La Maison-Blanche, développant un agenda défini en fonction de ses échéances internes et par la crainte permanente d’«abcès de fixation sécuritaires» au Moyen-Orient, sur fond de hantise plus stratégique de débordement en conflit régional, se laisse de moins en moins lester par les blocages du gouvernement israélien et ses plans radicaux d’inspiration fasciste.
La Maison-Blanche se résout à prendre les choses en main dans la bande de Ghaza et à ne plus subir les vicieux atermoiements du gouvernement de Benyamin Netanyahu. «Nous n’attendons pas les Israéliens. C’est le moment pour l’Amérique de prendre les devants», a déclaré, avant-hier, un responsable de l’administration Biden cité par l’AFP.
Washington tente de sortir de l’ornière diplomatique dans laquelle l’a envasé l’aveuglement du Premier ministre israélien et son hostilité à toute autre gestion du conflit et de ses conséquences humanitaires, en dehors de la guerre totale contre tout ce qui vit encore dans l’enclave palestinienne.
La Maison-Blanche, après avoir fait le constat du blocage des négociations sur un «cessez-le-feu temporaire» durant le Ramadhan, et l’insuffisance criante des aides larguées par les airs depuis plus d’une semaine en collaboration avec des partenaires arabes et occidentaux, annonce l’installation d’un port provisoire sur la côte ghazaouie, destiné à faire accoster des navires d’aides alimentaires pour les populations.
Joe Biden en a fait un thème phare de son discours sur l’Etat de l’Union jeudi dernier devant le Congrès américain et actant le lancement de sa campagne électorale pour la présidence américaine, prévue le 5 novembre prochain.
L’ouvrage, dont la réalisation est confiée à l’armée, ne devrait être opérationnel que dans quelques semaines, mais l’orateur a promis qu’il sera capable de recevoir, à sa livraison, de gros navires chargés de denrées et d’équipements médicaux, soit l’équivalent de plusieurs centaines de camions d’aides, promettent encore les responsables à Washington, précisant qu’aucun soldat américain ne foulera le sol de l’enclave.
Enfin, l’on ajoute que les opérations seront conduites avec des «alliés» au sol, les instances onusiennes et des ONG humanitaires sur place. Aucune mention n’est faite de l’implication des autorités israéliennes dans les projections, même si l’on fait noter qu’elles seront informées.
L’île de Chypre, territoire le plus proche de la côte de Ghaza sur la Méditerranée orientale (moins de 400 km), devra servir de port de départ pour les cargaisons projetées.
En visite sur l'île hier, la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, un des plus farouches soutiens de l’offensive israélienne il y a quelques mois, a laissé entendre que le début de concrétisation d’un couloir humanitaire via la mer vers Ghaza pouvait avoir lieu en début de semaine.
Les autorités chypriotes, soutenues par leurs partenaires dans le cadre de l’UE, planchent activement sur un plan logistique pour encadrer les opérations, annonce-t-on encore. Manifestement, la nouvelle démarche d’intervention des Américains ne s’est pas conçue sans l’association de ses alliés occidentaux en Europe.
Dans son discours jeudi dernier au Capitole, Joe Biden semblait découvrir un aspect des abjections israéliennes à Ghaza sur lesquelles son administration a pourtant fermé les yeux durant cinq longs mois. «L’aide humanitaire ne saurait être une question secondaire, ni servir de monnaie d’échange», a-t-il ainsi objecté, reconnaissant de fait que c’est ce à quoi s’est employé Benyamin Netanyahu dans l’enclave palestinienne depuis le début du conflit.
Soumis à une vague de critiques, y compris dans ce camp démocrate sur qui il compte pour présider encore les Etats-Unis durant les cinq années à venir, l’actuel locataire de la Maison-Blanche prend de plus en plus ses distances avec les choix guerriers de Tel-Aviv, quitte à compter sur l’effet d’annonce pour le signifier.
