Des centaines de personnes ont manifesté hier dans la capitale somalienne Mogadiscio pour dénoncer un accord entre la région séparatiste du Somaliland et l’Ethiopie, offrant à cette dernière un accès à la mer, rapporte l’AFP.
Les manifestants ont brandi des slogans hostiles au président somalilandais, Muse Bihi Abdi, et au Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed. La Somalie a annoncé mardi qu’elle défendrait sa souveraineté par «tous les moyens légaux», au lendemain de la signature de cet accord qualifié d’«agression» entre la région séparatiste du Somaliland et le gouvernement d’Addis-Abeba, offrant à ce dernier un accès maritime. Ce texte prévoit d’accorder à l’Ethiopie 20 kilomètres d’accès à la mer Rouge sur le territoire somalilandais, notamment à une base militaire et au port de Berbera, pour une durée de 50 ans.
En échange, «l’Ethiopie va formellement reconnaître la République du Somaliland», s’est félicité lundi Muse Bihi Abdi, le dirigeant de ce territoire jamais reconnu par la communauté internationale depuis qu’il a proclamé unilatéralement son indépendance de la Somalie en 1991. Ce «mémorandum d’accord» a été signé alors que la Somalie et le Somaliland sont convenus, la semaine dernière, de reprendre des négociations pour résoudre leurs différends, les premières depuis 2020. «Le Somaliland fait partie de la Somalie en vertu de la Constitution somalienne», a réagi le gouvernement somalien, dénonçant «une violation flagrante de sa souveraineté et de son unité».
Il a également demandé à l’ONU et l’Union africaine de se réunir face à cette «agression de l’Ethiopie et ingérence contre la souveraineté» somalienne, et rappelé son ambassadeur en Ethiopie «pour consultation». Devant le Parlement réuni en urgence, le Premier ministre, Hamza Abdi Barre, a assuré que Mogadiscio défendrait son intégrité territoriale «par tous les moyens légaux possibles». «Je n’accepterai pas qu’on nous enlève un morceau de notre terre», a lancé le président Hassan Cheikh Mohamoud aux parlementaires.
Cet épisode marque un regain de tension entre les deux voisins, dont les relations historiquement tumultueuses, marquées notamment par deux guerres pour la région disputée de l’Ogaden (1963-64 et 1977-78), se sont quelque peu apaisées ces dernières années. Avec cet accord, l’Ethiopie, deuxième pays le plus peuplé d’Afrique, obtient un accès maritime qu’elle cherchait et revendiquait depuis des années.
«Nids de conflit»
Le 13 octobre, Abiy Ahmed a réaffirmé que «l’existence de l’Ethiopie en tant que nation (était) liée à la mer Rouge», que son pays a besoin d’un port et que la «paix» dans la région dépendait d’un «partage mutuel équilibré» entre l’Ethiopie, enclavée, et ses voisins ayant accès à la mer Rouge, citant Djibouti, l’Erythrée et la Somalie. Face aux craintes suscitées par ces déclarations, il a toutefois assuré qu’il «ne fera(it) jamais valoir ses intérêts par la guerre». L’Ethiopie n’a plus d’accès maritime propre depuis l’indépendance de l’Erythrée en 1993. Elle a bénéficié d’un accès au port érythréen d’Assab, qu’elle a perdu lors du conflit entre les deux pays entre 1998 et 2000. L’Ethiopie dépend désormais du port de Djibouti pour ses exportations et importations.
Le texte «permettra à l’Ethiopie de disposer d’une base militaire et d’une zone maritime commerciale», a affirmé lundi, sans plus de détails, le conseiller à la sécurité de Abiy Ahmed, Redwan Hussein, évoquant le port de Berbera et une localité située plus à l’ouest, Lughaya. Berbera, port géré par le géant émirati DP World, est situé sur la côte méridionale du golfe d’Aden, carrefour commercial majeur à l’entrée de la mer Rouge qui mène au canal de Suez.
De leur côté, les islamistes shebab, groupe affilié à Al Qaïda qui mène depuis 2007 une insurrection contre le gouvernement fédéral somalien, ont condamné l’accord et «l’agenda expansionniste d’Abiy Ahmed», dans un communiqué. «La région n’a point besoin d’autres nids de conflit alors qu’elle est en train de traverser une situation conflictuelle aiguë assez large», a mis en garde Alexis Mohamed, conseiller du président djiboutien, Ismaël Omar Guelleh, dans un message sur X.
Région de 4,5 millions de personnes, qui imprime sa propre monnaie, délivre ses passeports et élit son gouvernement malgré l’absence de reconnaissance internationale, le Somaliland a conservé une relative stabilité, contrairement à la Somalie ravagée par des décennies de guerre civile et de rébellion islamiste. Les tensions politiques se sont accrues ces derniers mois, aboutissant à des combats entre les forces somalilandaises et des milices loyales à Mogadiscio.