Les Algériens veulent tous quitter le pays.» Il ne s’agit finalement pas d’une vérité absolue, même si cette affirmation revient dans tous les débats.
Le dernier rapport du Baromètre arabe – un réseau de recherche indépendant qui fournit une vision générale sur les orientations et les valeurs sociale, politique et économique des citoyens dans la région – renseigne sur la tendance générale concernant le désir de migration internationale en Algérie et dans onze autres pays de la région.
Les données de cette enquête confirment, selon le chercheur-sociologue, Mohamed-Saïb Musette, une tendance baissière de la quête d’horizons internationaux chez les Algériens. Ayant analysé les résultats de ce sondage qui a porté sur la période 2006-2022, le spécialiste des mouvements migratoires relève, en effet, «une forte chute du désir de migrations internationales» chez nous. Les Algériens, note-t-il, «sont de moins en moins enclins à quitter le pays». «Une forte chute du taux du désir de migration est observée entre 2006 et 2022 dans le dernier rapport du Baromètre arabe.
On peut observer une forte chute durant la période 2006 à 2016 (moins de 30 points). Puis il y a eu une légère hausse de 30% en 2019, c’est-à-dire durant le hirak. La courbe marque encore une baisse de 26% en 2022», indique-t-il.
Ainsi, l’Algérie, qui faisait partie pendant longtemps du top 3 des pays de la région qui alimentaient les mouvements migratoires vers l’étranger, cède, du moins en 2022, la place à d’autres pays où la population aspire plus à la migration. «Il y a lieu de relever qu’en 2006, l’Algérie, au même titre que le Maroc et le Liban, occupait les premiers rangs, avec plus de 50% des intentions de départ, sur les sept pays arabes sondés à l’époque. Entre-temps, le sondage est élargi à 12 pays.
En 2022, les top 3, sur 12 pays arabes, sont le Soudan, la Jordanie et la Tunisie, avec plus de 40% des répondants qui expriment une intention de partir», précise-t-il, relevant également «une baisse de 10 points en moyenne des intentions de partir observée chez les pays arabes sondés entre 2006 et 2022».
Les diplômés toujours tentés
Cependant, si la tendance générale est à «l’abandon» du projet de migration chez les diplômés, la tentation reste plus forte. Chez les garçons, comme chez les filles. «Il est aussi important de noter que les diplômés de l’enseignement supérieur (licence et mastère) restent les plus enclins à quitter l’Algérie (34%), dont plus de garçons (56%) que de filles (44%)», souligne M. Musette.
Ce constat établi par l’enquête du Baromètre arabe, fait-il remarquer, n’est pas propre à l’Algérie. «La part des diplômés est, partout dans les pays arabes, la plus importante qui aspire à une migration internationale. La nouvelle donne est la féminisation : les filles sont plus porteuses de projet migratoire (plus de 50%) dans certains pays arabes, tels que la Tunisie ou le Liban», souligne-t-il.
Selon l’étude, l’Algérie occupe le 7e rang des pays où les diplômés de l’université veulent évoluer ailleurs. Les trois pays où les diplômés ont moins de désir de partir sont, selon le même document, le Koweït, l’Egypte et la Libye. Cette partie de l’enquête, selon le sociologue, devrait capter plus l’intérêt des autorités. «Il faut prendre en charge nos diplômés, même si le taux de ceux qui partent reste faible par rapport au nombre d’étudiants dans les universités algériennes», précise-t-il.
Pour notre interlocuteur, l’idée selon laquelle la fuite des cerveaux algériens prend des proportions graves «n’est pas tout à fait vraie». «Le nombre de départs n’est pas aussi important qu’on l’imagine. L’Algérie ne perd pas beaucoup de diplômés en comparaison avec la moyenne mondiale. Nous avons une moyenne de 40 000 personnes qui partent chaque année», explique-t-il, notant toutefois qu’«il est toujours coûteux de former un cadre qui remplacera celui qui part».
Contraintes
Comment expliquer l’abandon du «projet migratoire» chez la majorité des Algériens ? Les chiffres du Baromètre arabe reflètent-ils une réalité ? Mohamed-Saïb Musette fournit cinq explications plausibles. La première est d’ordre religieux. Devenus plus pratiquants, dit-il, les Algériens craignent «la stigmatisation», notamment en Occident.
La montée du discours islamophobe en Europe pèse dans le choix de ceux qui avaient l’intention de quitter le pays. La deuxième raison concerne le statut social de ces personnes. La distribution de logements de différentes formules ces dernières années, estime le sociologue, a poussé les candidats potentiels à la migration à choisir la stabilité pour construire leur vie en Algérie. La troisième explication, valable notamment pour les diplômés, est la peur «du déclassement et de la déqualification sur le marché du travail».
Pour cette catégorie, fait-il remarquer, la migration dépend plus de l’offre dans les pays d’accueil. «Ce ne sont pas les diplômés qui choisissent de quitter le pays. Leur projet de migration dépend de l’offre de travail, comme c’était le cas pour les médecins algériens recrutés par la France et les informaticiens partis en Allemagne», relève-t-il.
La quatrième contrainte, de taille, concerne les restrictions sur les visas qui a dissuadé beaucoup de personnes. A cela, il faut ajouter, indique le sociologue, «l’effet du hirak du 22 février 2019, qui a permis aux Algériens de retrouver une certaine confiance, notamment avec la moralisation de la vie publique et la renaissance de l’espoir du changement».