Dans la grange du fermier ukrainien Oleksandre Ryabinine, un camion déverse un nouveau chargement sur un tas déjà imposant de graines de tournesol, qui craquent sous le pied en dégageant une odeur de noisette. C’est l’heure de la récolte et la ferme a déjà ramassé près de la moitié de sa production, qu’elle est censée écouler ensuite auprès de négociants pour l’exporter. Mais pour l’instant, le responsable agricole de 52 ans n’a «pas vendu un seul kilo de graines de tournesol».
Ces graines et l’huile qui en est issue, utilisée dans la cuisine, sont des produits d’exportation majeurs pour l’Ukraine, qui était à l’origine de 31% de la récolte mondiale en 2020/2021. Mais la guerre a fait de la vente de la production agricole ukrainienne, cruciale pour la sécurité alimentaire mondiale, un casse-tête logistique. Comme pour le maïs ou le blé, l’exportation des graines de tournesol a été mise en péril par la fermeture des voies en mer Noire et les attaques russes sur les ports maritimes et du Danube.
«Les gens ont peur de transporter de l’huile (de tournesol). Les navires ne viennent pas chercher l’huile parce que (les Russes) bombardent les ports, personne ne veut prendre le risque», explique à l’AFP Oleksandre Ryabinine. Le fermier, dont les champs sont situés au sud-est des régions de Dnipropetrovsk et Kherson, affirme que le manque de demande conduit les négociants à baisser les prix. «Pour l’instant, vendre n’a pas de sens», assure-t-il. «Nous allons attendre que les prix montent, qu’un corridor céréalier s’ouvre pour les exportations, Moscou ayant claqué la porte du précédent en juillet.»
Granges pleines
Les champs de tournesols couvrent une grande partie de l’Ukraine. L’été, leurs fleurs dorées, en contraste avec le ciel bleu, rappelle les couleurs du drapeau national. Mais pour la récolte, il faut attendre que les beaux pétales tombent et que le cœur donne accès aux graines mûries par le soleil. Sous la chaleur, des moissonneuses-batteuses sillonnent le champ d’Oleksandre Ryabinine, coupant les têtes de semis pour en récupérer les graines avant de les transporter dans des camions.
Le fermier pense que la récolte sera terminée d’ici dix jours. Les graines, qui sont enveloppées par une pellicule noire protectrice, peuvent être conservées jusqu’à un an avant de commencer à s’acidifier, précise-t-il. En ce moment, ses granges sont également pleines de blé. Il ne vend que son colza.
Employé tué
Dans l’exploitation d’Oleksandre Ryabinine, il est impossible d’oublier la guerre. Les parois métalliques de la grange où sont entreposées les récoltes sont percées de petits trous dus à des éclats d’obus, et un mur de béton à l’extérieur est marqué par les impacts d’une bombe à fragmentation. Un employé de la ferme a été tué à cet endroit alors qu’il tentait de se mettre à l’abri, touché par un éclat en plein cœur.
Il avait 26 ans et venait d’avoir un enfant, selon son patron.
Oleksandre Ryabinine, fermier depuis trente ans, estime qu’il s’en sortait bien avant la guerre. Avec d’autres exploitants, ils investissaient dans de nouveaux équipements. Mais l’occupation russe d’une partie de la région de Kherson a rendu impossible la culture de 40% de ses 10 000 hectares de terre l’an dernier.
Quand les Russes ont été délogés, les fermiers ont passé l’hiver à nettoyer les mauvaises herbes, et à demander à des équipes spécialisées de déminer les champs. L’armée de Moscou se trouve désormais sur l’autre rive du fleuve Dniepr et la situation est plus calme. Cet été, toute la terre de la ferme a pu être cultivée. «On a une production, mais on ne peut simplement pas la vendre», résume le fermier.