Souvent jetées, les batteries pourraient avoir une nouvelle vie après usage. Faute de ressources énergétiques, en Europe, le lithium contenu dans les batteries pourrait être une source d’énergie intéressante.
Le lithium liquide bouillonne dans le mélangeur. Puis se décante et tombe, en pâte blanchâtre, au fond du tube de verre, auréolé d’une couche huileuse de couleur vert-océan: le nickel.
Dans ce labo, le groupe minier français Eramet prépare son virage vers les métaux critiques de la transition énergétique. Ici, au sud de Paris, on teste les étapes de séparation des métaux issus de batteries usagées de voitures électriques.
Objectif: les recycler et les réutiliser dans des batteries neuves. Avec l’espoir de supprimer d’ici 2050 les émissions de CO2 de nos véhicules actuels, biberonnés au pétrole.
Concassées, les anodes et les cathodes des batteries – de fines feuilles de cuivre et d’aluminium recouvertes de poudres métalliques – sont réduites en poudre noirâtre au nom légèrement angoissant : «black mass» (au double sens en anglais : «masse noire» et «messe noire»).
Ce sombre mélange de nickel, cobalt, manganèse et lithium réunit tous les métaux nécessaires pour collecter et conduire l’électricité à l’intérieur d’une batterie. Reste à les séparer par un procédé dit «liquide-liquide».
Au bout d’une longue ligne de filtrage, tamisage, purification, les bocaux de sulfate de nickel en granulés verts voisinent sur la paillasse du labo avec ceux de sulfate de cobalt (rouge cuivré) et de carbonate de lithium (blanc). Ils seront revendus. Prêts à refabriquer des batteries neuves au standard NMC (nickel-manganèse-cobalt), le plus répandu de l’industrie automobile.
Le recyclage comme solution
«A la différence du carburant brûlé par les moteurs thermiques, ces métaux sont recyclables à 95%», assure Frédéric Martin, directeur du projet Recyclage batteries chez Eramet ideas, dont le laboratoire est basé à Trappes.
A l’instar de l’Union européenne, qui a présenté jeudi sa stratégie pour atteindre une souveraineté sur ces matériaux stratégiques de la transition, on sait depuis longtemps chez Eramet que le recyclage de batteries usagées sera la «mine urbaine» des Européens, privés de plusieurs matières premières de base.
Le groupe exploite aussi au Gabon la plus grande mine de manganèse du monde, et produit du nickel en Nouvelle-Calédonie et en Indonésie. L’extraction de lithium dans des sources géothermales en Alsace est prévue d’ici la fin de la décennie, et en Argentine l’an prochain avec un partenaire chinois.
Les besoins sont tellement gigantesques pour assurer l’électrification du monde et abandonner les énergies fossiles, qu’il faudra «aussi bien relancer des mines pour extraire de nouveaux métaux que développer le recyclage, tout en continuant à importer en Europe», souligne Colin Mackey, représentant en Europe du géant minier Rio Tinto, lors d’un entretien téléphonique avec l’AFP.
Le groupe minier français Orano prévoit également l’ouverture d’un site pilote pour le recyclage des batteries automobiles à Bessines-sur-Gartempes dans le Limousin. Eramet prévoit son usine de recyclage des batteries en 2027 dans le Nord, en partenariat avec Suez, chargé des opérations amont de broyage, déchiquetage des cellules de batteries et séparation du plastique, du cuivre et de l’aluminium.
En septembre, il va lancer une première usine pilote à Trappes à côté de ses laboratoires pour tester grandeur nature les procédés hydro-métallurgiques mis au point par ses ingénieurs pour retraiter la «black mass». Jusqu’à présent aucune usine ne traitait la black mass en Europe.
Elle devait être exportée à l’étranger pour être retraitée. «Une fois qu’on aura amené les métaux en Europe, ce serait idiot de les renvoyer pour aller fabriquer à l’étranger de nouvelles batteries», souligne Julien Masson, directeur de la stratégie chez Eramet.
Le parc automobile électrique français est encore trop jeune pour recycler ses batteries. «Il faut compter 12 à 15 ans d’âge», selon Sophie Lebouil, cheffe de projet chez Eramet, pour qui tous ces métaux réutilisés sont le «futur pétrole» du XXIe siècle.
Dans un premier temps, l’entreprise mise surtout sur le recyclage des rebuts de fabrication des trois usines de batteries prévues en France, dont la première doit ouvrir fin mai à Douvrin-Billy Berclau (Hauts-de-France) pour le constructeur automobile Stellantis.
L’objectif final d’Eramet est de traiter 50 000 tonnes de modules de batteries par an, soit environ 25 000 tonnes de black mass, ce qui permettra d’alimenter environ 10% du marché européen des batteries électriques automobiles, selon les calculs du groupe.