Résiliente, dynamique et attractive : Ali Mendjeli brave ses stigmates et traumatismes

18/06/2023 mis à jour: 17:03
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Le consumérisme rythme la vie à Ali Mendjel - Photo : D. R.

De malheureux satellite de Constantine, la villenouvelle s’est affranchie manifestement pour se forger une identité propre envers et contre tout, contre tous ceux qui ont misé sur son échec.

On l’a traité de tous les noms d’oiseaux. On a stigmatisé ses primo-habitants : Ali Mendjeli, une addition de cités de relogement, une méga ZHUN, un lieu sans «âme», sans histoire, sans «mythe» fondateur  ! Même les officiels n’ont pas caché leur aversion à l'égard de cette ville. Le président Bouteflika, plusieurs fois hôte d’Ali Mendjeli, n’a jamais montré de sympathie pour cette ville ; son Premier ministre, Abdelmalek Sellal, l’avait qualifiée d’exemple à ne pas suivre.

Et en 2012, Amara Benyounes, alors ministre de la Ville et de l’Environnement, l’avait traitée de «catastrophe urbanistique». On peut dire qu’Ali Mendjeli a eu une enfance difficile et un paquet de traumatismes. En souffre-t-elle aujourd’hui ? Rien de moins sûr.

On s’accorde plutôt à reconnaître que les défauts et les démons du passé s’estampent grâce à la dynamique, la vivacité, l’émancipation et l’attractivité dont fait preuve cette ville. De malheureux satellite de Constantine, la ville nouvelle s’est affranchie manifestement pour se forger une identité propre envers et contre tout, contre tous ceux qui ont misé sur son échec.

Tous sauf un : dans un livre à contre-courant de l’unanimisme alors régnant, le géographe Marc Cote avait invité l’opinion publique, les universitaires et les pouvoirs publics, à se défaire des jugements hâtifs. «Il faut laisser le temps à cette ville pour corriger ses défauts de naissance, laisser le temps aux habitants, et ils vont (re) faire la ville», peut-on lire dans son ouvrage Constantine, cité antique et ville nouvelle. (Éd. Médias-Plus, 2006).

Résilience

Ali Mendjeli boucle trois décennies d’existence en tant que ville habitée. Une fraction infinitésimale dans l’âge des villes. Mais son parcours est déjà rempli d'événements, de rebondissements, de péripéties. Un parcours erratique, parfois chaotique. Ville de relogement, construite dans l’urgence pour servir de déversoir de l’excédent de la ville-mère, Ali Mendjeli a d’abord connu la violence d’une délinquance débridée.

Mais malgré les tares et les stigmates, aujourd’hui elle fait preuve d’une résilience admirable, et s’invente une dynamique et relève les défis qui se dressent sur son chemin. Par une dynamique propre, elle a su combler quelques-unes de ces tares de naissance. Un exploit qu’elle doit aux habitants, ces acteurs du bas qui prennent des initiatives, créent des espaces de sociabilité et insufflent une nouvelle énergie.

C’est par le commerce que la dynamique a été enclenchée, et l’espace retourné. Faute d’autres référents, le commerce est devenu la locomotive de développement et d’attractivité pour cette ville. Des Libyens et beaucoup de Tunisiens sillonnent les boulevards pour sentir le pouls joyeux et emballé d’Ali Mendjeli en plus des foules de visiteurs affluant de tout l’Est algérien.

Dans une enquête publiée en 2021 par la revue Insaniyat, le sociologue Saïd Belguidoum écrit : «L’installation de grands centres commerciaux, nouveaux espaces mondialisés de la consommation, va modifier le statut et l’image de la ville nouvelle. De la ville stigmatisée, elle deviendra un territoire de l’innovation sociale rompant avec les carcans et pesanteurs sociologiques de la ville mère.»

C’est à tel point que le nouveau type d’activité commerciale à grande échelle, développé à Ali Mendjeli, lui offre un statut qui lui permet de rayonner au niveau de toute la région urbaine dont la ville de Constantine est le centre. Mieux ! La centralité de la ville mère se trouve remise en cause et une nouvelle reconfiguration à l’échelle métropolitaine se dessine, explique encore Belguidoum.

Nourrir l’enracinement

Difficile de savoir comment c’est possible, mais la commande publique et les concepteurs du projet urbain d’Ali Mendjeli ont omis de doter cette ville, initialement prévue pour accueillir 300 000 habitants, de places et de jardins publics. Ils n’ont même pas prévu un cimetière ! Or, ces catégories d’espaces (toujours manquants) sont connues pour être des espaces de sociabilisation par excellence, de véritables creusets identitaires où se forge le «nous».

Il est connu que la population d’Ali Mendjeli est issue de Constantine et d’autres wilayas, composée en bonne partie de franges rurales, déracinées. Une population qui ressemble à un puzzle déconstruit et non pas à un melting-pot. Le lien social est donc à construire pour faciliter l’intégration et créer le sentiment d’appartenance à un même groupe social qui se distingue.

Hélas, l’activité culturelle et artistique, vecteur incontournable dans la construction et la cimentation de l’identité sociale, est quasiment absente à Ali Mendjeli. En revanche, depuis quelques années, des clubs sportifs commencent à éclore et à attirer de nombreux jeunes des cités, issus de la deuxième génération des habitants de la ville. Le sport est naturellement un ciment efficace.

Et quand un club portant le nom de la ville réalise un exploit, la fierté est partagée par tous les habitants. C’était le cas, il y a quelques jours, quand l’équipe féminine de basket-ball, le Rapid Ali Mendjeli, a validé son ticket pour accéder à la nationale 1.

La première génération d’habitants n’a trouvé à Ali Mendjeli que des cités fragmentées, des logements à perte de vue avec un urbanisme et une architecture uniforme, monotone et de piètre qualité. Ils n’ont même pas trouvé de noms pour identifier les rues et quartiers.

Alors ils se sont inventé une toponymie et ont su progressivement traverser ces obstacles, ces tares de naissance, en se réappropriant les espaces disponibles, en les réinventant, et en développant de nouvelles ambiances urbaines, y compris une vie nocturne qui a fini par intéresser tous les Constantinois et attirer des populations de toute la région. Une belle revanche. 

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