Tensions entre le ministère libyen de l’Intérieur et le conseil municipal de Zouara : Fermeture depuis six jours du poste frontalier de Ras Jedir

25/03/2024 mis à jour: 01:23
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Dbeiba et son gouvernement font encore face dans l’Ouest libyen à une forte défiance des milices

Tensions autour du contrôle du passage frontalier de Ras Jedir entre les sécuritaires relevant du conseil municipal de Zouara et ceux du ministère libyen de l’Intérieur. Fermeture du poste depuis le 18 mars et renvoi des passagers vers Dhehiba, 250 km plus loin sens Sud-Ouest l L’Etat libyen peine dans la lutte contre le trafic du carburant. 

 

Le gouvernement d’Union nationale n’arrive pas à rétablir l’autorité de l’Etat dans l’Ouest libyen, douze ans après la chute d’El Gueddafi. L’échec dans la lutte contre le trafic des carburants en est l’expression la plus frappante. Le ministère libyen de l’Intérieur a dû fermer le poste frontalier de Ras-Jedir entre la Tunisie et la Libye et retirer ses troupes de la localité parce qu’il n’arrive pas à imposer la loi interdisant le transit des carburants libyens en Tunisie. 

Laquelle décision va à l’encontre des usages des sécuritaires installés par le Conseil municipal de Zouara, en charge du poste frontalier depuis 2012, qui tolèrent un ou deux fûts de carburant par véhicule, contre le paiement d’un petit «bakchich», ne dépassant pas l’équivalent de cinq euros. 

Et comme le gouvernement Dbeiba a cherché ces derniers temps à imposer un soupçon d’autorité sur les frontières, il a dépêché, lundi dernier, l’unité d’application des lois, relevant du ministère libyen de l’Intérieur, au poste de Ras-Jedir, pour mettre fin à ce trafic. Mais les unités sécuritaires sur place ont refusé d’obtempérer poussant le ministère de l’Intérieur à retirer ses troupes. La situation était tendue et pouvait tourner au bain de sang. Le ministre de l’Intérieur du gouvernement d’Union nationale a dû d’ailleurs récompenser ses troupes d’élite avant-hier à Tripoli, par un grade supplémentaire pour la maîtrise des nerfs dont ils ont fait preuve en évitant la confrontation à Ras-Jedir. 

Ce qui est en train de se passer ces jours-ci à Ras-Jedir traduit, à une petite échelle, la situation dans tout l’Ouest libyen et le rapport entre les forces de l’Etat, représentées par l’unité d’exécution de la loi, relevant du ministère de l’Intérieur, et les forces de la révolution, incarnées par les sécuritaires désignés par le Conseil municipal de Zouara. «Il est clair que la phase de transition entre la révolution et l’Etat est encore en gestation dans l’Ouest libyen,  plus de douze ans après la chute d’El Gueddafi», explique à El Watan le juge Jamel Bennour, l’un des premiers présidents du Conseil local de Benghazi en 2011. 

 Les scènes observées à Ras-Jedir sont fréquentes dans plusieurs autres villes de l’Ouest libyen comme Gharyen, Zentane, Ezzaouia ou Misrata, tout comme à Tripoli. Dans toutes ces villes, le milicien révolutionnaire a plus de poids qu’un policier ou un soldat des unités régulières, ce qui n’est pas le cas en Cyrénaïque ou dans le Fezzan, où l’autoproclamée Armée nationale libyenne (ANL) de Khalifa Haftar est parvenue à regrouper sous son étendard les forces armées de tous bords. 

Par ailleurs, depuis 2016 et le processus des divers gouvernements d’Union nationale, il ne se passe pas d’année sans qu’il n’y ait des expressions de refus d’obtempérer des brigades de Zentane, Gharyen ou, encore, Zouara. Pourtant, ces diverses unités font officiellement partie des forces sécuritaires officielles. Pareils incidents renvoient sur le manque de cohésion des formations militaires de l’Ouest libyen. Et c’est pourquoi, l’intervention turque était déterminante en 2020 pour sauver la chute de Tripoli entre les mains de Khalifa Haftar. 
 

Interrogations  

Les incidents armés intermittents entre les factions alliées au gouvernement Dbeiba, dans l’Ouest libyen, posent une véritable question quant à l’obédience effective de ces troupes. En effet, que l’on parle des incidents sanglants de Mai 2023 à Ezzaouia, des combats meurtriers de fin Octobre 2023 à Gharyen, des combats répétitifs entre factions alliées à Tripoli ou des récentes tensions au poste frontalier de Ras-Jedir, tous ces faits n’ont fait que confirmer que chacune de ces forces dispose sous la main d’une partie des rentes de l’Etat libyen et qu’elle n’est pas prête à céder ses intérêts. 

«Le gouvernement Dbeiba est juste la façade qui cache en réalité le partage du gâteau de la rente libyenne entre les diverses milices intronisées en forces sécuritaires», assure à El Watan le politologue Ezzeddine Aguil. Tous les observateurs locaux et étrangers savent que les milices d’Ezzaouia contrôlent le trafic de l’essence de la raffinerie qui approvisionne Tripoli. Pas plus tard qu’en mai 2023, elles ont menacé d’assécher Tripoli en carburant si Dbeiba n’ordonne pas l’arrêt des tirs des drones turcs sur la ville.

 Le chef du gouvernement d’Union nationale n’avait de choix que de plier à leurs exigences. Scénario pareil lors des incidents de Gharyen fin Octobre 2023 lorsque le Conseil présidentiel et Dbeiba avaient menacé d’envahir la ville suite à l’appui des groupes armés locaux au retour dans la ville du terroriste «repenti» Adel Daâb. Les milices de la ville ont chassé la section locale de la brigade de renforcement de la stabilité et imposé leur loi à Dbeiba et son conseil présidentiel. 

Quant aux récents incidents sur les frontières tuniso-libyennes à Ras-Jedir, l’avocat tunisien Ali Abdelkebir rappelle que «ce n’est pas la 1re fois que Tripoli essaie de mettre la main sur ce passage frontalier et qu’il rencontre une opposition farouche de la part des citoyens de la région vivant de la contrebande».

Et au juge libyen Jamel Bennour de conclure : «En pareille situation, peut-on parler de neutralité de la baïonnette qui protège l’urne garante d’un processus électoral neutre et impartial», s’interroge-t-il, sceptique quant à l’issue des négociations en cours entre les factions libyennes en vue de tenir des élections.

Tunis
De notre correspondant  Mourad Sellami
 

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