La cheffe du gouvernement italien, qui vient de passer une sale semaine après le déferlement record de migrants sur l’île de Lampedusa, appelle la communauté internationale à mener «une guerre sans merci» contre les réseaux de passeurs.
La présidente du Conseil des ministres italien n’a pas laissé passer l’opportunité offerte par la tribune de l’Assemblée générale de l’ONU, pour poser la problématique migratoire comme une priorité internationale qui mérite l’attention et exige un traitement solidaire de la communauté internationale. Giorgia Meloni, qui vient de passer une sale semaine, après le déferlement record de migrants sur l’île de Lampedusa, estime que l’organisation onusienne, «qui affirme dans son document fondateur sa foi dans la dignité et la valeur des êtres humains», n’a pas le droit de «détourner les yeux de cette tragédie».
Elle revendique dans l’élan une mobilisation internationale pour mener «une guerre sans merci» contre les réseaux de passeurs. La lutte policière contre les réseaux de passeurs, priorité des Etats directement touchés par la tension migratoire, enregistre des résultats qui sont loin manifestement de contrecarrer le tentaculaire trafic. Les derniers rapports sur la situation donnent même à penser que l’activité, pourtant criminalisée dans les pays du pourtour méditerranéen, est en essor constant, tant et si bien qu’elle se permet de réaménager à la baisse ses «tarifs» de traversée, suscitant un accroissement substantiel de la «demande».
Des analystes affirment également que la politique offensive de la coalition d’extrême droite, au pouvoir en Italie depuis 2022, et le rôle qu’elle arrive à faire jouer depuis au gouvernement tunisien – qui a durci le discours et les mesures anti-migrants – a été contre-productive et a plutôt servi à convaincre les Subsahariens en transit dans le pays, de tenter quoi qu’il en coûte le départ ces derniers mois.
Une aubaine pour les passeurs qui redoublent d’audace et d’ingéniosité pour contourner les dispositifs de lutte mis en place par des Etats déjà en difficulté. Les moyens sans cesse renforcés par l’agence européenne des garde-côtes Frontex et ses bilans d’intervention en continuelle hausse en Méditerranée, la mobilisation des garde-côtes tunisiens et libyens, notamment après la pression exercée par le gouvernement Meloni n’arrivent toujours pas à faire infléchir la courbe ascendante du nombre d’arrivées sur les côtes italiennes.
Le no man’s land des réseaux sociaux
Autre signe de l’inefficacité de la politique de lutte menée contre le phénomène, la «santé» affichée par l’activité des passeurs sur les réseaux sociaux : Des «offres de services», de plus en plus élaborées et de plus en plus nombreuses circulent ouvertement, couvertes par les possibilités d’anonymat qu’offrent, Facebook, TikTok, Instagram…, ce qui montre bien que la partie s’annonce des plus difficiles à gagner, au moins à court terme.
Identifiés depuis plusieurs années comme un no man’s land livré au non- droit autant, sinon plus, que ne le sont les frontières physiques de plusieurs pays du Sahel en proie à des difficultés économiques, politiques et sécuritaires, les réseaux sociaux restent, en effet, les incubateurs parfaits pour le développement et la multiplication des réseaux de passeurs.
Au début du mois dernier, Rishi Sunak, le Premier ministre britannique, a annoncé un accord avec les dirigeants des plateformes Meta, TikTok et X (ex-Twitter), consistant à faciliter l’accès aux autorités sécuritaires à tout ce qui pouvait être liés au trafic de migrants.
En 2021, le Plan européen de lutte contre la migration irrégulière avait déjà identifié le «trafic digital» comme un défi aux instances sécuritaires, pour son rôle joué dans la mobilisation des candidats, le transfert d’argent, la proposition d’itinéraires de migration… L’année dernière, Europol a pu fermer près de 500 pages organisant et faisant la promotion de la migration clandestine. On est loin de tout cela du côté de la Méditerranée, notamment sur ce couloir de «Méditerranée centrale» où s’effectue l’essentiel des mouvements migratoires vers le Nord.
La leçon Lampedusa
L’on comprend donc aisément le désarroi de la Première ministre italienne et son souhait de voir les instances onusiennes s’impliquer davantage, en menant une «guerre» contre les passeurs. Après avoir bâti sa campagne sur les engagements à trouver des solutions à la crise migratoire, Giorgia Meloni doit composer avec de spectaculaires déconvenues.
Les anciens records d’arrivées de migrants sur l’île de Lampedusa ont été pulvérisés en 2 jours, il y a une semaine, dans un décor de débandade généralisée où l’on a vu des dizaines de rafiots accoster au port, pleins à craquer de migrants, pendant que sur d’autres embarcations, les autorités de l’île et le réseau humanitaire s’affairaient à en transférer d’autres, arrivés plus tôt vers des lieux
d’accueil et de tri.
Deux mois auparavant, pourtant le gouvernement italien avait pu amener l’UE à passer un accord avec le gouvernement tunisien, pays pourvoyeur des plus gros contingents de migrants, censé renforcer la lutte contre les réseaux de passeurs et densifier les contrôles policiers sur les voies maritimes usitées.
Deux mois auparavant également, Rome avait abrité une conférence internationale sur la migration et le développement qui a grosso modo misé sur la mobilisation de fonds pour «motiver» des programmes de lutte plus costauds dans les pays du sud de la Méditerranée.
Lors de la conférence de presse tenue à Lampedusa, dimanche dernier, aux côtés de sa plus grande complice sur le dossier, la présidente de la commission européenne, Ursula von der Leyen, Giorgia Meloni s'est quelque peu emportée en évoquant la responsabilité de la Tunisie et de la Libye, certes sans les citer : «Si nous consentons, du Nord, des financements et des programmes d’aide, ce n’est sans doute pas pour continuer à voir les pays bénéficiaires ne pas prendre leurs responsabilités dans la crise», avait-elle lancé en substance.