Un nouveau système financier international inclusif du Sud Global gage d’une prospérité économique partagée

30/07/2024 mis à jour: 15:19
1789

Un nouveau Système financier international (SFI) inclusif et équitable doit être construit pour refléter les réalités d’aujourd’hui et favoriser un partage de la croissance économique. 

L’ordre international financier et économique actuel en place depuis 1944, qui a soutenu une certaine stabilité mondiale, est en train de s’essouffler sous le poids de nombreuses contraintes. 

Citons ainsi : (1) la détérioration des conditions macroéconomiques (chocs externes répétitifs depuis les années 1970 à nos jours) et des politiques publiques inadéquates des pays avancés face aux chocs (politiques industrielles favorisant un processus de fractionnement géoéconomique) ; (2) la montée des tensions géostratégiques entre la Chine et les Etats-Unis) ; (3) les guerres en Ukraine et en Palestine ; (4) l’exclusion du Sud Global de la gouvernance mondiale ; (5) l’instrumentalisation de la position de domination du Nord Global (rounds interminables de sanctions internationales, imposées par les Etats-Unis et l’Europe Occidentale à la Russie et aux entités et pays la soutenant, paralysie de l’Organisation mondiale du commerce du fait du blocage des Etats-Unis et fragmentation des flux de capitaux) ; et (6) l’obsolescence des institutions de Bretton Woods (FMI et Banque mondiale).

 Un tel contexte d’essoufflement n’est favorable ni au redémarrage d’une économie mondiale en phase de ralentissement durable (comme jamais auparavant au cours des trois dernières décennies) ni à la résolution des problèmes aigus du Sud Global confronté au poids de l’endettement ($29,000 milliards, montant aggrave par les chocs externes récents) et à des besoins financiers considérables pour faire face aux défis de l’heure ($1320 milliards pour couvrir les besoins en balance des paiements, du service de la dette et l’accélération de la croissance). Les contours d’un nouveau monde économique et financier inclusif restent encore à définir par la communauté internationale. Ils impliquent une coopération internationale qui doit s’appuyer sur un équilibre stable des pouvoirs ainsi qu’un accord de base entre les nations (puissances établies et émergentes) sur des principes fondamentaux, des normes et des règles de conduite. Un processus de longue haleine et un combat à mener. Discutons de ces questions. 

Le SFI actuel est en pleine reconfiguration dans un contexte de recherche du partage de la gouvernance mondiale de la part du Sud Global. Le SFI a une forte influence sur la manière dont les Etats, les entreprises et les particuliers accèdent au capital, affectant ainsi leur croissance économique, leur prospérité et leur rang politique. Il est également essentiel au commerce international et permet à un plus grand nombre de personnes de participer à la création de la richesse mondiale. C’est donc un enjeu considérable qui appelle à un partage de la gouvernance mondiale au vu des changements structurels dans l’économie et la finance mondiale. 


La montée du Sud Global au cours des deux dernières décennies est en train de redessiner une nouvelle géographie économique et financière mondiale. Citons : (1) la croissance rapide de la Chine qui joue désormais un rôle prédominant dans la production économique mondiale ; et (2) la montée de nombreuses autres économies de marché émergentes dont la contribution à la production mondiale des dix plus grandes est passée de 12% en 1990 à 30% en 2024. Cette nouvelle géographie économique mondiale a favorisé :

 (1) une diversification des centres financiers avec l’émergence notamment de ceux de Singapour, Hong Kong, Shanghai, Pékin et Dubaï, qui activent aux côtés des centres financiers occidentaux traditionnels comme New York et Londres ; (2) le développement des marchés de capitaux qui permet à ces pays émergents de premier plan de réduire ainsi leur dépendance vis-à-vis des centres financiers étrangers du Nord Global ; et (3) un renforcement de la résilience des marchés de ces pays face à la volatilité financière mondiale et aux krachs. 


La multiplication des réseaux de paiement nationaux à l’échelle mondiale protège le Sud Global contre l’instrumentalisation politique et favorise son inclusion financière. (1) La Russie : a développé : (i) le STFS (System of Transfer of Financial Messages) en 2014 en remplacement du SWIFT suite aux sanctions économiques et financières imposées par l’Occident après l’annexation de la Crimée ; et (ii) le MIR (Système de paiement par carte russe pour les transferts électroniques de fonds) en 2017. Les deux systèmes ont permis d’atténuer ainsi l’impact des sanctions de 2014 et 2022 ; (2) La Chine : a lancé : (i) le CIPS (Cross Border Interpayment System) en 2015 afin d’accroitre les paiements et les échanges transfrontaliers en yuan. 