La «jetée provisoire» qu’il annonce mettre en service sur la façade méditerranéenne du territoire dévasté de Ghaza, exige plusieurs semaines de déploiement logistique pour pouvoir satisfaire aux volumes des acheminements programmés. Elle ne pourra pas grand-chose d’ici là pour les centaines de milliers de damnés palestiniens confrontés depuis des mois à l’aggravation de la famine.
Netanyahu, un allié (désormais) compromettant
Le président américain apprend également à énoncer le concept de «cessez-le-feu», après l’avoir banni du lexique de sa diplomatie et l’avoir combattu à coups de veto répétitifs au Conseil de sécurité de l’ONU, quand des projets de résolution l’avaient porté au verdict de l’institution.
Il y a une semaine, les représentants de Washington à l’ONU, après s’être opposés récemment à des projets de résolutions présentés par la diplomatie algérienne notamment, ont annoncé déposer leur propre projet demandant cette fois «un cessez-le-feu temporaire» de six semaines, truffé cependant de condamnations du Hamas.
Parallèlement, et dans une démarche inédite, l’administration américaine, sans remettre en question le paradigme de son soutien à l’Etat hébreu, fait la démonstration de sa défiance à l’égard de Benyamin Netanyahu ; l’accueil réservé la semaine dernière à Benny Gantz, membre du Cabinet de guerre restreint à Tel-Aviv, lors d’une visite à Washington qui n’a pas eu l’aval hiérarchique du Premier ministre, et la densité des entretiens politiques auxquels il a eu droit, révèlent une volonté chez le staff Biden, non seulement de ne plus endosser le sans-issue imposé par Netanyahu, mais aussi de promouvoir un successeur à ce dernier.
Il apparaît donc que la Maison-Blanche, développant un agenda défini en fonction de ses échéances internes et par la crainte permanente d’abcès de fixation sécuritaires au Moyen-Orient, sur fond de hantise plus stratégique de débordement en conflit régional, se laisse de moins en moins lester par les blocages du gouvernement israéliens et ses plans radicaux d’inspiration fasciste et messianique.
Mercredi dernier, un nouvel élément d’escalade est venu donner de la substance aux appréhensions quant au potentiel explosif de la situation : pour la première fois depuis que les navires marchands en traversée sur la mer Rouge et au Golfe d’Aden sont ciblés par les Houthis, trois membres d’équipage du cargo True Confidence ont été tués et trois autres grièvement blessés, lors d’une attaque revendiquée par le mouvement yéménite.
Les frappes aériennes engagées en riposte par l’armée américaine et ses alliés n’arrivent toujours pas à réduire les capacités militaires du mouvement, du moins son arsenal mobilisé pour maintenir la pression sur ces itinéraires névralgiques de la marine marchande. Le sujet reste un sérieux casse-tête pour la Maison- Blanche et son staff en fin de mandat.
Un expert de l’ONU dénonce le «cynisme» américain
Michael Fakhri, expert à l’ONU et rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, trouve «cynique» la proposition de Joe Biden de construire une jetée maritime sur la côte de Ghaza pour recevoir des aides alimentaires aux populations par voie maritime.
Lors d’une conférence de presse tenue hier à Genève, l’expert a souligné, selon l’AFP, que «personne n’a demandé la construction d’une jetée maritime, ni le peuple palestinien ni la communauté humanitaire». Le même expert rappelle que les Etats-Unis continuent à fournir des armes, des munitions et un soutien financier à Israël dans sa guerre contre Ghaza.
M. Fakhri, qui précise qu’il s’exprime à l’occasion en sa qualité d’expert mandaté par le Conseil des droits de l’homme, et pas au nom de l’ONU, estime que la proposition de Biden s’adresse surtout à l’opinion américaine à la veille de l'élection présidentielle cruciales, de même qu’elle vise à atténuer la contestation grandissante du soutien inconditionnel de Washington à Israël.
Sur le même ton offensif, il a accusé le gouvernement israélien d’avoir «intentionnellement» affamé les populations à Ghaza, ajoutant qu’aujourd’hui la famine tant redoutée se manifeste dans les territoires dévastés et que des enfants notamment y meurent de plus en plus de malnutrition. Mourad S.