Il était midi, par cette journée relativement froide et ensoleillée du mois de novembre. Un léger brouhaha, caractérisé par une certaine tristesse et douleur régnait dans la salle d’attente du centre anti-cancer du CHU Dr Benbadis de Constantine. Un service enveloppé dans un décor austère. Attaf a pris place dans un coin, observant les patients qui attendaient leur tour.
Ce quadragénaire est venu de la ville de Chelghoum Laïd, dans la wilaya de Mila, située à moins de 50 km de Constantine. Il accompagnait sa belle-mère qui avait un rendez-vous pour une séance de chimiothérapie. Vu son âge, elle ne pouvait pas venir seule. Et puis, les séances de chimiothérapie sont dures à supporter. «Nous sommes venus de Chelghoum Laïd pour le protocole de ma belle-mère.
En toute sincérité, nous avons ramené avec nous le traitement pour sa chimiothérapie. Car, il n’est pas disponible au niveau du CHU», a-t-il fait savoir à El Watan. Quelques minutes plus tard, la belle-mère termine sa séance de chimiothérapie.
Elle nous rejoint avec sa fille. «Je suis atteinte d’un cancer du sein, et j’ai beaucoup souffert pour avoir mon traitement sans interrompre mon protocole. Heureusement, mon fils m’a envoyé le traitement à deux reprises. Je fais la chimiothérapie tous les 21 jours, et c’est à deux reprises que je ramène mon traitement avec moi.
Ce qui signifie que le médicament nécessaire n’est pas disponible depuis déjà deux mois», a-t-elle confirmé. Son beau-fils ajoute qu’entre la réalité et les dires de certaines personnes, il y a beaucoup de choses cachées sur la disponibilité du traitement et la prise en charge des malades. Certains cas interrogés évoquent le manque de certains médicaments, à l’instar de la Dexaméthasone, Taxotere et la Doxorubicine, ceci sans parler de la défectuosité récurrente du matériel. Des malades venus des autres wilayas nous ont révélé qu’il leur arrivait souvent de rentrer chez eux sans faire leur séance de chimiothérapie.
Détresse des patients et de leurs familles
«Je ne sais pas si je vais être retenu ou non pour ma séance d’aujourd’hui. J’attends toujours mon tour ; d’habitude je passe sans aucun souci, mais il y avait un malade venu de Sétif qui est revenu bredouille après une attente de trois heures. On lui a dit que son traitement n’est pas disponible. Non seulement son calendrier ne sera pas respecté, mais en plus, on ne prend même pas la peine de contacter le malade par téléphone pour lui éviter le déplacement et ce qui suit comme frais et épuisement physique», a témoigné un sexagénaire rencontré au CAC du CHU de Constantine.
Un autre patient habitant Constantine confirme qu’il n’attend jamais la disponibilité du traitement, il préfère l’acheter de l’étranger pour 300 euros, et parfois il se le procure auprès des bienfaiteurs. Il s’agit, selon ses dires, de la substance active de Xeloda. Est-il normal de demander aux patients de ramener leur traitement ou accepter des molécules dont la provenance est inconnue ? En plus, ces traitements coûtent excessivement cher pour des gens déjà épuisés financièrement à cause des dépenses pour les examens et les bilans.
C’est la même situation pour la radiothérapie où les fréquents arrêts des accélérateurs au CAC du CHU de Constantine obligent des malades en détresse à recourir aux cliniques privées, avec tout ce que cela signifie comme dépenses.
On parle des dépenses d’un minimum de 20 millions de centimes, mais on s’interroge pourtant pourquoi ces cliniques privées ne connaissent jamais les arrêts et les pannes ? Pour sa part, le personnel médical du CAC s’est dit compréhensif face à la détresse des malades durant les perturbations, mais il a nié toute pénurie ou un manque du traitement dans la période actuelle.
Certains praticiens de la santé ont incombé ce retard de traitement aux conséquences de la précédente perturbation et la surcharge que subit l’établissement. Il faut reconnaitre que le CHU de Constantine, qui demeure un pôle hospitalier régional, connait une surcharge incroyable en raison du flux des malades qui viennent de plusieurs wilayas, ceci malgré le fait qu’il existe un CAC équipé à Sétif, un autre à Batna ainsi que des services de chimiothérapie à Chelghoum Laïd, Mila et même à El Oued.
