Propulsé par Belaïd Abdeslam, il prend en 1966 la tête de Sonatrach, la compagnie nationale des hydrocarbures. Il devient ainsi l’un des artisans de la nationalisation des hydrocarbures.
Avec son éternel nœud papillon, Sid Ahmed Ghozali a sans doute incarné, pendant un temps du moins, l’homme de la modernité, celui qui embrasse le changement et ses promesses. Mais derrière l’élégance de l’homme, aussi bien vestimentaire que langagière, se cachait une certaine complexité politique. Décédé ce mardi 4 février, cet ingénieur devenu homme politique aura marqué plusieurs décennies la vie politique algérienne, tantôt artisan des grandes transformations économiques, tantôt opposant à un système qu’il avait pourtant servi.
On gardera de lui cette fameuse image où, en tant que chef du gouvernement, il accueillait Mohamed Boudiaf à son retour d’exil, six mois avant son assassinat, alors que le pays était en plein tumulte, ou encore cette autre image iconique où on le voit en grande discussion avec Larbi Belkheir et le général Toufik. Mais l'on se souviendra toujours de cette phrase aussi amère que lucide : «J’ai été le harki du système».
Né à Tighennif, dans la région de Mascara, Sid Ahmed Ghozali se retrouve, dès l'indépendance, plongé dans les arcanes du pouvoir. Diplômé de l'Ecole nationale des ponts et chaussées de Paris (France), où il côtoie notamment Lionel Jospin dans les cercles estudiantins de la capitale française, il devient, dès son retour en Algérie, membre du conseil d'administration de l'organisme technique franco-algérien chargé de la mise en valeur du sous-sol saharien.
Parallèlement, il conseille le ministère de l'Economie sur les questions énergétiques. Rapidement, il est propulsé sous-secrétaire d'Etat aux Travaux publics en 1964, un poste qu'il doit à l'influence de Belaïd Abdeslam, sa figure tutélaire grâce à laquelle il gravit les échelons. Mais Ghozali, bien que technocrate, refuse de s'aligner docilement. Lorsque Houari Boumediène renverse Ahmed Ben Bella en 1965, il démissionne, seul membre du gouvernement à le faire, alors qu’il n’avait que 26 ans.
«Pourquoi démissionnes-tu ? Ben Bella était mon ami avant qu’il ne soit ton ami», lui avait dit le défunt Président. Et Ghozali de répondre : «Ben Bella n’était pas mon ami, il a 22 ans de plus que moi, mais il est le Président qui m’a nommé.» «Boumediène fut beau joueur en comprenant sans rancune l’impertinence du 'novice' que j’étais, dans le système du 'qui n’est pas avec nous est contre nous'», commentera plus tard Ghozali.
Poussé par Belaïd Abdessalam, il prend en 1966 la tête de Sonatrach, la compagnie nationale des hydrocarbures. Il devient ainsi l’un des artisans de la nationalisation des hydrocarbures. Cette période est également marquée par une amitié singulière avec le caricaturiste Siné, qui dessine le logo de Sonatrach et immortalise l'époque dans des croquis empreints d'ironie. En 1977, il est nommé, sans surprise, ministre de l'Energie et des Industries pétrochimiques, un poste qu'il occupe jusqu'en 1979. Mais l'arrivée au pouvoir de Chadli Bendjedid change la donne.
«J’ai révisé beaucoup de choses»
Dans sa volonté de «déboumédienniser» l'Etat, le nouveau Président le limoge après un bref passage au ministère de l'Hydraulique. Ghozali se retrouve mis à l'écart, victime des luttes intestines qui agitent le régime. «Deux semaines après, tout ce que nous avions bâti fut démantelé», confiera-t-il plus tard, précisant : «C'est à un démantèlement sec de son œuvre politique que les héritiers allaient procéder deux semaines après : coup d’arrêt à ses politiques, chasse aux hommes étiquetés comme étant 'ses hommes', changement dès février 1979 du titulaire du secteur de l’énergie, virage brutal de la politique énergétique (contrat El Paso dont l’annulation, revanche promise dix ans avant par les pétroliers français, allait nous coûter une perte sèche de 50 milliards de dollars), déstructuration de toutes les entreprises nationales saucissonnées en des centaines de tranches, élimination dans la même charrette de Belaïd Abdeslam, Abdelaziz Bouteflika et Ghozali - moi en premier du gouvernement début 1979, puis les trois exclus sans jugement du comité central du FLN en 1980 -, lancement de la campagne intitulée «Lutte contre les fléaux sociaux» qui fut une véritable chasse aux sorcières au nom du principe de la «rotation des cadres».
Après une traversée du désert, Ghozali est nommé en 1984 ambassadeur auprès de la Communauté économique européenne à Bruxelles. Il y tisse des relations solides avant d'être rappelé après les émeutes d'Octobre 1988. En pleine période de disette, il prend le portefeuille des Finances, puis celui des Affaires étrangères. Et lorsque la crise politique devient intenable, c’est lui qui devient chef du gouvernement après la démission de Mouloud Hamrouche en 1991.
C'est donc sous son gouvernement que le processus électoral aboutissant à la victoire du Front islamique du salut est interrompu en janvier 1992. «Nous avons pris la décision en notre âme et conscience, persuadés que c'était le devenir même du pays qui était en jeu», déclarera-t-il des années plus tard, revendiquant ce choix.
La violence s'intensifie et l'Algérie plonge dans une longue nuit sans lune. «Bien sûr, nous sommes passés, dans cette histoire, pour certains, et surtout pour ceux à qui ça ne plaisait pas de ne plus être au pouvoir, pour des putschistes. Nous avons pris la décision, en notre âme et conscience, parce que nous considérions que c’était le devenir même du pays qui était en jeu. C’était notre unique souci, et laissez-moi vous dire que ce n’était pas la décision d’une seule personne.