Le CIPS est désormais utilisé par 84 banques (23 russes, 30 japonaises et 31 africaines) ; (ii) Union Pay un système de cartes de crédit concurrençant VISA et Master Card couvrant désormais 183 pays ; et (iii) Alipay, un autre service de paiement numérique accepté par 80 millions de commerçants dans le monde (100 millions pour Visa); et (3) L’Inde : a lancé : (i)  UPI (Unified Payments Interface) en 2016 qui traite aujourd’hui $1700 milliards de transactions a titre de paiements et de distribution de l’aide sociale ; et (ii) MOSIP (Modular Open Source Identity Platform), une plate-forme d’identité numérique indienne, d’envergure mondiale en remplacement du SWIFT. Le développement de nouvelles infrastructures financières a ainsi insufflé de la concurrence dans les paiements internationaux. Toutefois, cette concurrence pose les problèmes de la coordination des normes et de la gestion des systèmes.

La construction d’une nouvelle architecture financière internationale est complexe et prendra du temps. 
La phase de transition actuelle dans la construction d’une nouvelle architecture financière mondiale pose des risques. Si la diversification de cette dernière est la bienvenue dans la mesure où elle reflète des rapports de force économiques nouveaux, ouvre la voie à une coopération internationale et maintient une proximité entre rivaux, son caractère transitoire pose des défis importants, en raison : (1) de la fragmentation géopolitique actuelle qui peut donner lieu à des changements soudains et imprévisibles sur le plan financier international et perturber la vie économique et les échanges commerciaux ; (2) du recours continu du Nord Global aux sanctions financières ; et (3) de la montée du protectionnisme économique et des nationalismes belliqueux qui exacerbent le réalignement géopolitique des flux de capitaux, élargit les fractures du SFI et ralentit la vie économique internationale.
Le dollar continue de dominer : En 2018, face aux sanctions américaines contre l’Iran, l’Europe a tenté de réduire la domination du dollar avec INSTEX, un système de troc, mais ce projet a échoué, illustrant la difficulté de rivaliser avec le dollar comme monnaie de paiement internationale et la prééminence du système SWIFT. Le monde a des raisons de vouloir des alternatives au dollar, notamment l’incertitude politique américaine et l’instrumentalisation de ce dernier. 

Cependant, aucune monnaie n’a réussi à supplanter le dollar. De plus, et paradoxalement, malgré les incitations à contourner le dollar, sa dominance s’est renforcée en 2024, avec un poids de 85-90% pour les transactions de devises et 47% pour les paiements transfrontaliers via SWIFT. D’autres devises, comme l’euro et le yen, ont vu leur part diminuer face à l’ascension d’autres monnaies. En 2023, l’euro représentait 20% des réserves mondiales, contre 58% pour le dollar. Les crypto-monnaies et monnaies numériques n’ont pas encore prouvé leur efficacité. Le yuan chinois a connu une croissance limitée en tant que monnaie internationale, entravée par les contrôles des capitaux. Bien que des alternatives au dollar existent, la domination du billet vert demeure en raison de sa liquidité, de sa sécurité, de son rôle central dans le commerce mondial et du backing du système financier le plus sophistiqué au monde. La prédominance du dollar pourrait persister à moins d’une crise majeure qui accélérerait les transformations du système financier mondial.

L’internationalisation du yuan (monnaie du plus grand rival des Etats-Unis) est en phase de ralentissement. Le yuan est désormais la quatrième devise la plus active dans les paiements mondiaux et la troisième dans le financement du commerce. Environ la moitié des transactions de la Chine avec le reste du monde est désormais réglée en yuan. Cependant, la position mondiale du yuan reste modeste et le bloc yuan attendu du fait des liens commerciaux étroits et denses entre la Chine et pays de l’Asie de l’Est ne s’est pas matérialisé.  Depuis 2014, le yuan a perdu plus de 16% de sa valeur du fait de :

