- Comment analysez-vous l’état d’avancement de la numérisation et de la digitalisation en Algérie ?
Dans tout projet, quelles que soient sa taille, sa nature ou son envergure, il est important de se poser trois questions fondamentales : pourquoi, quoi et comment. Pour ce qui est du projet de transformation digitale de l’Algérie, nous nous sommes bien posé la question du pourquoi : pourquoi aller vers le numérique ? Pourquoi digitaliser l’administration ?
Et nous nous sommes tous accordés sur le fait que le numérique était inévitable de par ses avantages innombrables et son impact sur la vie du citoyen, de l’entreprise et de l’administration. La question du quoi revient à définir comment va être l’Algérie numérique que nous voudrions atteindre, vers laquelle nous souhaitons aller : il s’agit d’avoir une vision clairement formulée qui permet de prendre les bonnes décisions, une vision forte qui permet de fédérer les énergies et assurer la cohésion, et surtout, une vision partagée par tous les acteurs pour garantir la cohérence des actions.
En 2010, une action a été initiée par le ministre des Postes et des Télécommunications de l’époque, en l’occurrence Hamid Bessalah. Ce dernier a consulté les acteurs du numérique et les a associés à l’élaboration d’un document intitulé stratégie «E-Algérie 2013». Malheureusement, il a été remisé dans les tiroirs.
Nous sommes passés directement à la question du comment, et chaque ministère, chaque wilaya, chaque commune et chaque administration a entamé sa propre transformation digitale, on l’avait appelée l’informatisation.
La réponse à la question du comment était donc d’acheter des équipements informatiques et des logiciels. Si on doit faire une évaluation objective de la situation, on dira qu’aujourd’hui, certains ont bien réussi leur transformation digitale, d’autres étaient sur le bon chemin et se sont arrêtés au milieu, le reste a essayé sans succès notables.
Le pire, c’est qu’il n’y a presque pas de communication entre les différents départements administratifs pour échanger les informations, ce qui oblige le citoyen à aller demander un document auprès d’une administration pour le déposer chez une autre.
- De grands efforts ont été déployés récemment pour améliorer le débit de l’internet en Algérie. Est-ce suffisant ou existe-t-il une marge de progression ?
En effet, il y a eu une amélioration significative dans la qualité de l’internet, notamment suite aux augmentations du débit minimum opérées durant cette année, qui est passé de 2 mégaoctets à 10 mégaoctets sans en augmenter les tarifs.
Même s’il y a encore une marge importante d’amélioration de la qualité d’internet, le niveau de performance de l’infrastructure est largement suffisant pour permettre le développement des services en ligne, notamment la dématérialisation des démarches administratives, ce qui aura pour conséquence de minimiser la bureaucratie et améliorer la relation du citoyen avec l’administration. Il faut tirer profit de ce que permet l’infrastructure et continuer à l’améliorer.
- Des experts affirment que nous sommes exposés plus que jamais à la cybercriminalité. Nos données, notamment gouvernementales, sont-elles suffisamment protégées ?
Dans une guerre classique, on déclare d’abord l’état de guerre puis débutent les hostilités, ce n’est pas le cas dans l’espace cybernétique, il faut savoir aujourd’hui que le monde est en état de guerre électronique non déclarée, une guerre où il n’y a pas de règles, d’ailleurs, nous avons vu comment même les alliés s’espionnaient mutuellement. Il ne faut pas penser que les pirates informatiques sont des individus assis dans une cave qui s’introduisent dans des ordinateurs. La grande majorité des attaques les plus graves proviennent directement des Etats.
Les soldats sont des personnes qui utilisent les ordinateurs à des fins offensives, telles que le vol de données, le vandalisme, l’extorsion et même pour provoquer des dégâts physiques, comme ce fut le cas du virus Stuxnet qui a détruit les centrifugeuses d’enrichissement d’uranium d’une station nucléaire iranienne.
Je ne puis dire si nos données gouvernementales sont suffisamment protégées ou non, je suppose que c’est une question qui est prise en charge à haut niveau, toutefois j’invite tous les utilisateurs de systèmes informatiques à redoubler de vigilance et respecter les best practices en matière de protection et de sécurité informatiques.
- Dans ce contexte, vous avez attiré l’attention des administrateurs pour éviter d’échanger des e-mails via des serveurs étrangers (Gmail, Yahoo et Hotmail). A quels dangers s’exposent-ils ?
Parmi les best practices sus-citées, il y en a une qui est triviale : c’est l’utilisation de boîtes emails hébergées en Algérie. Particulièrement pour les personnes travaillant dans les administrations, amenées à échanger des documents et données critiques, en utilisant des services de messagerie électronique hébergés à l’étranger, dont les fameux Gmail, Yahoo ou Hotmail.
Nous sommes en train d’offrir nos données sur un plateau d’argent. En effet, dans le cas d’un email envoyé par un émetteur algérien vers un destinataire algérien par le biais d’une messagerie hébergée à l’international, le contenu de ce dernier est d’abord stocké dans un serveur hébergé dans un datacenter à l’étranger, permettant aux parties tierces propriétaires de ce datacenter de consulter librement les données échangées.
- Les taux de douane et taxes appliqués à l’importation des ordinateurs et autres accessoires multimédias (imprimantes, logiciels) restent assez élevés et constituent un handicap pour la société du savoir et de la connaissance. Partagez-vous cet avis ?
Il est primordial de développer la «Littéracie Digitale» au sein des différents segments de la population. Alors que le taux de pénétration des smartphones/tablettes a évolué significativement en Algérie, ils demeurent des appareils adaptés d’abord pour un usage de consommation de contenu.
La crise de Covid-19 a mis en exergue le faible taux de pénétration des ordinateurs chez les étudiants, employés, ménages, etc. (la base installée des ordinateurs personnels ne dépasse pas les 3 millions d’ordinateurs pour une population qui dépasse les 40 millions, dont 40% environ au sein des administrations et entreprises), ce qui a réduit significativement l’éventail des solutions envisageables pour assurer une flexibilité dans le lieu de travail ou d’apprentissage.
Dans ce cadre, il y a lieu de revoir à la baisse les taux de taxation actuels en droits et taxes appliqués aux ordinateurs personnels et d’autres équipements informatiques essentiels (switch et routeurs, serveurs, etc.) qui se trouvent actuellement à un niveau excessif, rendant ainsi l’accès à un outil aussi essentiel que l’ordinateur impossible pour la plus grande frange de la population.
Il faut engager, dans les plus brefs délais, des programmes et initiatives à caractère national à travers un partenariat public-privé et visant à offrir des solutions (ordinateur + contenu + services) adaptées par segment de la population (ex : étudiants/élèves/enseignants, fonctionnaires, ménages, PME, etc.), et favoriser la formation par le e-learning pour les différentes franges de la population : à l’ère de la digitalisation, la formation à distance est aujourd’hui utilisée officiellement au même titre que les formations et enseignements prodigués en présentiel (universités, grandes écoles, centres de formation, entreprises, etc.).
Elle a permis aux cadres, salariés, apprenants de travailler ensemble et de se former en dehors de leurs horaires de travail. C’est désormais une volonté affichée des pouvoirs publics d’insuffler l’économie du savoir.