Bien des choses ont été dites sur la relation qu’entretiennent les Algériens avec le livre, et la lecture en général. Un sujet qui continue de susciter les débats. Durant des décennies, on s’est posé la question, devenue lancinante : «Les Algériens lisent-ils ?» Est-ce qu’ils le font souvent ou seulement durant le Salon international du livre d’Alger ? Le SILA est-il un baromètre pour mesurer l’importance et l’impact de cet intérêt ?
Ces dizaines de milliers de visiteurs, qui vont se rendre durant dix jours à ce grand événement, reflètent-ils vraiment un engouement pour le livre et la lecture, ou seulement une curiosité pour cette manifestation, qui demeure quand même un rendez-vous unique à l’échelle arabe et africaine ? Autant de questions auxquelles il est difficile de trouver des réponses, en l’absence d’études et de statistiques sérieuses. En fait, combien de temps le citoyen consacre-t-il à cette passion qui se perd, à l’école, mais aussi à la maison et dans les lieux publics ?
Il est connu, historiquement, que les Algériens lisaient beaucoup plus durant la belle époque des années 1970-1980, où le livre, mais aussi les revues, les magazines et même les journaux étaient subventionnés par l’Etat, au même titre que les produits alimentaires de base. La lecture était vécue comme une demande à satisfaire. Ce qui ne l’est plus aujourd’hui. Les bibliothèques, qui enregistrent les plus faibles taux de fréquentation, sont des lieux étrangers pour la nouvelle génération.
La même topographie prévaut également pour les nombreuses librairies qui ont fermé, parce qu’elles ne peuvent plus tenir le coup. A Alger, comme dans les grandes villes, les seules qui restent luttent pour leur survie, comme dans une forêt. Dans les petites villes du pays profond, où la réalité est aussi dure que le pensent certains, cette histoire de librairies et de bibliothèques fait partie, désormais, de la science-fiction.
La guerre contre les fast-foods, qui pullulent à la vitesse de la lumière, est menée à armes inégales. La loi de la bouffe a été finalement la plus forte. Un ventre plein passe avant tout. Que dire alors de ces auteurs, qui se démènent comme des diables pour faire publier leurs livres, qui naissent au forceps, si ce n’est pas par césarienne.
Des écrivains à la recherche désespérément d’un éditeur qui accepterait de prendre en charge leurs œuvres. Ils seront contraints d’accomplir eux-mêmes cette mission, avant de trouver un imprimeur qu’ils devront payer de leur propre argent pour réaliser leur rêve. Un autre parcours les attendra pour faire la promotion de leurs livres, assurer leur diffusion au point d’aller les vendre personnellement aux lecteurs, et à quel prix.
Mais en fait, quelle relation y a-t-il entre le livre et le tacos pour en faire le titre d’un commentaire ? Le lien se résume dans la petite histoire d’un confrère journaliste, écrivain et critique de cinéma qui, lors d’un déplacement dans une ville de l’intérieur, a jugé bon d’emporter des exemplaires de son livre paru récemment. Une occasion pour une vente-dédicace et une rencontre avec les lecteurs.
Quand une jeune femme lui demande le prix du livre, il répond : «C’est juste 1000 DA.» Devant le silence de la jeune femme, qui a, semble-t-il, trouvé le livre un peu cher, l’écrivain lui ajoute : «C’est quoi 1000 DA, c’est le prix d’un tacos.» Alors un livre ou un tacos ?