 (1) sa dévaluation (mal gérée) en 2015 qui a entraîné des sorties massives de capitaux ; et (2) la restauration des contrôles de capitaux après cet épisode ; (3) la fermeture de l’économie chinoise pendant la pandémie ; et (4) les énormes contraintes structurelles qui la ralentissent depuis. Tous ces facteurs ont affaibli le yuan comme ancrage bien qu’il ait été inclus dans le panier de monnaies de réserve utilisables du FMI en 2016. La part du yuan dans les réserves mondiales n’était selon le FMI que de 2,3% à la fin de 2023. En raison de cette baisse, le yuan est retombé derrière le dollar canadien et se classe désormais sixième. Pour atteindre le rôle mondial attendu du yuan, il devrait d’abord dépasser le dollar canadien.

Les institutions de Bretton Woods créées à l’origine pour servir le Nord Global ne répondent plus aux besoins de la nouvelle géographie mondiale. Créés en juillet 1944, la Banque mondiale (BM) et le Fonds monétaire international (FMI) ont joué un rôle important dans l’architecture financière internationale de l’ère moderne. De ce fait, elles ont été constamment secouées par les forces transversales de la géopolitique, des objectifs de politique économique et des marchés financiers. Le mode de fonctionnement de ces institutions n’est pas satisfaisant. Un exemple de cette obsolescence est la règle selon laquelle la présidence de la Banque Mondiale est confiée à un citoyen américain alors que la direction générale du FMI revient impérativement à un européen.

 De façon globale, ces institutions sont affaiblies par : (1) leur conception originale : à savoir la poursuite d’objectifs à long terme pour le bénéfice d’actionnaires qui sont des gouvernements souverains motivés par des intérêts géopolitiques, ce qui conduit à des visions et des approches différentes, notamment depuis la montée de la Chine et d’autres pays émergents de premier plan en tant que puissances économiques de premier plan; et (2) leur mode de gouvernance : affaibli par un manque de responsabilité et une dérive de leur mission. La direction donne souvent la priorité aux principaux actionnaires et donateurs plutôt qu’aux besoins des clients en matière de financement, compromettant ainsi leurs missions principales. Le FMI, dont la mission principale est axée sur les questions de balance des paiements, a mis en place 13 facilités de prêt et couvre des domaines (cryptomonnaies et le changement climatique) aux antipodes de son mandat originel. De façon similaire, la Banque mondiale est confrontée à l’expansion de son mandat et à une inertie totale, en raison de son éloignement de sa mission de base qui est la réduction de la pauvreté. Il est temps de revoir toute cette architecture financière qui n’épouse plus les réalités actuelles. 

Pour un système financier international inclusif dans un contexte multipolaire. 
Le processus de redéfinition d’une nouvelle gouvernance financière internationale est long et politiquement difficile. Le défi qui se pose aujourd’hui est donc d’aligner les changements de l’économie mondiale avec la montée des pays du Sud et d’autres changements géopolitiques. Un projet ambitieux qui demandera du temps car une telle réforme exigera des compromis entre le Nord Global (qui détient actuellement tous les leviers de la gouvernance économique et ne souhaite pas les partager) et le Sud Global (qui souhaite participer activement à une gouvernance financière inclusive). 

Quelques grands axes de réforme de la gouvernance financière internationale (1) Une redéfinition du rôle des conseils d’administration des institutions financières internationales (IFI) pour se focaliser sur l’établissement de stratégies, le suivi de leurs mises en place et l’évaluation des performances institutionnelles ; (2) Une séparation des rôles de l’exécutif de l’institution et du président du conseil d’administration ; (3) Une définition claire des termes de référence et qualifications des membres du conseil d’administration qui seront appelés à faire plus que représenter les intérêts de leurs circonscriptions (pour assumer des stratégies sectorielles, nationales et financières et être capables d’assumer leurs responsabilités de surveillance et de demander des comptes à la direction) ; (4) Un élargissement des conseils d’administration des IFI à des administrateurs indépendants représentant la société civile, le secteur privé et des organisations régionales ; (5) Une sélection élargie et transparente des dirigeants des IFI (pour ne plus écarter les compétences du Sud Global) ; et (6) une dissociation formelle de l’accès d’un pays au financement du FMI sur la base de sa quote-part. 
 

Par Abderrahmi Bessaha

Expert international

 

Copyright 2024 . All Rights Reserved.