Sri Lanka : Le palais présidentiel résonne d’éclats de rire et de notes de piano

11/07/2022 mis à jour: 22:24
AFP
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Photo : D. R.

Des milliers de femmes, d’hommes et d’enfants se ruent dans l’imposante demeure. Certains font la queue pour s’asseoir sur la chaise du président Gotabaya Rajapaksa à l’étape supérieur, pendant qu’au rez-de-chaussée, des enfants – et leurs parents – tapent à qui mieux mieux sur les touches d’un piano à queue.

Le palais présidentiel du Sri Lanka, hérité de l’époque coloniale, symbolise l’autorité de l’Etat depuis plus de 200 ans, mais hier, après la fuite de son occupant, c’est «le pouvoir du peuple» qui s’y est installé.

Des milliers de femmes, d’hommes et d’enfants se ruent dans l’imposante demeure. Certains font la queue pour s’asseoir sur la chaise du président Gotabaya Rajapaksa à l’étape supérieur, pendant qu’au rez-de-chaussée des enfants – et leurs parents – tapent à qui mieux mieux sur les touches d’un piano à queue.

Dans l’imposant parc, les «Gordon Gardens», nommés ainsi en mémoire de leur concepteur Sir Arthur Hamilton-Gordon, gouverneur de Ceylan à la fin du XIXe siècle, des familles enjouées piquent-niquent au milieu de moines bouddhistes à la tête rasée et en robes safran qui s’émerveillent devant l’air conditionné et les sols en marbre.

«Lorsque des dirigeants vivent dans un tel luxe, ils n’ont aucune ide de la manière dont les roturiers se débrouillent», confie à l’AFP Sri Sumeda, un moine qui a fait 50 km pour sa première visite du palais. Pour lui, «cela montre ce qu’on peut faire quand les gens décident d’exercer leur pouvoir». Le Sri Lanka est plongé dans une crise économique sans précédent, marquée par une hyperinflation et de multiples pénuries, en particulier pour la nourriture, le carburant et les médicaments.

Depuis des mois, des manifestants réclament en nombre le départ du Président, dont le puissant clan familial domine la vie politique du pays depuis des décennies. M. Rajapaksa, 73 ans, s’est enfui samedi par une porte à l’arrière du palais, sous protection militaire. Quelques minutes plus tard, des foules de manifestants ont franchi les grilles, bravant les forces de l’ordre munies de balles réelles, gaz lacrymogènes et canons à eau.

«N’abîmez pas les tableaux»

Hier, le Président se trouvait toujours sur un navire militaire au large du pays après avoir annoncé sa démission pour mercredi.

Des gardes présidentiels lourdement armés encore de service se mêlent aux nouveaux visiteurs devenus maîtres des lieux et posent même pour des selfies à leurs côtés. Les familles se pressent pour prendre des photos devant des œuvres d’art hors de prix ou des objets décoratifs et les blagues fusent.

«N’abîmez pas les tableaux, ce n’est pas Gotabaya qui les a peints», enjoignent des panonceaux écrits à la main par des militants étudiants, en pointe de la contestation communément désignée comme «Aragalaya» – le combat. Peu après avoir investi le palais, beaucoup ont plongé dans la piscine présidentielle pour se rafraîchir. Hier, rares étaient ceux qui s’aventuraient dans l’eau devenue trouble.

Buddhika Gunatillaka, 46 ans, est venu à moto d’une banlieue de Colombo pour découvrir les lieux, une zone où le commun des mortels ne s’aventurait pas d’ordinaire. «J’ai utilisé de l’essence que j’avais économisée pour faire le voyage avec mon épouse, parce qu’on n’aura jamais plus l’occasion de visiter la principale résidence du Sri Lanka», dit-il à l’AFP. Çà et là persistent des traces du combat mené pour y entrer la veille.

«Il doit partir maintenant»

Deux canons à eau de la police sont abandonnés sur la courte portion de route qui conduit au palais. Des balles, tirées par les forces de l’ordre pour décourager les manifestants, ont laissé des trous sur un mur d’enceinte.

Dans les bureaux de la Présidence, à proximité, où les manifestants ont brisé les clôtures de fer forgé, une bibliothèque improvisée est installée dans l’entrée principale. «Je me suis rendue chaque jour dans le campement des manifestants et je ne m’arrêterai pas tant que Gotabaya n’est pas réellement parti», assure Chamari Wickremasinghe, 49 ans. Elle participe à l’occupation des bureaux de la Présidence qui abritaient le Parlement jusqu’en 1982. «Nous n’allons pas partir d’ici», ajoute-t-elle, «la promesse de partir le 13 juillet ne suffit pas. Il doit partir maintenant».

Le responsable de la bibliothèque, Supun Jayaweera, 33 ans, explique que quelque 8000 ouvrages de littérature générale en cinghalais, tamoul et anglais, tous des donations, ont été rassemblés et espère qu’ils vont attirer les visiteurs.

Sur les 35 marches conduisant au bâtiment surplombant l’océan Indien, des familles se reposent. Des bénévoles proposent de la nourriture, aux manifestants comme aux forces de sécurité. Un étudiant entonne des slogans anti-Rajapaksa pour chauffer la foule qui afflue de plus en plus nombreuse malgré la pénurie de carburant immobilisant les transports publics depuis de longs jours. «J’espère que ce qui s’est passé samedi servira de leçon aux futurs responsables politiques», remarque M. Gunatillaka. «On ne peut pas opprimer les gens pour toujours. Ils contre-attaquent.»

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