Terrorisée d’être retrouvée par son ex-mari violent qui lui a cassé toutes ses dents, Marwa vit cachée en Afghanistan depuis le retour au pouvoir des talibans qui ont annulé son divorce comme celui de bien d’autres femmes.
Marwa (son prénom a été changé), 40 ans et mère de huit enfants, a obtenu le divorce six mois avant la prise du pouvoir en août 2021 par les talibans, qui ont depuis multiplié les mesures liberticides à l’encontre des femmes. Cette Afghane fait partie du nombre restreint mais croissant de femmes qui, sous le précédent gouvernement soutenu par les Etats-Unis, ont obtenu une séparation légale dans ce pays pourtant patriarcal et profondément conservateur.
Mais pour Marwa, le soulagement d’être enfin séparée, après 20 ans de mariage, n’aura été que de courte durée. Aussitôt au pouvoir, les talibans se rendent chez elle accompagnés de son ex-mari qui leur assure avoir été forcé à divorcer. Ils lui demandent la décision de justice, la déchirent, lui rétorquant qu’elle n’est plus valable et l’obligent à retourner vivre auprès de son bourreau.
«Mes filles et moi avons beaucoup pleuré ce jour-là. Je me suis dit: ‘‘Oh mon Dieu, le diable est revenu’’», raconte Marwa à l’AFP, un chapelet à la main. Sommée de reprendre sa vie conjugale, la mère de famille voit les coups redoubler. A l’été 2022, elle se résout à prendre la fuite avec ses enfants, échappant à la vigilance de son ex-mari parti à une cérémonie familiale.
Aujourd’hui, «mes enfants me disent parfois: ‘‘Mère, ce n’est pas grave si nous sommes affamés, au moins nous sommes débarrassés des mauvais traitements. Avant nous subissions les deux’’», rapporte l’Afghane, dans sa nouvelle demeure presque entièrement vide.
«Il me maltraitait tout le temps, était grossier. Il trouvait toujours des excuses pour me battre.
Il ne me permettait pas d’aller voir ma mère ni personne d’autre, il m’enfermait dans la maison». La colère de son mari se dirigeait aussi contre Marwa car elle n’avait pas donné naissance à assez de garçons, précise la quadragénaire, mère de six filles et deux fils, en montrant les stigmates des coups. «Mes mains ont été cassées sept à huit fois (...). Il y avait des jours où je tombais inconsciente et mes filles me nourrissaient».
«Il avait l’habitude de me tirer les cheveux au point de me rendre en partie chauve. Il me battait tellement que toutes mes dents ont été cassées», poursuit Marwa.
«Personne ne nous connaît»
Le cas de Marwa est loin d’être le seul, comme le confirme une avocate, Nazifa, qui a reçu au moins «cinq appels» ces derniers mois de clientes divorcées implorant son aide. La jeune avocate, qui a traité plus d’une centaine de divorces et ne souhaite pas donner son nom de famille, assure aussi que des consœurs lui ont rapporté avoir reçu le même genre de demandes récemment. En Afghanistan, neuf femmes sur dix sont victimes de violences physiques, sexuelles ou psychologiques de la part de leur partenaire, selon la mission des Nations unies dans le pays. «Auparavant, selon la coutume en Afghanistan, on pensait qu’une femme devait accepter n’importe quelle situation et n’avait aucun moyen de se séparer de son mari», explique Nazifa. «Puis avec le bouche à oreille, les femmes ont appris qu’il y avait une solution et les divorces ont augmenté», ajoute-t-elle.
L’avocate, aujourd’hui interdite de travailler par les talibans, le souligne : «Selon l’Islam, en dernier recours, lorsqu’il n’y a plus d’harmonie entre le mari et la femme, le divorce est autorisé». Pourtant, depuis 18 mois, les nouveaux dirigeants afghans à l’interprétation austère de l’Islam ont remis en cause les divorces prononcés antérieurement, plongeant les femmes comme Marwa dans des situations d’autant plus désespérées que presque tous les organismes susceptibles de les aider ont disparu. Terrorisée, celle-ci n’a même pas dit à sa mère où elle se trouvait pour éviter que cette dernière ne subisse des pressions de son ex-mari. «Personne ne nous connaît, pas même nos voisins», explique-t-elle, pendant que ses filles s’affairent sur d’antiques machines à coudre pour confectionner des vêtements qu’elles vendront ensuite.
Du côté des autorités talibanes, on l’assure: «Si nous recevons de telles plaintes (de femmes forcées à retourner avec leur ex-mari), nous les examinerons conformément à la charia», a indiqué à l’AFP le porte-parole de la Cour suprême, Inayatullah. Quant à savoir si le régime taliban reconnaît les divorces prononcés sous les gouvernements précédents, le porte-parole évoque «une question très importante et complexe», laquelle a été soumise «à Dar al Ifta (instance chargée d’interpréter la loi islamique) qui l’examine».
Vies détruites
Le sort de Sana n’est pas très différent de celui de Marwa. Cette femme de 37 ans, dont le prénom a été changé, se terre avec ses sept enfants dans une maison, où l’AFP lui a parlé, afin d’échapper aux griffes d’un ex-mari violent. Claquemurée dans une pièce froide aux murs dégarnis dans laquelle elle passe le plus clair de son temps, la famille vit dans l’angoisse d’être découverte.
«Chaque fois qu’on frappe à la porte, j’ai peur qu’il ne m’ait retrouvée et n’emmène les enfants», confie Sana, dont seuls les fils sont autorisés à sortir pour collecter du plastique dans les rues. Deux mois après la prise du pouvoir par les talibans, la trentenaire, qui s’était décidée un an plus tôt à divorcer, a vu son ex-époux, dont elle n’avait plus de nouvelles, débarquer chez elle accompagné de membres des forces de sécurité. Ce cousin, qu’elle a épousé à l’âge de 15 ans quand lui en avait dix de plus, conteste le divorce et exige de récupérer tous leurs enfants.
Pour les protéger, Sana qui avant était battue parce que leur «bébé pleurait ou que le repas n’était pas assez bon», se résigne à retourner dans son ancienne vie. Elle apprend que son mari a une seconde femme, mais accepte de devenir la «servante» de cet homme. Jusqu’à ce qu’il décide de fiancer de force leurs deux filles aînées à des talibans. «Mes filles me disaient souvent: ‘‘Maman, nous allons nous suicider’’», raconte en pleurs Sana, qui prendra finalement la fuite avec ses enfants, après avoir prétexté aller faire des courses.
Sans cette décision, «la vie de mes filles aurait été détruite et serait devenue pire que la mienne», sanglote Sana, pendant que son aînée, prise régulièrement de crises d’angoisse, bascule son corps machinalement d’avant en arrière, l’air hagard. Les scènes de violences ont également profondément marqué les filles de Marwa et leur rapport aux hommes: «J’ai peur de ne pas pouvoir les marier», confie la quadragénaire. «Elles me disent : ‘‘Maman, nous détestons le mot mari en voyant comment ta vie a été si mauvaise’’».