Réceptacle de tous «les maux sociaux» comme aiment les qualifier les sociologues, Sidi Salem est une localité triste. Dès qu’on y pénètre, on découvre misère et désolation. Ordures jetées pêle-mêle, routes éventrées, pylônes électriques à même le sol, quartiers insalubres et commerce informel dans tous les coins de rues. Un paysage lugubre agresse les regards et témoigne que ce lieu malfamé n’a pas profité des bienfaits de l’indépendance. Un spectacle qui ne laisse personne indifférent.
Et pour cause, Sidi Salem n’assume pas les mutations générées par le développement économique. Ce n’est pas un hasard si les manifestations de colère y sont cycliques. Les «exclus» s’expriment souvent violemment, à mains armées, en prenant pour cible les institutions sécuritaires. Ses atouts multiples, en l’occurrence, un potentiel touristique non négligeable, une position stratégique face à la mer et les infrastructures, industrielle et aéroportuaire, ne sont pas parvenus à l’extirper de son état de sous-développement.
Ces richesses ne semblent pas exploitées à bon escient pour pouvoir répondre aux attentes multiples de ses habitants. L’une des plus importantes des 27 agglomérations de la commune d’El Bouni, la plus peuplée de la wilaya de Annaba, Sidi Salem est aussi la plus pauvre. Elles sont la conséquence d’une situation d’abandon total dans la gestion du quotidien des citoyens de cette localité où résident dans des conditions de vie exécrables, une dizaine de milliers de familles.
Pourtant, Sidi Salem qui porte le nom d’un marabout a laissé ses empreintes dans l’histoire de Annaba, le quartier qui a vu naître Sidi Brahim et Abou Merouane. «Durant la guerre de libération, malgré les exactions quotidiennes commises par l’armée française, Sidi Salem avait été une grande pépinière de moudjahidine. A partir du début des années 1990, il s’est transformé en un terreau de l’islamisme extrémiste avant de devenir une plaque tournante de trafic de drogue douce et dure ainsi que du corail», atteste un vieillard, un des derniers moudjahids de la cité, Ami Ali, comme aiment à l’appeler les habitants du quartier.
SAS, le dernier ghetto
Située à 6 kilomètres du commun chef-lieu de wilaya, Sidi Salem, 61 années après l’indépendance, les stigmates de la période coloniale sont toujours aussi présents. Eté comme hiver, les milliers de familles qui y habitent, la majorité depuis la période coloniale, vivent dans la misère, les pieds dans l’eau ou dans une boue sale et nauséabonde, au contact des maladies. A la ceinture d’anciennes habitations, héritées du sinistre SAS, l’ancien camp de regroupement en préfabriqué construit à la fin des années 1950 par l’armée coloniale française, de nouveaux immeubles ont été réalisés. Certains, il y a des décennies, d’autres réceptionnés durant les dernières années.
En plein milieu, un bidonville qui s’étale à perte de vue, un pâté de baraques, un labyrinthe à l’ombre duquel se sont développés la délinquance, la prostitution, le trafic et la consommation de la drogue et surtout le phénomène des harraga. Dans cette cité bidonville, tous les facteurs étaient depuis longtemps réunis pour l’expression d’un ras-le-bol poussé à l’extrême par la malvie et l’apparente indifférence affichée par les autorités locales aux appels de détresse de cette population. Zahouane Ali, un des habitants de cette cité, se fait, en quelque sorte, le porte-parole de cette population en affirmant : «J’habite cette cité depuis plus d’une cinquantaine d’années.
De grand bidonville constitué de baraques, Sidi Salem est devenu un ghetto construit en dur. La situation empire. Nous ne savons plus à quelle porte frapper pour faire entendre nos appels. Chômage, drogue et violences caractérisent le quotidien de nos jeunes. Les plus sages pratiquent la pêche avec leurs propres moyens. Ce qui leur permet quelques menus revenus.» Outre les narcotrafiquants, Sidi Salem n’attire pas seulement les jeunes à la recherche de l’«eldorado» via la harga, mais aussi des malfrats objet de mandats d’arrêt. La première expédition de harraga a été «inaugurée» à la plage de Sidi Salem.
La police attaquée, 82 individus condamnés
C’était la soirée du 31 décembre 2006 où une centaine de jeunes avaient pris la mer à bord de plusieurs embarcations artisanales à destination de la rive européenne. Depuis, des opérations similaires plus soutenues se succédaient jusqu’à aujourd’hui. «La pêche ne nourrit plus son homme. Je construis une ou deux fois l’an une felouque que je vends à des passeurs selon l’occasion en contrepartie de 400 000 DA chacune. Cela me permet de respirer en période de vaches maigres.
La pollution maritime a fait fuir le poisson et nos filets sont souvent vides», témoigne sous le couvert de l’anonymat un pêcheur quinquagénaire habitant la SAS de Sidi Salem. Il a également abordé le problème épineux du logement en indiquant : «La réalisation de plusieurs centaines de logements sociaux et leur attribution grâce à des opérations improvisées ou de conjoncture n’ont rien changé à la situation. A chaque fois, des jeunes se marient et ce sont des noms qui se greffent à la longue liste des demandeurs.»