182 milliards de centimes pour les traitements
Pourquoi le manque de traitement est toujours évoqué par les malades ? Dr Khadidja Chelali, pharmacienne-chef au CHU Dr Benbadis affirme que la situation a commencé à se régulariser progressivement depuis l’été. «Les choses vont beaucoup mieux aujourd’hui, et une grande amélioration en matière d’approvisionnement en médicaments a été observée depuis plus d’un mois», a-t-elle déclaré à El Watan, sans nier l’existence d’une tension sur certaines molécules.
Estimant qu’il n’est pas facile pour les services de rattraper le retard, elle fait savoir qu’il faut un peu de temps pour que les choses redeviennent comme avant. Notre interlocutrice n’a pas manqué de souligner que l’Etat a toujours considéré la prise en charge de ces maladies comme une priorité, en débloquant les budgets nécessaires. Il était question, selon elle, d’un problème d’approvisionnement. S’étalant sur les moyens déployés pour la prise en charge, elle estime que parmi 400 milliards de centimes alloués à la pharmacie du CHU de Constantine pour l’acquisition de tous produits médicaux confondus, le budget consacré pour le volet cancer a atteint 182 milliards de centimes. Les traitements des différents types de cancer, en particulier en hématologie, sont excessivement chers.
Dr Chelali a insisté sur une grande amélioration de la situation, en particulier avec l’arrivée de nouvelles molécules efficaces, dont celles destinées à l’immunothérapie. «Les traitements anti-cancer sont en perpétuelle évolution, c’est pourquoi ils coûtent très cher. D’ailleurs aujourd’hui, on peut traiter même les récidives.
La prise en charge est beaucoup meilleure, particulièrement avec la disponibilité des bio-similaires», a-t-elle souligné. Et d’argumenter que les malades avaient acheté les petites molécules et non pas les lourds traitements approvisionnés par l’Etat. Elle nous a montré à titre d’exemple une boite d’Abremia. Le prix de cette boîte coutait 45 millions de centimes, et aujourd’hui, il est à 25 millions de centimes. Notre interlocutrice a insisté sur une disponibilité de tous les traitements nécessaires sans exception, rejetant tout ce qui a été avancé par les patients.
Peu de statistiques actualisées
Par ailleurs, la disponibilité du traitement n’est pas l’unique souci dans le secteur de la santé. Des statistiques actualisées, pertinentes, fiables et précises font également défaut. Afin d’avoir le nombre des cancéreux dans la wilaya de Constantine, nous avons pris attache avec le Pr Nadir Boussouf, médecin chef du service d’épidémiologie et de médecine préventive au CHU Dr Benbadis. Ce dernier nous a fourni les statistiques des années 2019 et 2020. «Selon le site officiel de l’OMS et en 2020, l’Algérie a enregistré 58 418 cas à l’échelle nationale et 32 802 décès par cancer», a-t-il déclaré. Et de poursuivre sur ce qui a pu être récolté sur la région de Constantine, que la wilaya a recensé 1620 en 2019, dont 916 cas de sexe féminin et 704 masculins.
Pour 2020, l’on a compté 1325 cas, dont 776 de sexe féminin et 549 masculins. En s’étalant sur les types du cancer, Pr Boussouf déclare que le cancer du sein est le plus fréquent avec 848 cas, soit 28,8%. Le cancer colorectal vient en deuxième position avec 372 cas (12,6%), suivi par 239 cas (8,1%) atteints du cancer des poumons et la prostate vient avant le reste des types à la quatrième place du classement avec 4,8%.
Concernant les décès, aucun chiffre du taux de mortalité n’est disponible et il n’y avait pas assez d’informations sur la résidence de tous les malades atteints du cancer. «76% des cas sont des résidents de la commune de Constantine. Ils peuvent être ailleurs aujourd’hui, à Ali Mendjeli ou autres, avec les opérations de relogement.
Concernant les 24% restants, nous ne savons pas où se trouvent-ils. Leur adresse exacte ou position géographie n’est pas déterminée», a indiqué Pr Nadir Boussouf.
N’existe-t-il pas un dossier pointilleux contenant toutes les informations sur les cancéreux déposés au niveau des différents services accueillant cette catégorie de malades ? Comment classer, enregistrer et suivre l’état du malade ? Il est très difficile de savoir si une personne est décédée suite à un cancer ou non. Il faut tout un travail de renseignements pour avoir des statistiques approximatives. Notre interlocuteur incombe une partie de ce manque d’informations aux malades eux-mêmes, pour lesquels cette maladie reste un tabou.
«Il est socialement très difficile d’avoir ces informations», a-t-il regretté. Nous avons appris que des patients fournissent des adresses erronées, faussant les statistiques du pays.