Suzanne El Kenz présente son roman De glace et de feu à la librairie l’Arbre à dires à Alger : «Ghaza surgit à chaque fois en boomerang»

16/01/2024 mis à jour: 04:33
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Saïd Benmerad et Suzanne El Kenz à la librairie l’Arbre à dires

L’auteure Suzanne El Kenz était visiblement émue et heureuse de se retrouver, samedi dernier, à Alger pour la présentation de son troisième roman De glace et de feu, devant un auditoire nombreux, de surcroît sous le charme.

Après une première promotion à l’occasion de la sortie de ce roman De glace et de feu, publié par les éditions Barzakh, lors de la tenue en octobre dernier du 26e Salon international du livre d’Alger, Suzanne El Kenz a repris son bâton de pèlerin pour promouvoir  cette nouvelle œuvre, écrite dans la douleur et la force de l’écriture. 

Ainsi, l’auteure a fait une halte heureuse à la Librairie l’Arbre à dires pour parler sans détour et avec beaucoup d’humilité de son dernier-né De glace et de feu. Cette rencontre littéraire a été, rappelons-le, modérée par l’universitaire et critique littéraire Said Benmerad. Avant de laisser la parole à Suzanne El Kenz, l’éditrice du livre, Selma Hellal, est revenue sur la manière dont elle a reçu ce manuscrit. Elle explique quand elle a lu pour la première fois le roman en question, il est arrivé quelque chose d’assez singulier. 

Tout s’est passé, confie-t-elle, comme si elle avait  entendu une voix. «C’est souvent, dit-elle, le cas quand on est éditeur et qu’on décide de se lancer dans l’aventure et d’accompagner un manuscrit. Mais là, j’ai vraiment entendu une voix tantôt limpide, tantôt opaque. J’ai été séduite et déroutée à la fois. 

Comme sous hypnose, comme sous l’effet d’un sortilège. Et c’est imposé à moi la nécessité d’établir un pacte entre cette auteure et avec ses mots. Je sentais que je devais accepter de ne pas forcément tout comprendre, de tout suivre de cette narration qui est à la fois heurtée, linéaire à d’autres moments totalement en apparence décousue. J’ai entendu cette voix que, je qualifierai d’entêtante, de lancinante et incantatoire. J’ai pensé  à Marguerite Duras, à Samuel Beckett car il y a de scorps malades, en décompositions et en désintégrations. 
 

Délire et lucidité

J’ai entendu une voix émanant d’un malade qui parle de vie, de sensualité et d’amour avec beaucoup d’humour aussi. Le tragique est en permanence conjuré. J’ai entendu la voix d’une écrivaine qui inventait sa propre langue et dans laquelle à fleur, remue d’autres langues, en particulier l’arabe». Pour Selma Hellal, le texte de Suzanne El Kenz chemine sur une ligne de crête entre la poétique, l’esthétique et le politique. 

A travers une pagination de 177 pages, le roman De glace et de feu de Suzanne El Kenz  revient sur l’histoire poignante et glaçante à la fois de Hind Ghalyani, une femme malade, immobilisée sur son lit d’hôpital. Cette Palestinienne d’origine doit subir une greffe de la moelle épinière dans le pays lequel elle vit, à savoir la France. A l’article de la mort, elle oscille entre le délire et la  lucidité. Elle décide de faire une rétrospective de sa vie, de son identité éclatée et de ses origines. Elle caresse le rêve de s’évader vers les glaciers. Son quotidien est quelque peu bousculé par la visite chaque jour d’un quadragénaire, nommé Lamour. 
 

 

Éléments réels

Hind  Ghalayeni ou Mathilde Le Benn - c’est selon - a rencontré Lamour, un an auparavant lors d’un concours de langue. Il essaie de la consoler avec des poèmes et des cadeaux. Selon l’auteure, Lamour n’était amoureux de cette femme mais été attiré par cette multitude de nationalités, de gens qui sont souvent discriminés mais qui s’identifie à eux. Il va s’agripper à cette dame qui est en partance. Elle a son mari, ses enfants mais la maladie l’éloigne de cette réalité. «Mais disons, assène-t-elle, elle va vers sa propre histoire, c’est-à-dire le thym et l’huile qui est pour un Palestinien quelque chose de vitale. C’est sa respiration à lui». 