Le tribunal d’El Hadjar (cour de Annaba) a ordonné le 17 mars dernier le placement en détention provisoire de 62 suspects pour «entrave au fonctionnement normal du siège de la Sûreté urbaine de Sidi Salem avec menace et agression avec usage d’armes sur des éléments de la force publique dans l’exercice de leurs fonctions», a indiqué le parquet du même tribunal. «Conformément à l’article 11 du code de procédure pénale, le procureur de la République près le tribunal d’El Hadjar informe l’opinion publique qu’en date du 9 mars 2023, les services de la Sûreté urbaine de Sidi Salem sont intervenus suite à un appel signalant qu’une femme était séquestrée et menacée de mort par son mari (B. F.)», a rapporté la même source. «Une heure après l’incident, le siège de la Sûreté urbaine sus-mentionnée a fait l’objet d’une tentative d’assaut par un groupe d’individus armés et avec des chiens d’attaque, dirigé par le mari de la victime, ayant causé des préjudices corporels au personnel de police et entraîné des dégâts matériels», a ajouté le parquet.
«Le 15 mars 2023, soixante suspects ont été déférés au Tribunal selon la procédure de comparution immédiate pour entrave au fonctionnement normal d’un établissement public avec menace et usage d’armes, agression avec violence sur des éléments de la force publique dans l’exercice de leurs fonctions, participation à une rixe, désobéissance, réunion de bandes de quartier ayant entraîné des coups et blessures, destruction volontaire de biens et incitation à un attroupement armé», a-t-il conclu. Le 29 mars dernier, le même tribunal a prononcé des peines de prison allant de 6 mois à 20 ans à l’encontre de 82 personnes, dont 20 par contumaces dans l’affaire de la bande de quartier à Sidi Salem dans la commune d’El Bouni.
Le tribunal a condamné à 15 ans de prison ferme 46 sur 60 accusés dont la peine est assortie d’une amende d’un million de dinars chacun. Le magistrat a prononcé également une peine de trois ans de prison ferme à l’encontre de 13 autres accusés et une peine de six mois de prison ferme contre un prévenu du groupe interpellé, avec une amende de 10 millions de dinars de dommages au Trésor public.
Le tribunal a condamné par contumace à 20 ans de prison et une amende de 2 millions de dinars, 22 autres coaccusés qui se trouvent toujours en état de fuite en plus de l’émission de mandats d’arrêt à leur encontre, a précisé la même source. Quatre-vingt deux (82) personnes, dont 22 en état de fuite, ont été poursuivies dans cette affaire pour «constitution d’une bande de quartiers, participation à une bagarre, désobéissance, réunion de bandes de quartiers conduisant à des coups et blessures à plusieurs et avec recours à des armes en plus du délit de stockage d’armes blanches au profit des bande de quartier en étant conscient de l’intention de leur usage», a-t-on appris du déroulé du procès.
Les chefs d’accusation pour lesquels a été poursuivi ce groupe sont «destruction de biens publics de l’Etat», «usage de violence contre des membres d’une force publique pendant l’exercice de leurs missions», «incitation à l’attroupement armé et obstruction au bon fonctionnement d’une institution publique par usage d’armes et de menace» en vertu des articles 22, 25 et 26 de la loi de lutte contre les bandes de quartiers et les articles 99, 149, 197 et 407 du code pénal». La justice a ainsi frappé de manière sévère à l’encontre de ses justiciables. Depuis, les rondes des services de sécurité sont régulières et tous les trafics sont actuellement en berne.
Malédiction
Pour les superstitieux, Sidi Salem est un lieu maudit. Bien qu’elle dispose d’une interminable plage, un atout incontournable de développement touristique, aucun projet n’a réussi à la faire hisser au niveau des autres cités de la wilaya. Celui qui projetait de faire de Sidi Salem le deuxième plus important centre urbain de la wilaya n’a pas dépassé le stade de l’amélioration urbaine. Il devait être concrétisé à partir de l’an 2000 au lendemain de la visite de travail et d’inspection de Abdelaziz Bouteflika, l’ex-président de la République qui avait inauguré le site.
«Les concepteurs avaient beau fixer de nouvelles règles d’urbanisme, préciser les caractéristiques techniques des logements sociaux, infrastructures d’accompagnements et des espaces verts à réaliser. Il fallait compter sans la corruption, l’affairisme et les luttes d’intérêts de certains décideurs», accuse B. Hakima, une habitante de Sidi Salem, architecte de son état.
Devant cette situation elle n’a pas hésité à nous faire part de ses remarques en déclarant : «Des bâtiments RDC + 4 avec des F.2 – F.3 ont été réalisés sur un terrain sablonneux et sans balcon. Très mal entretenues, les conduites d’évacuation des eaux usées, placées sous le niveau de la mer, sont inopérantes. Quant aux logements évolutifs, les règles techniques de construction ont été bafouées. Les intempéries ont mis à nu toutes les imperfections et les malfaçons.»
A Sidi Salem, Sidar, un promoteur saoudien, devait lancer en 2007 les travaux d’un village touristique, doté de moyens de détente et de loisirs à même de pourvoir les capacités d’accueil de la ville de quelque 1200 lits supplémentaires.
Une aubaine pour cette pauvre cité qui souffre énormément du chômage. Ce projet devait être suivi d’un autre dans cette même cité portant sur la réalisation d’un complexe hôtelier haut standing en bordure de mer. Ces projets devaient créer, selon leur fiche technique, pas moins de 4000 postes de travail directs et 8000 indirects. La décision d’annulation de ce projet serait politique. Elle serait motivée par le non- respect par le promoteur immobilier saoudien des clauses contractuelles. En 2023, Sidi Salem est toujours ce bidonville sale et crasseux qui fait peur. C’est une base arrière des délinquants, des repris de justice et même des extrémistes. Avec les derniers incidents, la situation s’est, davantage, dégradée pour devenir invivable.