Souhil Meddah. expert financier : «Nous serons contraints d’actionner notre politique protectionniste»

16/03/2022 mis à jour: 03:09
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souhil meddah. expert financier

Expert financier, Souhil Meddah aborde dans cet entretien l’impact du conflit russo-ukrainien sur l’économie nationale. Il estime que la politique monétaire doit intervenir sur la parité du dinar pour le stabiliser et amortir les effets négatifs. Et ce, par le biais d’un instrument de régulation des revenus et des prix intérieurs.

  • En dehors de la flambée des prix du pétrole, du gaz et des matières premières, à quel impact de la crise actuelle faudrait-il s’attendre sur le plan financier sur l’Algérie ? 

Hormis la volatilité des agrégats définis dans votre question impactant les marchés internationaux des matières premières, il est utile d’évoquer cette singularité des effets provenant d’un conflit de cette ampleur qui peut, et de façon enchaînée, exister ou avancer sur d’autres types d’impacts. 

Qu’ils soient dans un cadre géographique ou par rapport aux alliances qui peuvent se tracer au fur et à mesure que la crise évolue, les constats seront groupés sur une échelle fondamentalement supranationale qui, dans sa nature, imposera ses effets sur les économies les plus vulnérables financièrement ou ne disposant que peu d’alternatives par rapport à leur force d’autosatisfaction. 

Dans cette extrême échelle, il est important de mettre en avant les nouvelles orientations géopolitiques qui, de façon graduelle, vont éloigner quelques économies, comme les pays africains, qui comptent sur l’expression de la demande des autres économies qui les approvisionnent. Outre le fait que les circuits d’approvisionnement des produits les plus élémentaires, tels que le blé, l’autre exemple peut provenir de la Chine qui sera alors capable de changer temporairement ses priorités stratégiques et pour une durée qui peut dépasser l’épisode actuel, pour s’engager sur une autre voie secondaire en accordant une plus grande importance à l’alliance conjoncturelle avec la Russie. Cela au détriment de sa politique d’émergence dans des phases expansionnistes ou extentionistes dans des régions qui affichent un besoin imminent en investissement ou en financement.

Par ailleurs, il est aussi question d’anticiper la réaction de toutes les économies impliquées dans ce conflit par rapport aux limitations quantitatives qui peuvent s’annoncer dans les échanges en produits médicaux, agricoles ou alimentaires, depuis ces économies, et plus particulièrement de la zone euro, vers les autres régions, notamment la nôtre.

Autrement dit et pour notre économie, il peut se manifester et de manière enchaînée trois autres types d’impacts par rapport aux volatilités attendues sur le modèle d’emplacement économique ou par rapport aux dispositions des échanges avec le reste du monde. D’abord à très court terme, l’impact primaire sera lié aux marchés intermédiaires des matières premières, avec des volatilités qui non seulement seront adossées sur les prix, mais aussi sur les quantités qui doivent répondre à nos besoins annuels extradés vers le marché intérieur de la consommation, avec en plus des effets inflationnistes, structurellement importants. 

Cette baisse probable de la croissance économique jouera en notre défaveur, dans le cas où la tendance de la demande des produits énergétiques s’inverse, sachant que notre capacité d’exportation est déjà limitée par rapport à celle de production dans le domaine des hydrocarbures. Ce qui fait que la tendance du prix, même si elle reste haussière, la nature des instruments de dopage qui lui sont attachés ne seront pas insérés dans des compartiments exogènes structurels, mais au contraire dépendront de la nature du conflit et ses effets sur leurs livrables.

 Si c’était un conflit n’impliquant pas les régions proches de l’Europe, les effets seraient de provoquer une diversification de la demande des différents secteurs, y compris de celui des guerres, sans qu’elle soit contrariée par des sanctions économiques, contrairement au cas que nous connaissons actuellement, qui implique des sanctions contre une économie caractérisée par sa puissance régionale et mondiale.

Ensuite, un autre impact monétaire, qui sera temporairement en notre faveur, mais de moindre degré. Il s’agit de la parité euro-dollar qui diminue, avec une autre réalité qui limite sensiblement le cadrage des compartiments, avec la baisse du dollar face à la hausse du prix du baril. 

De ce fait, notre parité dinar face à ces deux grandes monnaies sera caractérisée par une certaine stabilité structurelle, sauf que dans la réalité, nous serons confrontés à d’autres types d’incohérences, l’une sur les quantités des ventes en hydrocarbures et l’autre sur les hausses des prix des produits importés avec la baisse de leurs quantités. Ce qui fait que sur le plan des valeurs absolues, nous aurons plus de ressources, mais par rapport aux échanges, la tendance des parités en contradiction avec les échanges sur le marché réel demeurera problématique ou incertaine.

