«Il y avait des fleurs à Ghaza», «Le départ de Ghaza», «Lettre à la Palestine», «Ils ferment les yeux», «Nekba»… Ce sont là quelques titres d’œuvres émouvantes signées Myriam Kendsi, et qui s’inscrivent dans une série picturale intitulée «Oh Palestine !».
Ces œuvres, de création récente, résonnent clairement avec la brûlante actualité palestinienne et la tragédie qui décime Ghaza. Il n’y a ni corps mutilés ni étalage d’hémoglobine sur les toiles de cette artiste au long cours. Cependant, il se dégage de ces peintures une tension diffuse, qui suggère avec force et avec talent le drame palestinien. Native d’Oran, Myriam Kendsi est établie en France où elle est arrivée à l’âge de quatre ans.
Elle est diplômée de l’Ecole d’architecture de Grenoble où elle a fait une spécialité en design. En tant que plasticienne, elle produit et expose régulièrement depuis 1986. Myriam Kendsi est également écrivaine. Elle est l’auteure de plusieurs ouvrages dont Protest painters algériens, L’art au féminin ou encore Les cimetières de l’empire, un roman policier.
Depuis le début de la guerre contre Ghaza, Myriam a tenu à témoigner son soutien au peuple palestinien en produisant plusieurs œuvres qu’elle partage via les réseaux sociaux. «Nous témoignons comme nous pouvons de notre solidarité, de notre colère et de notre sidération face à ce génocide», nous dit-elle. «Mon médium étant la peinture, j’ai entamé une série depuis le 7 octobre que j’ai intitulée Oh Palestine ! L’émotion était trop violente», confie notre amie.
Si le thème central et les titres de ces tableaux sont explicites et expriment l’engagement profond de l’artiste envers la question palestinienne, les toiles composant cette série ne relèvent pas pour autant, au point de vue formel, de la peinture figurative de facture réaliste. Elles participent d’une esthétique plutôt abstraite proche de ce que les critiques d’art appellent «l’impressionnisme abstrait».
Et la première chose qu’on y voit est un foisonnement de couleurs : jaune, vert, orange, rouge, bleu… L’artiste revendique par ailleurs une technique mixte combinant peinture et collage. «Parler de mon travail, c’est parler de la couleur avant la forme», explique Myriam Kendsi en évoquant des «couleurs en tension».
«Des couleurs fortes, poursuit-elle, soit en aplat que je juxtapose, additionne, affronte sans concession jusqu’au sens et à la forme; soit en transparence que je fonds les unes dans les autres, que je recouvre, que j’efface, jusqu’à trouver la bonne lumière, l’équilibre, le palimpseste ou la métaphore».
«La forme est abstraite comme un lieu qui interroge et questionne», souligne l’artiste-peintre. «La ligne et la couleur se confondent dans la métaphore et le symbole dont je ne devine le sens qu’en cours de réalisation, et parfois à la fin du tableau lorsque je pose le titre comme un chemin à emprunter sans qu’il soit obligatoire pour autant.»
«Notre devoir est de témoigner»
Ne vous attendez donc pas à voir des processions d’exilés palestiniens arrachés à leur terre dans «Le départ de Ghaza» ou «Nekba», ou bien des corps en lambeaux et des villes ravagées dans «Ils ferment les yeux». L’approche de Myriam Kendsi est subtile et toute en retenue. Dans son tableau, «Nekba», elle met en scène une silhouette féminine représentée de dos, drapée d’une étoffe nébuleuse aux motifs colorés.
Il n’y a aucun trait facial qui permet de lire les sentiments de cette femme et pourtant il y a une expression de mélancolie qui se dégage de sa posture même. Détail saisissant : certains opus de cette série comme dans «In Memoriam» arborent des visages sans corps coiffant des tiges ou des pédoncules au milieu de parterres de fleurs.
Force est de voir dans ce parti pris qui est de ne pas transcrire littéralement le réel dans toute son atrocité une ode à la mémoire des lieux comme dans «Il y avait des fleurs à Ghaza». Une sorte d’hymne à la résistance du territoire, à la profondeur et à l’invincibilité de la terre de Palestine et ses racines face à la pluie d’obus qui ont transformé Ghaza en nécropole géante.
«Pourquoi cette série sur la Palestine ? Peu de temps avant octobre 2023, pendant l’été exactement, je peignais un tableau, ‘‘La maison de Leïla’’, d’après une photo de mon ami Ziad Majed (politologue franco-libanais, ndlr) qui représentait une maison du Sud-Liban qui est en fait celle de sa mère. Et j’ai peint en même temps un autre tableau intitulé ‘‘Pleine lune en Palestine’’.
Parallèlement, j’avais visité en septembre l’expo à l’IMA, ‘‘Pour un musée en Palestine’’, avec qui j’ai un projet. Je ne sais pas si c’était de la prémonition, mais c’est comme ça que cela a commencé», indique Myriam Kendsi. «En tant qu’Algérienne, je ne peux qu’être sensible à des situations de colonisation.
C’est un sujet très violent pour nous. Preuve en est la mobilisation des jeunes issus de l’immigration en France depuis le 7 octobre», insiste-t-elle, avant d’ajouter : «Dès le début, j’avais écrit dans un post qu’il y avait une volonté d’extermination du peuple palestinien.» Et de préciser : «En tant qu’artiste-peintre, je ne fais pas acte de militance, mais j’exprime mes émotions, mon indignation, mon refus de l’injustice et surtout mon effroi face à une telle barbarie.
Cette actualité occupe mon esprit, mon être, et de ce fait, elle se retrouve dans ma peinture. En tant qu’artiste, notre devoir est de témoigner de cette horreur. Nous sommes face à un génocide ! Si le gouvernement de Netanyahu essaie d’effacer toute trace de l’histoire palestinienne, y compris sur un plan artistique, universitaire, architectural, c’est à nous en tant qu’artistes, écrivains, intellectuels, de construire d’autres traces pour les mémoires à venir.»