Soixante années après l’indépendance, l’Algérie se cherche encore un modèle agricole qui soit adapté à la nature de ses ressources et aux besoins de consommation de sa population.
Si le politique peine à trouver les réponses adéquates à la question de la sécurité alimentaire, le scientifique pèche également par le manque de propositions et de solutions pour sortir enfin des solutions bricolées et à l’emporte- pièce.
Des chercheurs universitaires, économistes et responsables d’institutions publiques ont posé le débat hier à l’Ecole nationale d’administration sur invitation du Centre de recherche en économie appliquée pour le développement (Cread) autour de la grande question de la sécurité alimentaire et la recherche. Une réponse unanime a fusé des intervenants pour dire qu’il y a un manque abyssal de travaux de recherche sur cette question de l’alimentation et des thématiques agricoles plus précise de manière générale. «La matière grise est rare en Algérie… Le nombre de chercheurs est parmi les plus faibles au monde.
Il est urgent de mobiliser la matière qui existe de façon plus efficace», souligne Slimane Bedrani, chercheur et professeur d’économie, qui plaide pour des travaux de recherche de terrain qui vont au cœur des besoins de tous les acteurs à toutes les échelles. Le spécialiste des questions agricoles regrette également la faiblesse des budgets alloués à la recherche. «J’ai eu toutes les peines du monde pour aller chez les agriculteurs, afin de mesurer le niveau de consommation de l’eau, à cause du manque de moyens et d’instruments de mesure» dit-il, en citant un parmi tant d’exemples de frein à la recherche scientifique.
«Comment voulez-vous développer un modèle d’agriculture saharienne, si vous ne savez pas quel est le niveau de consommation de l’eau des différentes cultures… La politique hydraulique en cours est ‘pifometrique’», regrette le scientifique.
Et à Samir Grimes de l’Ecole nationale des sciences de la mer (ENSMAAL) de déplorer l’absence de pôles d’excellence dans la recherche scientifique, notamment en matière de sécurité alimentaire marine. «Aucune équipe de recherche n’a encore travaillé sur cette question de sécurité alimentaire provenant des produits de la mer. Nous n’avons pas encore conscience de l’enjeu crucial d’une telle question. Il y a une proximité qui doit être créée entre les demandeurs de solutions ou concepteurs des politiques publiques et la recherche scientifique», estime le conférencier en regrettant que les projets de recherche engagés jusqu’à ce jour ne concernent que la ressource halieutique et non pas sur sa consommation. «Il y a très très peu de travaux dédiés aux acteurs, qu’il s’agisse des pêcheurs ou des transformateurs ou autres acteurs de la chaîne de valeur liés à ce domaine» souligne M. Grimes en déplorant qu’en 20 ans, il n’y a eu que 18 000 ingénieurs formés dans le domaine de la mer.
Le directeur de l’ENSA, école d’agronomie, estime pour sa part que la formation sur la sécurité alimentaire devrait être plus recadrée. «Il y a un besoin de revenir au système d’ingéniorat. Nous devons sortir du système d’assistanat consistant à toujours attendre des solutions venant d’ailleurs, que nos ingénieurs soient porteurs de solutions aux besoins socioéconomiques !» dit-il en notant également qu’il y a un besoin de lier ou créer des ponts entre les 70% de diplômés des sciences sociales avec les 35% des sciences exactes afin trouver les réponses à nos questions de développement dans tous les domaines.
«Le modèle INRA est dépassé»
Le directeur du centre de recherche Crestra estime pour sa part qu’il y a un besoin de valoriser déjà ce qui existe en termes de projets et de solutions qui sont proposés. L’économiste Omar Bessaoud, spécialiste des questions agricoles, a noté que sur le plan de la recherche, l’Algérie est parmi les derniers du classement mondial en termes de dotations budgétaires et en nombre d’agriculteurs, mais elle est parmi les premiers sur la question du genre, puisque le nombre d’ingénieurs femmes est important.
Toutefois, dit-il, l’Algérie n’a pas pris le temps de voir ce qui se fait ailleurs en termes de recherches. «Le modèle INRA est dépassé», indique le conférencier en plaidant pour la décolonisation du système de formation. «La colonisation a tout fait pour dévaloriser les savoirs et savoir-faire locaux, il y a eu un travail de destruction de la paysannerie en imposant un modèle technique à l’agriculture qui est porteur de beaucoup méfaits, dont la stérilisation des sols», condamne M. Bessaoud en rappelant que les agriculteurs algériens avaient mis en place des systèmes ingénieux d’agriculture diversifiée qui sont aujourd’hui portés par les défenseurs de l’agro-écologie. «Il ne faut pas oublier que l’agriculture est née en Méditerranée et que nous avons hérité d’un riche savoir-faire arabo-berbéro-andalous que nous nous devons de valoriser.
Il est impératif que la formation et la recherche se penchent sur ces anciennes pratiques savantes en faisant le lien avec l’agro-écologie moderne», plaide l’économiste. L’ancien ministre Sid Ahmed Ferroukhi a souligné pour sa part l’urgence d’arriver à un modèle de développement qui doit s’adapter aux conditions actuelles de changement climatique et c’est de la recherche, dit-il, que les réponses doivent venir.