Enfin, le troisième impact sera caractérisé, comme indiqué plus haut dans le cas où ce conflit persiste et s’élargit, par un déséquilibre dans les compartiments des échanges internationaux dictés par les autres forces, qui devront revoir leurs priorités en termes de choix et d’alliances stratégiques. Nous notons dans cette perspective les restrictions qui se manifestaient dans certains pays sur leurs produits exportables en les mettant à la disposition de leurs besoins internes en priorité. 

Il y aura aussi une sorte de réaffectation des ressources financières imposée par cette conjoncture, ce qui va aussi remettre en question nos politiques de partenariat et d’investissement avec les forces d’implantation et de financement des programmes structurants, telles que la Chine.

  • Justement, comment pourraient se traduire les sanctions économiques contre la Russie sur ses partenaires commerciaux ?

Nous remarquons déjà que les sanctions projetées par la communauté internationale excluent de facto celles sur les exportations des produits énergétiques par la Russie vers les autres pays, et cela dans le souci de ne pas provoquer des pénuries par rapport aux quantités livrées. Tout en rappelant que nous sommes en phase de sortie d’hiver, la demande va sans doute baisser dans les prochaines semaines, ce qui ne va pas encore pousser les prix vers une hausse excessive. Mais dans un autre angle, notre contribution en matière de livraison des quantités ne va pas être sollicitée de manière très active, sachant que pour un pays comme la France, la Russie fournit 17% des besoins de ce marché, tandis que l’Algérie n’en fournit que 8%. Ceci pour faire la liaison entre ces quotes-parts qui ne sont pas homogènes dans leur nature. 

Mais dans le deuxième chapitre des sanctions, concernant les autres exportations, telles que les produits agricoles, l’impact sera négatif pour nous, car il s’agit d’un agrégat qui n’adopte aucune forme de baisse sur la demande et, de ce fait, l’impact sera largement dispersé entre d’une part la baisse des quantités jusqu’à leur rareté dans les marchés locaux, et d’autre part, par la hausse des prix, du fait que l’offre ne sera pas toujours au rendez-vous.

  • Qu’en est-il des mesures à entreprendre financièrement pour limiter l’impact de cette crise sur l’Algérie?

C’est le cours des événements qui va nous imposer la voie à suivre. Mais d’une autre manière, nous serons contraints d’actionner notre politique protectionniste, même au détriment des besoins de nos marchés intérieurs, pour parer à toutes les situations de hausse des prix sur les produits agricoles et alimentaires surtout. Nous pourrons donc passer en priorité l’état de notre épargne institutionnelle extérieure en attendant que la situation se calme et se stabilise sensiblement.

Il est préférable dans ce sens que la hausse du baril soit tirée par des facteurs structurels par rapport à la reprise de la demande mondiale plutôt qu’un conflit qui impose des réactions du marché dans les deux sens, sur les exportations et les importations. Nous ne sommes plus à la configuration conflictuelle américano-proche-orientale qui, à l’époque, n’imposait aucune sanction affectant les autres marchés. Le conflit actuel affecte tous les compartiments d’approvisionnement entre pays et touche plusieurs domaines.

Par ailleurs, notre politique monétaire doit intervenir sur la parité du dinar pour le stabiliser afin d’amortir les effets négatifs, par voie d’un instrument de régulation des revenus et des prix intérieurs. Car il s’agit d’une situation exceptionnelle qui tient compte d’une inflation internationale importante et qui ne dispose pas de tous les agrégats monétaires nécessaires pour un véritable ajustement du dinar. Cette question doit être laissée pour plus tard, le plus urgent, c’est d’éviter un impact intérieur trop douloureux.

  • Concernant le système Swift et le risque de cybersécurité, qu’avez-vous à dire ?

Il faut rappeler qu’une partie de nos réserves de change est placée dans des valeurs au Trésor à faible taux. Il n’en demeure pas moins que dans cette phase de reprise post-Covid, où presque tous les taux rémunérateurs sont réduits et seront appelés, après la dernière vague inflation expansionniste, à remonter graduellement afin de mieux réguler les espaces monétaires.

Dans ce sens, les risques sur nos réserves ne peuvent être imminents que dans le cas où le panier des valeurs dans lequel nous détenons des options de placement n’est pas spécialement affecté par les actions réactives par rapport aux limitations de passage de quelques flux par le système Swift. Il faut aussi faire très attention au rôle actuel de la cryptomonnaie qui, dans sa configuration artificielle, ne repose sur aucune contrepartie marchande réelle et ne respecte pas toutes les règles prudentielles ou d’équilibre de parités adossées sur les valeurs internationales comme sur le dollar.

Propos recueillis par  Samira Imadalou 

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