Dans notre conviction de l’époque, c’était la fin de l’Algérie en tant que nation, et nous ne pouvions permettre cela», disait-il dans l’une des ses interviews. Il poursuit : «La violence n’était pas aussi massive, mais les égorgements et les assassinats ont commencé bien avant l’arrêt du processus électoral. Elle a commencé avant même ma propre nomination, 7 mois avant l’arrêt du processus électoral, ma nomination a été précédée d'une situation insurrectionnelle, je le rappelle, et par l’instauration de l’état de siège.»
Après son départ du gouvernement en 1993, il entame une nouvelle carrière politique, devenant un opposant au système qu'il a servi. En 1999, puis en 2004, il tente sa chance à l’élection présidentielle. La première fois, il se retire avec les six autres candidats en dénonçant des conditions inéquitables face à Abdelaziz Bouteflika. Cinq ans plus tard, il ne parvient pas à rassembler les 75 000 signatures exigées par la loi. Il ne cesse, dans les colonnes de la presse, de critiquer un système qu’il disait verrouillé, se présentant comme un homme de la rupture, dénonçant le blocage de son parti le Front démocratique (FD).
Mais l’amertume s’installe peu à peu nourrie par l’évidence qu’aucun espace ne lui serait laissé pour exister politiquement. Les journalistes se souviennent d’un homme affable, accessible, toujours prêt à répondre aux questions. Il le revendiquait d’ailleurs lui-même dans un entretien accordé à El Watan en 2015 : «Eclaireur de l’opinion, le journaliste mérite d’être aidé.
Je ne pense pas, quant à moi, avoir manqué, de mon propre chef, au devoir de faciliter le travail du journaliste algérien, que je compare à l’ouvrier d’une usine d’information. Tout en étant démuni de matière première, soit les données que le pouvoir refuse à l’opinion, en contradiction totale avec ses obligations élémentaires.» En 2005, alors que le débat autour de la loi sur les hydrocarbures n’était pas encore entamé, Ghozali est parmi les premiers à alerter l’opinion publique. Il interpelle le président de l’Assemblée nationale et les chefs des groupes parlementaires.
Dans les interviews, «l’homme au papillon» confie sa désillusion. Il n’était pas l’homme du sérail, mais pas non plus un opposant à qui l’on tendra l’oreille. Certains disent que c’est sa rigueur technocratique qui l’a tenu loin à l’écart de l’opposition. Et puis, une certitude s’impose : ce système, dont il avait été un rouage, ne changera jamais. «J’ai révisé beaucoup de choses, disait-il au Quotidien d’Oran en octobre 2010. Pour moi et jusqu’à une date précise, l’action politique consistait à faire prendre conscience aux tenants du pouvoir qu’il fallait changer le système.
Que si l'on continue de cette façon, on va à l’impasse. Je disais toujours, aux militants et aux autres, que ce changement ne peut pas réussir sans l’armée. Ni encore moins contre l’armée. Tout changement en Algérie ne pourra se faire que par la formule de l’alliance. Et quand j’évoque l’armée, je ne parle pas de l’armée dans sa totalité, mais de 'l’armée politique' (…) Et j’ai toujours eu cette croyance que le pouvoir allait changer. Une confiance rompue dès l’année 2004.» En évoquant son divorce avec «l’armée politique», il lance alors cette phrase cinglante : «Moi, lorsque je me suis séparé d’eux, je leur ai dit : vous avez besoin de larbins ?
Eh bien, vous m’appellerez quand vous aurez besoin d’alliés?» Mais c’est une autre déclaration qui restera comme un aveu amer : «Je n’ai jamais fait partie du système. Et je sais que cette affirmation restera longtemps incompréhensible aux yeux de l’opinion. Le système n’a jamais été moi, ni beaucoup d’autres. Il faut parler de système dans le système et identifier ceux qui prennent les décisions. Moi et d’autres, nous n’avons jamais pris la décision.»
Tebboune présente ses condoléances à la famille de l'ancien chef de Gouvernement
Le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a adressé, hier, ses sincères condoléances ainsi que l'expression de sa profonde compassion à la famille de l'ancien chef du gouvernement Sid Ahmed Ghozali, décédé à l'âge de 88 ans. «Allah Akbar, Allah Tout-Puissant a rappelé à Lui le défunt Sid Ahmed Ghozali.
Avec sa disparition, l'Algérie perd l'un des hommes qui ont servi le pays à travers de hautes fonctions et responsabilités au sein des institutions de l'Etat, laissant son empreinte en tant que personnalité nationale de premier plan, témoin d'une période charnière marquée par des mutations et des événements majeurs de la vie nationale», a écrit le président de la République dans son message de condoléances adressé à la famille du défunt.
«Nous faisons nos adieux, avec émotion et tristesse, à l'un des cadres compétents de l'élite intellectuelle qui ont assumé de hautes responsabilités, en tant qu'ambassadeur, ministre et chef de gouvernement, et qui se sont distingués par leurs riches contributions sur la scène politique nationale», a-t-il ajouté.
«En cette douloureuse épreuve, je vous adresse mes sincères condoléances et l'expression de ma profonde compassion, priant Allah Tout-Puissant d'accorder au défunt Sa Sainte Miséricorde et de l'accueillir en Son Vaste Paradis, et de vous prêter patience et réconfort. A Dieu nous appartenons et à Lui nous retournons», a conclu le président de la République.