Un plan d’investissement d’envergure en préparation : Le troisième armateur mondial bientôt à Alger

12/04/2025 mis à jour: 18:44
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Rodolphe Saadé

La mer, le grand rassembleur, est le seul espoir de l’homme.» Rodolphe Saadé, «triton» de la marine marchande mondiale sait que commandant Cousteau disait vrai. La visite que s’apprête, avons-nous appris de sources proches du Groupe public de services portuaires (Serport), à effectuer, en Algérie, le PDG de CMA CGM, numéro trois mondial du transport et de la logistique maritimes revêt un caractère hautement stratégique à forte portée économique et politique, aussi bien pour notre pays que pour la France, dans la mesure où elle intervient dans un contexte de réchauffement des relations entre Alger et Paris après des mois de brouille. 

En effet, accompagné de son conseiller diplomatique Patrice Bergamini, ex-chef du Centre de situation et du renseignement de l’Union européenne (SitCen) et ex-ambassadeur de l’Union européenne (UE) en Tunisie, le milliardaire franco-libanais, à la tête du conglomérat CMA CGM, sera reçu à El Mouradia par le chef de l’Etat, Abdelmadjid Tebboune, précisent nos sources. A l’agenda de M. Saadé, plusieurs réunions de haut niveau avec des autorités et des rencontres d’envergure avec des responsables de grandes entreprises. L’objet de ce voyage d’affaires, le second après celui d’août 2022, lorsque l’état-major du Groupe avait accompagné, dans le cadre de sa visite officielle en Algérie, le président Emmanuel Macron, dont il est particulièrement proche, étant, cette fois-ci, la négociation d’un plan d’investissements majeurs : «Rodolphe Saadé, patron de CMA CGM, est effectivement attendu dans les prochaines semaines à Alger. Hautement stratégique, sa visite sera consacrée à des investissements de CMA CGM en Algérie, dont les détails n’ont pas filtré. 

Selon mes informations, il sera d’ailleurs reçu par le président Tebboune», nous confirmera Jihâd Gillon, célèbre journaliste d’investigations franco-syrien à Africa Intelligence. «Dans ses échanges avec la présidence algérienne, le patron franco-libanais s’appuie en particulier sur l’homme d’affaires Mehdi Ghezzar qui entretient une forte proximité avec Abdelmadjid Tebboune et ses conseillers, Kamel Sidi Saïd et Boualem Boualem», écrit ce spécialiste du monde arabe, l’Afrique du Nord, en particulier.

L’implication par l’hôte de l’Algérie dans ses échanges avec El Mouradia de l’entrepreneur franco-algérien ne serait pas fortuite. A en croire le même journaliste, l’intervention de M. Ghezzar auprès des plus hautes autorités avait permis au mastodonte CMA-CGM de rapatrier, durant l’été 2024, d’une partie des bénéfices de CMA CGM réalisés en Algérie et qui faisaient l’objet d’une rétention au niveau de la Banque centrale d’Algérie depuis plusieurs années. 

POIDS DE L’ALGÉRIE, ATOUT MAJEUR 

Conscient de la position de l’Algérie comme carrefour des échanges entre l’Europe, l’Afrique et le Bassin méditerranéen, et sans doute stimulé par l’amélioration significative du climat des affaires et la toute fraîche entrée en vigueur, sous impulsion présidentielle, de mesures destinées à la facilitation de la transition des infrastructures portuaires vers un système de travail en continu (24/24h) et la série d’actions, en perspective, pour une productivité et une qualité de service optimales, telles que la création de zones de dégagement visant à améliorer la performance et à réduire les délais de traitement des navires dans les ports à activité économique notamment ceux de Djendjen, Alger, Béjaïa, Annaba, Oran et Mostaganem, CMA CGM laisse transparaître le besoin d’intensifier davantage sa présence, vieille de près de trois décennies, sur le marché national. 

Fort d’une dizaine de bureaux : Alger, Annaba, Skikda, Béjaia, Jijel, Sétif, Mostaganem, Oran et Ghazaouet, d’un réseau de plus d’une centaine d’experts, d’une solide plateforme de services maritimes escalant dans les principaux ports ainsi que de 9 lignes maritimes directes et régulières reliant l’Algérie à tous les ports dans le monde, la Compagnie semble, et tout porte à le croire, être à la recherche de nouveaux débouchés locaux. Sur les rangs, pour de forts ambitieux projets de partenariats et d’affaires en Algérie, notamment dans la logistique, M Saadé, génie incontestable des solutions maritimes, terrestres et aériennes, est également attendu Madar Holding, feront savoir nos sources. 

D’autant que, après le textile, l’agro-industrie, l’agriculture et le sport, le groupe public s’est tourné vers le transport maritime avec l’ambition de contribuer, tout en cultivant sa propre identité, activement au renforcement du pavillon national et au dynamisme du secteur. 