Dans cette tragique maladie, Hind doit subir une greffe de la moelle osseuse très compliquée pour pourvoir survivre. L’équipe médicale tente de trouver la personne compatible. L’héroïne du roman trouve quelque part que la greffe est assimilée à l’exil. 

Elle peut faire des rejets et mourir.A la question de savoir s’il y a une profonde rupture de ce nouveau roman avec les deux précédentes œuvres de l’auteure, à savoir La Maison du Néguev, publié aux éditions APIC en 2009 - dont le Grand Prix Yambo-Ouologuem lui a été décerné en février 2010 -  et Ma mère, l’escargot et moi, publié par l’Aube en 2013 avec une réédition sous le titre Au pieds de ma mère, aux éditions Frantz Fanon la même année. 

Pour Suzanne El Kenz, professeur de langue arabe dans un lycée de Nantes, il y a une rupture mais elle n’est pas profonde. Elle est dans la  continuité.  «Il y a, indique telle, une certaine maturité vu les jours, les années qu’on vit à chaque fois. C’est balisé ainsi par Dieu. C’est un livre aussi qui a fait que j’ai vécu des choses que je n’avais pas vécu auparavant. Je ne suis pas capable d’inventer de la pure fiction ni encore bien moins de la science fiction. J’ai brodé à partir d’éléments réels. Oui, ce roman est différent mais il est quelque part dans la continuité comme la personne change mais reste la même. Comme un bel hasard, ce livre a été publié dans les éditions Barzakh qui veut dire qu’on est dans un lieu entre la vie et la mort, entre le paradis et le purgatoire», note-t-elle.  Suzanne El Kenz avoue ne pas savoir pourquoi elle écrit. 

Cependant, elle affirme qu’il y a  quelque chose qui vient, qui sort. Comme elle le souligne si bien, c’est peut-être un  règlement de compte. C’est essayer de s’en sortir. «Personnellement, je ne m’en suis pas sortie. Cela n’a jamais été une thérapie. L’écriture est quelque chose d’artificielle et vrai à la fois. Je suis tout le temps dans les deux. Je plains et des fois j’envie. Je suis jalouse des gens qui ont un parcours tout balisé. Qui sont nés à la rue Parmentier avec une famille. Moi, ce n’est pas le cas. C’était Ghaza, Tunis, Alger, Bruxelles, New York. Et cette Palestine qui ne se départit pas. De toutes les façons, quand bien même le monde entier veut oublier la Palestine. Elle ne peut pas s’y soustraire quand même elle en échappe. 

Elle voudrait échapper mais elle est tout le temps rattrapée», argue-t-elle. L’intervenante ne sait pas si elle a de la chance ou de la malchance d’être palestinienne. «Je fais avec. La Palestine, c’est le thym. C’est l’huile. C’est beau. C’est moche. C’est violent par moments, mais c’est comme cela.  Ghaza surgit à chaque fois, revient en boomerang à chaque fois. 

On a beau vouloir l’oublier mais elle est là. Voilà cette femme, sa narration, ce désir d’évasion vers le glacier. Je ne suis pas une scientifique, mais je me suis beaucoup documentée sur les glaciers. J’ai évoqué aussi un personnage qui s’appelle ötzi qui est réel et qu’on a découvert dans les glaciers et qui est devenu connu», rappelle-t-elle.

Revenant sur le choix du titre De glace et de feu, l’oratrice reste convaincue que tout potentiel lecteur qui lira son roman comprendra le sens. Il y a eu une question de glacier. 
 

Cette personne était dans les grands glaciers de l’antarctique. Et cela se termine par le  feu qui va effacer les glaciers. «Peut-être que le titre fait bateau mais  je pense qu’il correspond bien au livre. L’héroïne est dans les glaciers tout le temps car elle fuit une certaine chaleur intérieure. 

Quand on est malade, on a souvent froid. Mais cela se termine par le feu», éclaire-t-elle. Il est à noter qu’une autre rencontre littéraire avec l’écrivaine palestinienne Suzanne El Kenz est prévue vendredi 19 janvier à 17 h au CCU Sciences Médicales à Alger. La rencontre sera animée par Selma Hellal, des éditions Barzakh.
 

 

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