Le Nobel ? «Je pense que mon fils l’aura avant moi», plaisante le Britannique Ian McEwan. Cette grande voix, dont le nom se murmure chaque année pour ce prix appelle les auteurs à être «courageux» face au débat sur les «relecteurs en sensibilité» qui anime le monde littéraire.
Avant la remise de cette récompense jeudi, l’écrivain de 75 ans, de passage à Paris pour la promotion de son nouveau roman Leçons (éd. Gallimard) assure à l’AFP ne s’être «jamais trop posé la question». «Il y a quelques années, j’en ai discuté avec Ishiguro (Kazuo Ishiguro, nobelisé en 2017, ndlr). Sa vie n’a pas été la sienne pendant deux ans. C’est quand même un grand inconvénient», souffle l’auteur de Sur la plage de Chesil et Expiation. Et de poursuivre qu’ils sont «une cinquantaine dont les noms reviennent chaque année». Finalement, «je pense que mon fils, qui est scientifique, recevra le Nobel avant moi», plaisante-t-il, glissant toutefois que l’octroi de cette récompense, remportée l’année dernière par la Française Annie Ernaux, serait «bien».
«Dites-leur d’aller se faire foutre !»
Né en 1948 en Angleterre, Ian McEwan est l’auteur d’une oeuvre romanesque qui explore les ambivalences humaines. Oeuvre aussi bien louée par le public que par la critique et qui a fait l’objet d’une dizaine d’adaptations cinématographiques, dont My Lady en 2017 (adapté de son roman L’intérêt de l’enfant) ou le déchirant Sur la plage de Chesil en 2018. Lauréat du prix Booker pour son roman Amsterdam en 1998, traduit en une dizaine de langues, étudié à l’université... Que pense-t-il du débat autour des «relecteurs en sensibilité» ?
Cette profession récente se développe aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne notamment, et pointe incohérences culturelles et stéréotypes dans les manuscrits américains et britanniques, et sont vus, par beaucoup, comme des censeurs. «Je ne comprends pas bien ce qu’il se passe», dit-il.
«Ce phénomène touche de très jeunes gens qui vivent dans des sociétés libres. Et pourtant, ils semblent vouloir se lier les bras et les jambes (...) Pour moi, c’est tellement étrange que je ne peux pas vraiment le commenter.» Avant de raconter avoir entendu, à la radio, le témoignage d’un jeune romancier qui n’osait plus écrire sur le désir masculin. «C’était il y a quelques années mais je me rappelle avoir pensé : Pauvre homme», confie-t-il. «Ce n’est pas le sujet, le problème, c’est ce que vous en faites. Soyez courageux, dites-leur d’aller se faire foutre !» Un auteur «doit écrire ce qu’(il) ressent». D’autant que «nous avons le luxe de ne pas être envahis par la Russie» ou de vivre sous «une dictature qui nous empêche de lire et d’écrire».
«Génération vaincue»
Lui, rien ne l’empêchera de poursuivre son oeuvre littéraire. Sorti il y a un an en anglais, Lessons ne «sera pas mon dernier livre», assure-t-il, confiant avoir écrit «plus de la moitié» de sa prochaine oeuvre. Ce nouveau roman - qualifié de magistral et d’épique par les critiques - raconte une vie, celle de Roland Baines.
Une vie que l’auteur met en parallèle avec les événements majeurs de la fin du XXe et une partie du XXIe siècles : la crise du canal de Suez, celle des missiles de Cuba... A travers le portrait de cet homme, Ian McEwan fait celui d’une génération «pro-européenne» «qui a été vaincue», dit-il en allusion au Brexit. Un livre un peu à part dans l’oeuvre du romancier car parsemé d’éléments de sa vie, lui qui déteste la mise en scène de soi. «Roland Baines n’est pas moi», insiste-t-il, mais «il y a des choses, comme la découverte d’un frère qui avait été caché (dans le livre, c’est une soeur, ndlr) ou le rapport au piano, qui sont vraies», détaille celui qui ignorait jusqu’à ses 53 ans avoir un frère né pendant la Deuxième Guerre mondiale et abandonné par ses parents. En littérature «et peut-être même dans la vie, c’est la vérité émotionnelle qui compte».