MADAR MARTIME COMPANY EN NAGE DOUCE 

Emergera, à cette fin, Madar Maritime Company (MMC). Ce nouvel acteur sur la scène maritime nationale et internationale s’est doté d’une flotte déjà opérationnelle : un porte-conteneurs d’une capacité de 1000 conteneurs pour des liaisons régionales et internationales, quatre vraquiers dédiés au transport de produits en vrac et deux car-ferries appelés à se mettre en service dès mai 2025, connectant des ports clés en Méditerranée et facilitant les échanges humains et touristiques : «A Madar Maritime Company, qui est fondée sur des valeurs d’innovation, de collaboration et de responsabilité patriotique, nous considérons des groupes de l’envergure de CMA-CGM, MAERSK, MSC ou COSCO comme des références incontournables du secteur. Plutôt que de nous mesurer à ces géants, nous aspirons à compléter leurs réseaux grâce à notre agilité et à notre ancrage régional. Nous initions dès à présent des discussions pour des partenariats techniques et logistiques, convaincus que la mutualisation des expertises profitera à l’ensemble de la chaîne maritime. Nous favorisons la coopération à la concurrence», a déclaré à notre rédaction Amara Charaf-Eddine, PDG de Madar Holding. Egalement président de l’Union nationale des entrepreneurs publics (UNEP), notre interlocuteur, pour qui le secteur maritime est en mesure de jouer un rôle-clé pour faire de l’ambition présidentielle de hisser l’Algérie au rang de «principale puissance économique régionale d’ici 2030, avec un PIB de 600 milliards de dollars et des exportations hors hydrocarbures de 30 milliards de dollars» une réalité, estime que «le transport maritime est un écosystème où la collaboration prime. Face à des acteurs mondialisés, comme CMA CGM ou MAERSK, MMC apporte une réponse agile, centrée sur des niches de valeur et des synergies gagnantes. Notre ambition ?

 Devenir un partenaire de confiance pour les armateurs historiques, tout en servant les priorités de notre nation». M. Charaf-Eddine au long et riche parcours professionnel dans les domaines de l’industrie, des services et de la finance servie par des diplômes en droit international et des affaires  de la Sorbonne, d’HEC (Lille) et de l’ISGA-EAMS (Espagne) a tenu à souligner : «MMC est une entreprise commerciale dont la mission centrale est la création de valeur durable à travers de solides performances financières.

Toutefois, notre ADN est indissociable de l’intérêt national : avec un capital social 100% public, chaque décision intègre les enjeux économiques et stratégiques de notre pays. Nous œuvrons pour un équilibre entre rentabilité et contribution au développement des infrastructures portuaires, de l’emploi local et de la souveraineté maritime». 

IVRESSE AU BUREAU OVAL 

Cette souveraineté maritime, fragilisée par le diktat instauré par une poignée d’armateurs européens sur les marchés de nombre de pays, développés ou moins développés, soient-ils. 

En témoignent le vent d’euphorie qui a soufflé sur le bureau ovale et la jubilation qui s’est emparée de son occupant, le président Donald Trump, après l’annonce par la CMA CGM d’un plan d’investissement de 20 milliards de dollars. C’était lors de la visite, début mars passé, aux Etats-Unis, du patron du groupe français. Etalés sur 4 ans, ces investissements qui vont du développement de ports à conteneurs, de nouveaux bateaux sous pavillon américain à la R&D avec la tech américaine sont appelés à s’amplifier pour toucher la construction navale de porte-conteneurs et le fret aérien. Ainsi, après les Etats-Unis, CMA CGM qui doit en grande partie sa puissance d’aujourd’hui - de la 33e à la 3e place mondiale dans le trafic conteneurisé - à l’alliance de l’armement public français CGM au conglomérat de Jacques Saadé, magnat du trafic conteneurisé et de la logistique, a décidé de mettre le cap sur l’Algérie. La question que nombres d’observateurs avertis se posent : à El Mouradia parviendra-t-on à obtenir de l’héritier de Jacques Saadé des engagements d’investissements aussi fermes que ceux ayant fait vibrer la Maison Blanche ? D’autant le géant tricolore s’est offert, en 2024, un bénéfice net de plus de 5,7 milliards de dollars pour un chiffre d’affaires de 55,5 milliards, et ce, grâce au dynamisme du commerce mondial et à la révision à la hausse, sans précédent, des tarifs de fret qui ont fini par mettre à quai plusieurs pavillons à travers le monde, du fait des perturbations en mer Rouge. 

L’armateur franco-libanais, dont la flotte actuelle est «armée» de plus de 650 navires et employant au total 160 000 personnes dans 160 pays, s’est toujours taillé la part du lion sur notre marché, toujours livré à l’armement étranger à concurrence de 98% et qui pèse plus du tiers, soit pas moins d’une dizaine de milliards de dollars, de la valeur globale des biens importés. 

Aussi, faut-il le rappeler, à l’échelle maghrébine, l’Algérie demeure le premier partenaire commercial du port de Marseille, ville abritant le siège principal de CMA CGM. La Tunisie à la 12e place et le Maroc en 25e position, pays où le «Commodore» Saadé projette de mobiliser 280 millions de dollars d’investissements pour opérer, en coentreprise, le terminal à conteneurs du port de Nador.  Naïma Benouaret 
 

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