peuvent être négociées. Les termes de référence de la Convention-cadre devraient être approuvés en novembre de cette année afin de guider les délibérations de l’ONU sur la convention en 2025. 

La résilience du système financier mondial. En période de chocs et de crises multiples, il est essentiel de garantir la résilience du système financier mondial et protéger les pays les plus vulnérables. Dans le cadre du renforcement du filet mondial de sécurité financière (FMSF), l’objectif est de renforcer l’apport de liquidités aux économies émergentes et en développement qui pourraient être confrontées à des difficultés financières pendant les périodes de tensions sur les marchés mondiaux. 

La note d’orientation de l’ONU recommande d’élargir tous les niveaux du FMSF et appelle à des réformes spécifiques pour renforcer ce dernier au niveau du FMI, l’institution la plus importante au centre du système financier mondial. Les réformes proposées appellent à revoir la formule des quotes-parts du FMI, la refonte du rôle des droits de tirage spéciaux et la dissociation des quotes-parts et des contributions aux prêts. 
 

Conclusion

Les tensions géopolitiques accrues, une concurrence entre les grandes puissances, la montée des conflits et des guerres à travers le monde, présentent des défis pour la mise en place du programme de réformes présentées ci-dessus. Dans ce contexte, ce dernier distingue les mesures à court terme qui peuvent être mises en œuvre dans le contexte géopolitique actuel et celles qui devraient faire l’objet d’une implémentation à moyen et long termes.

 Plus important, la réussite du plan de réformes implique une volonté politique forte de moderniser le système financier mondial pour le bénéfice de tous.

 

 

Par Abderahmi Bessaha , Expert international
 

 

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