Nulle part ailleurs, il n’existe une rue qui porte la dénomination de «rue des jeûneurs». La rue commerçante portant le nom d’Abbès Laghrour, anciennement Saint Athanase, connaît une fébrile activité chaque mois de Ramadhan. Elle est prise d’assaut par toute une faune de commerçants occasionnels qui squattent tous les trottoirs et même une partie de la chaussée pour mettre en place des étals chargés de toutes sortes de confiserie, des tréteaux achalandés de boissons gazeuses et autres.
Sur une longueur d’environ 400 mètres, les clients se plaisent à faire le va-et-vient, qui à la recherche d’un condiment pour la cuisine, qui pour s’approvisionner en légumes frais, qui pour passer le temps. Si pendant la matinée, la rue est presque déserte, il n’en est pas de même à partir de 15h quand affluent des gens des autres localités environnantes. A cet instant, la rue est noire de monde. On se bouscule pour se frayer un chemin.
On s’arrête devant les étals chargés de bottes de coriandre, de persil, de laitue. Les marchands crient à gorge déployée pour attirer les clients. Les marchands de poissons se mettent de la partie en remplissent l’air de leurs cris. Les poissonneries proposent des dorades, des sardines, des tranches de thon, des maquereaux, ou des fruits de mer comme les crevettes ou les calamars. Devant les comptoirs des marchands de zalabia, s’agglutinent des jeûneurs que l’odeur ambiante attire comme un aimant.
Devenue en l’espace d’un mois une rue piétonne, les véhicules des livreurs y ont beaucoup de peine à se garer. On crie, on se plaint, on en arrive même à proférer des insultes. Les gens n’en ont cure et font la sourde oreille. Un impressionnant bataillon de confiseurs est là pour faire la promotion de gâteaux : des plateaux de millefeuille, de kelb ellouz, de tartes au citron, installés les uns à côté des autres, donnent l’eau à la bouche.
Plus loin, des jeunes ont déposé des corbeilles chargées de pain. Il y en a de toutes sortes et de toutes formes : des baguettes, des couronnes, des pains maison, de la galette cuite sur un tadjine. Sur l’autre rue adjacente, la rue Ben Boulaïd, anciennement rue de Constantine, ce sont les rôtisseurs qui trônent devant un grand braséro où cuisent sur des braises des têtes de mouton, de la viande de bœuf enroulée dans du papier aluminium.
Là aussi des clients attendent patiemment leur tour pour se voir servir une tête de mouton «bouzelouf», un rôti de viande. Dans les pâtisseries alentour, on assiste au même spectacle, des bousculades pour s’acheter quelques gâteaux. Ici ce sont les odeurs des grillades, là les arômes que dégagent les gâteaux tout chauds, là encore les effluves de la confiserie orientale, qui font que les acheteurs s’agglutinent autour des étals et devant les vitrines des marchands de zalabia et des confiseries.
Demain et les jours suivants, l’on assistera au même spectacle ; une animation que l’on ne vit que pendant le mois de Ramadhan. Et la rue des «Saymine», entendre par là les jeûneurs porte bien son nom.