A l'invitation du Premier ministre saoudien, Mohammed Ben Salmane, un sommet réunissant plusieurs dirigeants arabes s’est tenu hier à Riyad, en Arabie Saoudite, pour discuter d’un plan alternatif à celui proposé par Donald Trump qui dit vouloir transformer Ghaza en «Riviera du Moyen-Orient» après en avoir expulsé les Palestiniens. Outre «MBS», le prince héritier saoudien, le président égyptien Abel Fattah Al Sissi, le roi de Jordanie Abdallah II et l’émir du Qatar Tamim Ben Hamad Al Thani ont pris part à ce conclave, de même que d’autres représentants des pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG).
Il s’agit d’une «réunion fraternelle informelle», ont précisé plusieurs sources. Néanmoins, force est de voir dans ce sommet une sorte de répétition générale avant le sommet arabe extraordinaire qui se tiendra le 4 mars au Caire pour statuer sur l’avenir de Ghaza et formuler une position commune face au «rouleau compresseur» Donald Trump. «Les Etats arabes, qui se sont empressés de rejeter le plan du président Donald Trump visant à ce que les Etats-Unis prennent le contrôle de Ghaza (…) s'efforcent de se mettre d'accord sur une offensive diplomatique pour contrer cette idée», rapportait Reuters hier.
L’agence britannique relève d’emblée que les pays arabes ne se sont toujours pas entendu «sur des questions essentielles comme celle de savoir qui paiera la facture de la reconstruction de Ghaza - estimée par l'ONU à plus de 50 milliards de dollars» ou celle relative à l’autorité «qui gouvernera la bande de Ghaza». «La déclaration de Riyad ne mentionne pas officiellement les discussions sur Ghaza», précise Reuters.
Qui financera la reconstruction de Ghaza ?
L’agence de presse certifie toutefois que des sources lui ont assuré que «la réunion, qui a été précédée par l'arrivée du président égyptien Abdel Fattah Al Sissi jeudi, a pour but de discuter d'une proposition principalement égyptienne pour contrer le plan de Trump de ''nettoyer'' les Palestiniens de Ghaza et de réinstaller la plupart d'entre eux en Jordanie et en Egypte». Reuters soutient que «la proposition du Caire pourrait inclure jusqu'à 20 milliards de dollars de financement sur trois ans, promis principalement par les riches Etats du Golfe et les Atats arabes, mais aucun engagement (dans ce sens) n'a encore été pris». «Les détails ne sont pas clairs et il y a une certaine confusion parmi les parties prenantes quant au contenu du plan», a déclaré à l’agence anglaise un «fonctionnaire impliqué dans les négociations sur Ghaza».
Une autre source, saoudienne celle-là, a fait savoir qu’«aucune proposition n'avait été finalisée avant les discussions de vendredi». Et l’agence d’en déduire : «Il n'est pas certain que les dirigeants arabes parviennent à un consensus sur une alternative unifiée au plan de M. Trump avant la réunion d'urgence de la Ligue arabe prévue le 4 mars au Caire.»
Mercredi dernier, le président égyptien a encore exhorté la communauté internationale à adopter son plan qui parie sur une reconstruction de Ghaza sans avoir à déplacer un seul Palestinien. «Les enjeux sont particulièrement importants pour l'Egypte et la Jordanie.
M. Al Sissi craint que si un grand nombre de Palestiniens s'installaient dans son pays, ils incluraient des membres du Hamas, qu'il considère comme une menace pour la sécurité (de l’Egypte)», note Reuters. Il convient de rappeler que le dirigeant égyptien a déclenché une véritable guerre pour l’éradication des Frères musulmans, qualifiés d’organisation «terroriste». Et Hamas relève dans son esprit de la même mouvance, même si elle est avant tout un mouvement de libération.
Concernant la Jordanie, celle-ci compte déjà «une importante population palestinienne et craint que le plan de réinstallation ne soit une recette pour le radicalisme, qui répandrait le chaos au Moyen-Orient, compromettrait la paix du royaume avec Israël et mettrait même en péril la survie du pays», estime l’agence britannique. «Pour le royaume, l'idée de Trump de réinstaller quelque deux millions de Ghazaouis se rapproche dangereusement de son cauchemar d'une expulsion massive des Palestiniens de Ghaza et de Cisjordanie, faisant écho à une vision longtemps propagée par les Israéliens de droite, selon laquelle la Jordanie serait un foyer palestinien alternatif», poursuit Reuters.
Par ailleurs, «l'Egypte et la Jordanie sont profondément dépendants du soutien financier et militaire des Etats-Unis, et les pays arabes du Golfe ont besoin de Washington pour leur sécurité. Il se peut donc qu'ils ne soient pas en mesure d'adopter une position ferme à l'égard de M. Trump». Toujours d’après Reuters, «la proposition égyptienne comprend un comité national pour gouverner Ghaza et la reconstruction via un fonds créé avec l'argent du Golfe et d'autres pays étrangers, des Etats-Unis et des organisations de financement».
Les états du Golfe réticents
«Les engagements financiers devraient être cruciaux pour rendre toute alternative arabe acceptable pour M. Trump. Mais les Etats du Golfe producteurs de pétrole ont déclaré qu'ils étaient las de financer la reconstruction pour que le cycle de violence et de destruction se répète», ajoute la même source.
Pour revenir à ce sommet de Riyad, Andreas Krieg, du King's College de Londres, spécialiste du Moyen-Orient, a souligné auprès de l’AFP à propos de cette réunion que «c’est la plus importante depuis très longtemps» dans la région. «Nous sommes à un tournant historique majeur du conflit israélo-arabe ou israélo-palestinien (...) où les Etats-Unis, sous la présidence de Trump, pourraient instaurer de nouvelles réalités irréversibles sur le terrain», a-t-il averti. Pour ce chercheur, c'est «une occasion exceptionnelle pour les Saoudiens de mobiliser l'ensemble des pays du Conseil de coopération du Golfe, ainsi que l'Egypte et la Jordanie, afin de définir une position commune» face au projet de Donald Trump.
Le plan égyptien de reconstruction de Ghaza, qui sera donc probablement au cœur des discussions, est composé de trois phases étalées sur trois à cinq ans. Mohammed Hegazy, membre du Conseil égyptien des Affaires étrangères, «un groupe de réflexion influent au Caire», précise l’AFP, a détaillé pour l’agence française les phases en question. «Pendant la première phase, d’une durée de six mois, (...) des équipements lourds déblaieront les décombres et trois zones sécurisées pour reloger les déplacés seront aménagées (…). Des logements mobiles seront fournis», a-t-il expliqué.
La seconde phase nécessitera «une conférence internationale sur la reconstruction», a-t-il indiqué. Quant à la troisième étape, elle visera à «relancer un processus politique en vue d'une solution à deux Etats». Mais comme l’ont signalé les sources arabes contactées par Reuters, «le plus grand défi du plan égyptien est son financement», a tempéré un diplomate arabe joint par l'AFP, «tout comme la question particulièrement sensible de la gouvernance de Ghaza après la guerre». Mustapha Benfodil